- Et encore un. Je fais vraiment office de secrétaire ce matin. Comme depuis trois mois d'ailleurs. Après les tests antigéniques, les vaccins, s'agace Nicole Bertin en reposant le combiné près du poste de réception des commandes.
Ne laissant aucun répit à la préparatrice, la sonnerie du téléphone retentit à nouveau.
- Et c'est reparti. Pharmacie du Marché, Nicole Bertin préparatrice, que puis-je pour vous ?
Au comptoir aussi, les demandes de vaccination dominent l'activité de la matinée depuis l'annonce dans toute la presse de la vaccination contre le Coid-19 en pharmacie.
- Est-ce que je peux prendre rendez-vous pour me faire vacciner ? demande Madame Ducrois, inquiète de se protéger contre cette maladie (épisode 86). La petite Juliette m'avait dit qu'elle me tiendrait au courant mais j'ai entendu ce matin que les pharmaciens étaient autorisés à injecter le vaccin.
- Oui Madame Ducrois, nous sommes effectivement autorisés à prescrire et injecter le vaccin contre le Covid, mais nous attendons maintenant des précisions sur l'organisation de cette campagne vaccinale en ville, répond Julien pour la énième fois ce matin.
- Ah bon ? Parce que ce matin sur France Info, ils disaient qu'on pouvait se rendre en pharmacie. Vous n'allez pas vacciner ? Vous comprenez, j'ai 72 ans, et puis j'ai un médicament pour le cœur. Regardez dans votre ordinateur…
- Je sais tout cela Madame, mais sur France Info, ils ont dû dire également que cette vaccination en pharmacie ne débuterait qu'à partir du 15 mars, non ? Nous allons prendre les rendez-vous dès la semaine prochaine, en fonction des doses que nous allons recevoir.
- Toutes ces informations, ça fait tourner la tête, s'exclame Madame Ducrois, un peu déçue tout de même de ne pas avoir reçu son injection de vaccin.
Aux comptoirs d'à côté, Karine, Damien et Jean-Paul tiennent le même discours.
- Je comprends rien, moi, sur les critères de comorbidité. Je dis quoi à Monsieur Nourdine. Il a de l'hypertension ; on peut le vacciner ? demande Nicole Bertin à J-C, tout en tenant le combiné du téléphone à distance, pour ne pas être entendue par le patient.
- Hypertension, oui oui, c'est un facteur de comorbidité. Vous savez pas lire ? ronchonne le titulaire, en train de chercher une solution de prise de rendez-vous en ligne.
- Si, je sais parfaitement lire ; mais vous, vous auriez aussi besoin de lunettes. Sur la liste, c'est écrit "hypertension artérielle compliquée". C'est quoi la différence ?
- On oublie le "compliqué", on fait au plus simple. Ah, les médecins s'en sont bien tirés encore une fois. Et à qui on refile le sale boulot ? Aux pharmaciens et aux infirmiers.
- Et votre femme, elle en dit quoi ? tente Gisèle, un peu provocatrice envers son patron. Delphine, l'épouse de J-C, est médecin généraliste.
- Ma femme ? Elle fait figure d'exception, ma femme. Répondez donc au téléphone au lieu de vous occuper de ma femme.
Dans l'espace client, Julien et Damien terminent des dossiers, le temps d'une accalmie.
- Alors, raconte, lance Damien au jeune pharmacien.
Julien sourit derrière son masque mais ne dit rien.
- T'es vraiment pas cool. Je te dis tout et toi rien ! Alors, avec Juliette ? Vous avez décidé quoi ?
- Une nouvelle vie s'offre à nous. On va tenter la relation à distance.
- Mais évidemment qu'il faut tenter. Avec Dominique, nous sommes restés deux ans séparés, l'un ici, l'autre en Allemagne. Et tu pars quand ?
- La date est reportée, à cause de la situation à Mayotte. Pas avant juin.
(À suivre…)