C'est certainement l'exposition de l'été à ne pas manquer. Deauville met à l'honneur, dans son magnifique nouvel espace culturel les Franciscaines, le peintre Van Dongen, témoin et acteur des Années folles, qui durant cinquante ans, a peint, dessiné et animé les étés de la célèbre station balnéaire normande. Toiles, aquarelles, estampes, croquis, plus d'une centaine d'oeuvres retracent la carrière et l'œuvre d'une figure emblématique du fauvisme et son attachement à Deauville. Le « Quotidien du pharmacien » a pu visiter l'exposition en compagnie de son commissaire, Jean-Michel Bouhours, ancien conservateur au Centre Georges Pompidou et ancien directeur du Musée national de Monaco, et de Philippe Normand, directeur culturel des Franciscaines.
« Deauville m'allait comme un gant », disait Van Dongen, et sa phrase sert de titre à l'exposition. « J'y retrouvais ma clientèle et ça ressemblait à la Hollande. À cause de la lumière grise et des pluies sur la mer. » Les ciels bas et l'horizon incertain de la côte normande lui rappelaient les couleurs de son pays natal.
À partir de 1913, Van Dongen prend ses quartiers d'été à Deauville, où il côtoie Mistinguett, Lucien Guitry, le couturier Paul Poiret ou l'Aga Khan. Il peint les élégantes qui se pavanent sur les Planches ou aux courses hippiques, tout comme les voiliers qui filent sur l'eau. « Les robes les plus légères, les plus claires, les plus gaies, claquent au vent, comme les pavois des bateaux dans le port. »
Outre la plage et ses baigneuses qui se dénudent, corps sculptural, silhouette élancée, le cheval est son autre passion, peut-être même la source de son inspiration, au point de s'y identifier, si l'on se réfère à l'une de ses premières œuvres, que l'on peut admirer au début de l'exposition, « la chimère pie », immense toile qui l'accompagnera toute sa vie, d'un atelier à l'autre, sorte d'allégorie mi-cheval mi-oiseau s'élançant vers le ciel.
Peintre mondain, il croque les mondaines avec voracité et délectation, allant jusqu'à décorer, à même la peau, leur dos, leurs bras et leurs jambes. Mais l'artiste garde toujours un regard distancié et ironique. Le critique d'art André Warnod parlera même d'« une certaine brutalité dans la justesse du regard ».
Observateur amusé d'une société dont il est à la fois le reflet et l'acteur, parfois même l'animateur, il anticipe les modes. Il représente, dix ans avant son éclosion, la figure de la garçonne, cheveux courts et yeux noirs, qu'il mêle à ses fantasmes pour la femme orientale. Visionnaire, il interprète cette nouvelle émancipation des femmes, marquée par une sensualité et une (bi)sexualité débridée, incarnée par des figures comme Nathalie Clifford Barney, Colette ou Mistinguett.
Certains ont pu lui reprocher son sens aigu du marketing, comme plus tard Dali. Échange de bons procédés, Deauville profite de sa notoriété pour attirer les célébrités, et le peintre prend ses commandes au Bar du soleil. « Influenceur » avant l'heure, ce lanceur de mode conçoit, à la demande du directeur du casino « le Gala blanc »*, bien avant Eddie Barclay et ses fameuses « soirées blanches ».
Représentatif des Années folles, il séduit et choque à la fois, n'hésitant pas à se représenter déguisé en tenue légère (Autoportrait en Neptune), voire entièrement nu (Autoportrait nu). Fêtard invétéré, grand amateur de tango, il peint comme on danse. Il fait swinguer les couleurs et tanguer les corps, donnant parfois à ses toiles une dimension mystique (« Le tango de l'archange »). Déhanchements sensuels, poses lascives, corps en mouvements, vertige du désir, ivresse érotique… Au fil des années, l'animal devient fauve, face au cubisme triomphant, puisant son inspiration au gré de ses voyages et de ses rencontres.
Cette exposition est un régal pour les yeux et un remède pour le bonheur. Un hymne à la lumière, aux couleurs, à la beauté, au plaisir, à la légèreté, à l'insouciance, à la fête et à la sensualité. Un hymne à la vie.
Exposition « Deauville me va comme un gant », du 2 juillet au 25 septembre 2022, aux Franciscaines de Deauville. Tarif : 10 euros.
* 90 ans après, à l'occasion de l'exposition Van Dongen, Deauville organise un « Bal blanc », le 26 août aux Franciscaines.