Si nous n'étions pas acteurs de la pandémie, mais seulement spectateurs, nous ne comprendrions sans doute pas la cohérence de la démarche gouvernementale. Celle-ci a été déterminée d'emblée par le manque de masques et de lits de réanimation. Les pays qui n'ont pas déconfiné ne s'en sont pas plus mal portés, soit parce qu'ils disposaient du matériel nécessaire, soit parce qu'ils ont imposé à la population une discipline de fer. À certains égards, le confinement est la stratégie du pauvre, ou plus exactement celle qui ne fait pas confiance aux individus. On peut toujours rêver d'un métro ou d'un bus où la distanciation est respectée ; d'un avion de ligne qui transporte trois fois moins de passagers ; de passants tous masqués et qui viennent de se laver les mains. Mais la société industrielle est celle de la promiscuité, comme l'est celle du loisir ou du spectacle dont on a assez dit qu'elle n'a de sens que si elle réunit les gens dans un lieu fermé pour qu'ils partagent la même émotion.
Le déconfinement comporte un immense inconvénient : il ne nous renverra pas au statu quo ante. Nous ferons la queue devant les cafés, les théâtres et les cinémas. Nous attendrons que d'autres soient sortis pour entrer. Nous allons surveiller avec la vigilance d'un gardien de prison notre propre comportement et nous allons nous passer de ce qui fait de nous des citadins naturels, l'instinct grégaire. Nous devrons lutter contre tous les réflexes que nous ont appris nos parents, nos instituteurs, nos chefs d'entreprise. Ce sera dur de ne pas serrer la main qui se tend ou de ne pas embrasser une collègue. Il sera impossible de tendre l'oreille. Dur de nous écarter avec une suspicion maladive de gens que nous aimons.
La nouvelle priorité
Et malgré toutes les précautions possibles et imaginables, ce déconfinement progressif, prudent, prévu par étapes, susceptible d'être annulé si augmente le nombre de cas ou si croît la mortalité, contaminera fatalement des gens sains, avec les conséquences que l'on sait. Nos dirigeants sont-ils fous d'envisager de tels sacrifices ? La simple vérité est la suivante : le confinement était le choix de la vie, le déconfinement est celui de la survie, la reconstruction économique devenant, face aux dettes et à l'effondrement économique, la nouvelle priorité. D'abord, comme toute catastrophe de quelque nature qu'elle soit, ce sont les pauvres et les plus vulnérables qui souffrent le plus des conséquences sociales de la pandémie. Ensuite, plus longtemps on confine et plus la reprise sera difficile. Bien que nous ne soyons pas vraiment équipés pour un retour à la normale, le redémarrage est un impératif aussi catégorique que l'a été l'immobilisation du pays.
La souffrance est assez diffuse dans la société française pour que l'on s'abstienne d'ajouter à la tragédie les querelles politiques. On ne s'en prive pourtant pas : des tribunaux ont jailli de la peur et du désespoir. À une telle épreuve, il faut trouver des responsables et ils sont forcément au gouvernement. Ce sont des politiques et des médecins. Nos dirigeants n'auraient pas réagi assez vite. Les plus critiques à l'égard de l'exécutif sont ceux qui n'ont pas la moindre idée de la manière dont on fabrique des masques ou de la façon de les importer. Cette zizanie entretenue soigneusement par l'opposition politique, par une partie des médias et par les réseaux sociaux, loin de contribuer à la lutte contre le virus, la désorganise. Si ce gouvernement n'est pas fiable, pourquoi suivre ses prescriptions ? Si la médecine ne sait pas grand-chose, pourquoi ne pas préférer des traitements illusoires ? Si nos décideurs passent devant des commissions d'élus, pourquoi ne pas les considérer comme des criminels ? Le virus finit pas envahir les poumons et tuer les patients. La hargne est le poison des âmes.