Le rôle de chef d'entreprise resterait-il difficile à endosser pour le pharmacien d'officine ? C'est ce que suggèrent les résultats de l'enquête CMC/« Le Quotidien du pharmacien » « Pharmaciens qui êtes-vous ? »*.
Quand on demande aux pharmaciens de prioriser les tâches réalisées en back-office, la comptabilité et la planification des commandes arrivent largement en tête (sur 10 tâches proposées), pour respectivement 43,2 % et 34,4 % des répondants. La formation est classée comme prioritaire pour 3,5 % seulement et la réflexion à de nouveaux services et/ou équipements arrive en fin de liste, ne récoltant que 1 % des réponses. À la vue de ces chiffres, le pharmacien apparaît plus comme un gestionnaire que comme un entrepreneur.
Pour Philippe Becker, directeur général de Région à Fiducial Expertise, « ce résultat n'est pas surprenant. La période incite les pharmaciens à gérer en priorité les charges et améliorer leur politique d'achat. Les efforts de stratégie commerciale et d'accueil des patients sont bien peu récompensés actuellement du fait des baisses de prix successives et des chutes de prescriptions. C'est un cycle normal. Quand l'environnement s'améliorera, la stratégie d'entreprise redeviendra une priorité ».
Les chiffres 2016 de l'Ordre des pharmaciens semblent d'ailleurs confirmer cette tendance au statu quo. Les transferts ont reculé de 20 % par rapport à 2014. Malgré ce contexte, l'esprit d'entrepreneur anime encore une partie de la profession. Il s'incarne notamment dans la nouvelle génération de pharmaciens qui réussit le pari de réconcilier le professionnel de santé et le chef d'entreprise, le développement commercial et l'éthique.
Être chef d'entreprise et soignant n'est pas incompatible !
Pour Lionel Bataille, « ce n'est pas parce qu'on est chef d'entreprise qu'on est un mauvais soignant ». Titulaire de la Grande pharmacie à Livron sur Drôme (Rhône Vallée Pharmacie), le trentenaire et son associé n'ont pas chômé depuis la reprise de l'officine il y a 3 ans : « dès le départ, nous nous sommes formés au management parce que notre cursus universitaire ne nous y prépare pas. C'est incontournable aujourd'hui pour savoir où on veut aller et comment ».
À peine installés, ils ont établi un programme de formation afin de donner les moyens à l'équipe de valoriser le savoir-faire de l'entreprise officinale. « Un an après l'installation, nous nous sommes engagés dans la certification ISO 9001, ce qui nous a permis de penser autrement et d'élaborer notre stratégie sur le long terme ».
Les associés réfléchissent, discutent, échangent et préparent l'avenir. « Finalement, la réflexion nous porte toute la journée. Elle s'amorce au comptoir, et se poursuit dans le back-office avec l'équipe, dans le bureau ou même à l'extérieur. Le fait d'être deux est stimulant. Nous venons de terminer un cycle stratégique de 3 ans et nous repartons pour un cycle triennal, avec une nouvelle ligne directrice. Grâce à la certification, nous pouvons nous appuyer sur des éléments précis, des données concrètes comme les réclamations ou les données de satisfaction pour décliner nos actions à venir, en cohérence avec les besoins ».
Entreprendre dans le respect de la profession
Pas question cependant d'abandonner le comptoir. La fonction de chef d'entreprise n'est pas incompatible avec la relation humaine. Pour entreprendre, il est d'ailleurs indispensable de connaître sa clientèle. « Je n'ai pas une âme de business man. Tous les développements que j'entreprends pour ma pharmacie visent la satisfaction de mes patients », explique Alexandre Perrault, autre jeune titulaire de Saint-Savinien (groupement Aelia).
Quitte à faire preuve d'audace et de créativité, les titulaires entrepreneurs osent et se passionnent pour leurs projets d'avenir. Le jeune pharmacien charentais travaille aujourd'hui à la fusion des deux pharmacies de Saint-Savinien. « En 2014, nous avons acquis l'autre pharmacie de la commune, et mon épouse en est devenue la titulaire. L'objectif est maintenant de mutualiser nos services, de diversifier l'offre en produits et de proposer des actions de santé pour la population savinoise sur un site physique unique ».
De l'énergie et de la volonté, il en faut pour toujours avancer malgré les difficultés. « C'est un projet de longue haleine, semé d'obstacles. Quand on en résout un, un autre survient. Il y a forcément des pics de motivations et des moments de grande démotivation », raconte Alexandre Perrault. Les difficultés viennent aussi de la profession elle-même, des confrères notamment qui voient souvent d'un mauvais œil le projet ambitieux du voisin.
« Il y a des contraintes réglementaires qui peuvent freiner nos élans de créativité ou le développement de nouveaux services », explique Lionel Bataille, qui conserve néanmoins sa motivation. Alexandre Perrault répond à ceux qui taxent les grandes superficies officinales de supermarché : « ce n'est pas parce qu'on gagne en surface de vente et d'accueil que la politique de prix sera celle de la GMS. Nous restons vigilants sur l'éthique ». À Livron comme à Saint-Savinien, les jeunes titulaires entrepreneurs restent optimistes, volontaires et confiants.
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