Cinq mois de travail, une cinquantaine d’auditions « dont sept ministres » et plusieurs déplacements sur site, notamment à l’Agence européenne du médicament (EMA) et à Bercy… L’enquête sénatoriale sur les pénuries de médicaments atteint son apogée le 6 juillet avec la présentation d’un rapport fourni détaillant problématiques, causes, conséquences et solutions à mettre en œuvre. Une enquête dont le parcours a été émaillé d’annonces des pouvoirs publics sur les sujets traités par la commission : lancement en janvier de la mission ministérielle sur la régulation et le financement des produits de santé par la Première ministre, dont les conclusions sont attendues à la fin du mois ; publication de la liste des médicaments essentiels en juin ; possibilité pour le pharmacien de substituer prednisone et prednisolone comme évoquée par Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) lors de son audition par la commission d’enquête du Sénat…
Celle-ci attend désormais une réponse à sa demande de rendez-vous avec les ministres de la Santé et de l’Industrie pour défendre les recommandations de ce rapport qui ont fait consensus dans tous les groupes politiques du Sénat. C’est dire si les espoirs sont grands de mettre fin à ce fléau qui n’épargne aucune classe thérapeutique. Le nombre de signalements de ruptures et tensions en médicaments est passé de 700 à l’été 2018 à 3 700 en 2022. « Ce sont autant de pertes de chance pour les patients et de temps perdu pour les médecins et les pharmaciens déjà mis à rude épreuve par le Covid-19 », constate Sonia de La Provôté, présidente de la commission.
Les solutions existantes ne résolvent pas tout, tant s’en faut. « Dans les cas les plus graves, des contingentements sont mis en place, voire des interdictions de lancement de nouveaux protocoles de traitement. Or un contingentement, cela signifie par exemple que sur 100 patients, 50 auront leur traitement. » Les constats sont connus, les causes identifiées, mais le pire pourrait encore être à venir. « Notre commission d’enquête révèle que les industriels français envisagent dans les prochains mois et années d’arrêter la production de près de 700 médicaments incluant des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) », alerte Sonia de La Provôté.
Information brouillée
C’est dans ce contexte que les sénateurs déroulent 36 recommandations. Les mesures mises en place pour les MITM – stock de sécurité, plan de gestion des pénuries (PGP), déclaration du risque de pénurie – sont saluées mais doivent être mieux contrôlées en fournissant les moyens nécessaires à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). L’existence même d’une liste de 6 000 MITM est plébiscitée, mais elle ne doit pas rester à la main des seuls industriels : l’ANSM doit pouvoir inclure ou exclure des spécialités. Le travail de recensement des « molécules les plus indispensables » dont la liste a été dévoilée en juin est applaudi, mais « ce n’est qu’une première étape ». Idem pour les dispositifs d’informations sur les tensions et ruptures qui « manquent d’articulation, d’interopérabilité et de fiabilité ». Le rapport sénatorial loue toutefois l’outil DP-Ruptures dont la généralisation complète doit se poursuivre, quitte à rendre son adhésion obligatoire à tous les acteurs de la chaîne.
Autre écueil : « Faute de coordination entre l’ANSM et les agences régionales de santé (ARS), la gestion des signalements de rupture ne se fait pas à l’échelon local et les données agrégées au niveau national dissimulent de profondes disparités entre les régions », dénonce Laurence Cohen. Elle en veut pour preuve le cas de la pilule abortive, introuvable dans certaines villes ou régions de France pendant plusieurs semaines, mais aucune pénurie n’est remontée au niveau national. Confusion supplémentaire selon la rapporteure : le ministre de la Santé comme le laboratoire fabricant ont réfuté toute pénurie, alors que des femmes ne parvenaient pas à se procurer ladite pilule. « Cette information brouillée n’est pas de nature à apaiser les angoisses justifiées des patientes. »
Causes structurelles
Par ailleurs, la commission d’enquête recommande de garantir l’équité de distribution du médicament sur le territoire en régulant la vente directe des laboratoires vers les pharmacies pour s’appuyer sur les obligations de service public de la répartition. Et en portant « une attention particulière aux officines situées en zone peu dense » lorsqu’un contingentement est instauré. Côté fabrication, elle formule plusieurs propositions pour rétablir en urgence la disponibilité de médicaments en pénurie : faciliter le redéploiement des stocks européens par l’harmonisation des règles de conditionnement et d’étiquetage ; réorienter la production telle que prévu dans le PGP qui devra mentionner les capacités alternatives de production en cas de crise ; réviser le statut juridique des préparations hospitalières spéciales et des préparations officinales ; renforcer les capacités de production publique de la pharmacie centrale de l’AP-HP ; étendre les stocks stratégiques de l’État à certains médicaments essentiels.
Enfin, un pan du rapport se consacre aux causes structurelles des pénuries. Il touche ainsi à la régulation du prix du médicament, à la fiscalité des entreprises, aux pratiques d’achat à l’hôpital, à la promotion du bon usage (dont un appel à généraliser le recours aux TROD), à la localisation d’une production européenne de médicaments essentiels, au conditionnement des aides publiques à des garanties d’approvisionnement… Il incite d’ailleurs le gouvernement à porter attention aux annonces de fermeture de sites qui interviennent en plein appel à la relocalisation. Sanofi, premier bénéficiaire du crédit impôt recherche (CIR) du secteur pharmaceutique, a ainsi annoncé en avril dernier la suppression de 135 postes sur deux unités de production à horizon 2025, qui va entraîner, selon les syndicats, la perte de production 50 tonnes de principes actifs fabriqués en France. Une information que les sénateurs n’ont toujours pas digérée.
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