Le séquençage du génome humain fête ses 20 ans. Le 14 avril 2003, le Consortium international pour le séquençage du génome humain annonçait avoir décrypté plus de 90 % du génome humain. Mais ce n’est que l’an dernier que les 8 % de « trous » dans les séquences ont été complétés. « Nous sommes tous uniques et, à l’exception des jumeaux homozygotes, nous présentons tous un génome différent », rappelle Lluis Quintana-Murci*, directeur de l’unité de génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur de Paris. Outre la taille ou la pigmentation de la peau, la génétique permet d’expliquer différentes formes de vulnérabilité face aux maladies infectieuses. « Parmi les facteurs de risque au Covid-19, on peut citer des critères comme être un homme, âgé, en surpoids. Mais tous les hommes âgés en surpoids ne meurent pas du Covid. Des facteurs génétiques entrent en ligne de compte. »
Celui qui est aussi titulaire de la chaire Génomique humaine et évolution au Collège de France insiste sur l’importance de la génétique pour reconstituer l’histoire de l’homme et connaître les bases génétiques des maladies. « Notre espèce est apparue en Afrique il y a environ 300 000 ans, et a peuplé le reste du monde ces 60 000 dernières années. Les humains ont dû s’adapter à différents climats, différentes ressources nutritionnelles et différents pathogènes. Depuis ces 15 dernières années, nous avons amélioré nos connaissances quant aux gènes qui ont participé à notre adaptation génétique à l’environnement. Il y a par exemple le gène de la lactase qui nous permet de digérer le lait à l’âge adulte, ou encore des mutations intervenues en Europe et qui sont impliquées dans la perte de la pigmentation de la peau, nécessaire pour permettre la synthèse de la vitamine D. » Des mutations qui ont permis à des populations de s’adapter à des milieux pauvres en oxygène comme le Tibet ou les Andes, ou encore de mieux résister aux épidémies. Car « nous sommes les descendants de ceux qui ont survécu », insiste Lluis Quintana-Murci.
Métissage adaptatif
Les connaissances cumulées ces 15 dernières années ont amené de nouvelles questions, notamment celle de savoir comment la sélection naturelle agit sur les gènes de l’immunité. « On observe que certains gènes ou mutations vont être purgés de la population quand d’autres, au contraire, vont être sélectionnés pour permettre une meilleure adaptation à l’environnement. » Comment ? Principalement par le métissage. C’est en tout cas ce que tend à montrer une étude menée par des chercheurs de l’Institut Pasteur (dont Lluis Quintana-Murci) et du CNRS, parue en mars 2021 dans « The American Journal of Human Genetics », remettant en cause la théorie selon laquelle l’adaptation génétique s’est opérée dans chaque population, isolément les unes des autres.
« On étudie des populations pour comprendre comment elles se sont adaptées à leur environnement grâce au métissage. On a pu reconstituer les migrations bantoues, probablement l’événement migrationnel le plus important de l’histoire de l’Afrique, qui a commencé il y a environ 4 000 ans à partir de ce qu’on appelle aujourd’hui le Nigeria et le Cameroun, et qui a amené la langue bantoue et l’agriculture dans toute l’Afrique subsaharienne », explique le chercheur. L’analyse génomique a permis de mettre en évidence les métissages intervenus avec les populations locales au cours des migrations, permettant aux Bantous d’acquérir des mutations génomiques qui ont favorisé leur adaptation, notamment sur le plan immunitaire. « En se mélangeant aux populations pygmées, les Bantous ont acquis des variants génétiques qui leur offrent une meilleure résistance au paludisme à plasmodium falciparum. »
Adaptation face aux épidémies
L’histoire du métissage des populations remonte bien plus loin dans le temps. « Le premier grand événement de métissage se produit certainement quand nos ancêtres Homo Sapiens quittent l’Afrique, il y a 60 000 ans, puisque très vite ils se métissent avec l’homme de Néandertal en Eurasie et avec l’homme de Denisova en Asie de l’Est. Un métissage adaptatif avantageux pour Homo Sapiens qui a acquis des mutations lui permettant de mieux résister aux infections virales », affirme le généticien. Des informations révélées récemment grâce aux nouvelles techniques d’analyse du génome. « La possibilité de séquencer de l’ADN ancien provenant de fossiles a été une vraie révolution scientifique. Cela nous permet de mieux comprendre notre adaptation face aux épidémies, voire de reconstruire des épidémies passées. »
Après qu’une équipe de chercheurs a mis en évidence, en 2019, qu’une mutation présente chez 2 à 4 % des Européens multiplie par 10 le risque de développer une forme clinique de tuberculose pulmonaire, une étude sur l’ADN ancien a été lancée. « On a analysé sa présence dans environ 1 000 génomes provenant d’Européens qui ont vécu dans les 10 000 dernières années. On s’est aperçu que la mutation monte en fréquence dans la population, jusqu’à 10 % à la fin de l’âge de bronze, puis diminue pour arriver à la fréquence actuelle. On a aussi montré que la mutation est apparue il y a environ 30 000 ans chez les Eurasiens de l’ouest, puis a été soumise à une forte sélection négative dans les derniers 2 000 ans. Cela soutient l’hypothèse que cette mutation a été tolérée et a augmenté en fréquence par simple hasard, ce qu’on appelle la dérive génétique, tant que la tuberculose n’était pas ou peu présente, puis la mutation a diminué en fréquence lorsque la tuberculose est devenue un vrai fardeau pour la population », détaille Lluis Quintana-Murci.
Vers une médecine personnalisée
Au-delà de cette étude focalisée sur une mutation, les chercheurs se sont penchés sur le génome entier de plus de 2 300 individus ayant vécu du mésolithique à l’époque actuelle. Le but : identifier les mutations dont la fréquence a le plus augmenté. « On retrouve la mutation qui nous permet de digérer le lait à l’âge adulte, celle impliquée dans la pigmentation claire de la peau, la variation HLA qui améliore la protection immunitaire et de manière générale on trouve 89 gènes impliqués dans la réponse immunitaire. On sait que ces mutations sont devenues avantageuses à partir de l’âge de bronze, il y a 4 000 ans, ce qui renforce l’hypothèse que la plupart des épidémies, qui ont laissé des traces dans le génome des Européens, sont apparues dans les 4 000 dernières années. Mais on a aussi prouvé que ces mutations, survenues pour nous protéger contre les menaces infectieuses, sont les mêmes qui augmentent le risque de maladies auto-immunes », dévoile Lluis Quintana-Murci.
Désormais, la génétique évolutive humaine cherche à comprendre quelles sont les différences de réponses immunitaires selon les individus, quels sont les facteurs qui donnent un système immunitaire robuste ou faible. « Sur plus de 140 variables étudiées, cinq ont un véritable impact sur l’hétérogénéité des cellules sanguines – les facteurs génétiques, le fait d’être infecté ou pas par le cytomégalovirus, l’âge, le tabac et le sexe – deux sur la variabilité des cellules du microbiome, à savoir l’âge et le sexe, suivis de nombreux facteurs nutritionnels et physiologiques. »
L’objectif ? Aller vers une médecine personnalisée de précision. Mais au-delà, explique le généticien, les différentes découvertes qu’il énumère plaident pour « mettre l’évolution au centre des questions majeures de biologie fondamentale pour répondre à certaines questions d’importance en médecine ».
* Lluis Quintana-Murci est aussi l'auteur de l'ouvrage, sorti aux éditions Odile Jacob en octobre 2021, intitulé « Peuple des humains. Sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations ».
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