Titulaire dans le centre-ville de Toulouse et vice-président du Conseil régional de l'Ordre des pharmaciens d'Occitanie, Jean-Marie Guillermin-Sansépée le reconnaît lui-même. Comme les autres pharmaciens de la Ville rose, il est un « privilégié » en matière de gardes. « Nous sommes seulement de garde deux dimanches par an ». Les gardes de nuit, elles, sont assurées par des pharmacies ouvertes 24 heures/24. Lors de ces deux ouvertures dominicales, sa pharmacie fonctionne presque comme un jour normal, l'équipe officinale est simplement plus réduite. Ce sont entre 300 et 400 patients qui se succèdent tout au long de la journée. S'il est moins confronté aux problèmes relatifs aux gardes que certains de ses confrères, Jean-Marie Guillermin-Sansépée est tout de même bien conscient de ce qu'ils vivent.
Des pénuries qui détériorent les relations entre patients et pharmaciens
Selon une enquête menée par la FSPF, plus de 80 % des 6 000 pharmaciens interrogés déclarent « ne pas se sentir toujours en sécurité durant les gardes effectuées le soir ». « Le sentiment d'insécurité, les tensions avec les patients, nous y sommes confrontés au quotidien mais c'est encore davantage sensible les jours de garde, confirme Jean-Marie Guillermin-Sansépée. Au CROP, nous avons régulièrement des remontées de pharmaciens qui ont connu des moments difficiles ces jours-là. Pourquoi ? Notamment parce que les patients qui viennent ont des besoins plus urgents et sont souvent plus stressés. » Le risque de faire face à une situation tendue est donc beaucoup plus fort un jour de garde et les pénuries n'arrangent rien. « Quand un patient a passé plusieurs heures aux urgences, en sort avec une ordonnance, fait la queue pendant 10 minutes dans la pharmacie et s'entend dire que son traitement n'est pas disponible, il peut lui arriver d'élever la voix, explique le pharmacien toulousain. Il y a un sentiment de lassitude chez certains officinaux, c'est certain. Nous sommes de plus en plus sollicités. Je comprends parfaitement que certains ne puissent plus supporter qu'on les appelle à 3 heures du matin pour des raisons pas vraiment urgentes. Les médecins qui sont à l'hôpital ont un jour de repos le lendemain d'une garde. Pour les pharmaciens ce serait bien qu'il en soit de même mais c'est compliqué à mettre en place quand on connaît les problèmes de recrutement qui sont les nôtres aujourd'hui », admet l'ordinal.
75 jours de gardes par an
Président de la FSPF, Philippe Besset assure des gardes depuis 30 ans à Limoux, sous-préfecture de l'Aude de 10 000 habitants. Un service essentiel pour la population de la ville mais aussi pour les habitants de nombreux petits villages alentour. « Nous sommes cinq officines à tourner, donc nous assurons une garde pendant sept jours d'affilée une fois toutes les cinq semaines. » La pharmacie de Philippe Besset est donc de garde 75 jours par an. De 20 heures à minuit, il reste seul à l'officine, porte fermée, puis rentre chez lui attendre d'éventuels appels. En 30 ans, il a vu le système de gardes fortement évoluer dans sa commune. « Au début une régulation était assurée par le commissariat. Le patient qui avait une urgence la nuit appelait la police, venait présenter son ordonnance, puis le permanencier du commissariat nous appelait. Ensuite, on se déplaçait à la pharmacie pour y retrouver le patient. Ce système était bon car cela nous évitait d'être dérangés pour tout et n'importe quoi. » Il y a maintenant près de 20 ans, le commissariat de Limoux a fermé ses portes, remplacé par une brigade de gendarmerie. Peu de temps après, les pharmaciens de la ville ont dû traiter eux-mêmes les demandes des patients, sans régulation.
Une fatigue qui s'accumule, une rémunération qui ne suffit pas
Aujourd'hui, Philippe Besset est contacté par les patients via le service Résogardes. « Le patient appelle le 32 37, il exprime sa demande auprès d'un robot puis est ensuite mis en relation avec la pharmacie de garde. Ensuite, suivant l'urgence, je délivre à distance un conseil pharmaceutique ou bien je me déplace si besoin. Ce système permet d'éviter qu'une personne mal intentionnée ne sache quelle est la pharmacie de garde, elle est obligée d'appeler le 32 37 puis de parler au pharmacien », explique Philippe Besset. Une nécessité alors que le nombre de demande de prises en charge a fortement augmenté depuis que l'hôpital local assure une mission de garde et délivre donc des ordonnances aux patients après 20 heures. « Des patients s'y rendent pour des urgences ou pour renouveler une ordonnance car ils n'ont pas pu voir leur médecin durant la journée. Entre 20 heures et minuit, je dois traiter en moyenne une vingtaine d'ordonnances. C'est essentiellement de l'infectiologie, des soins non programmés, parfois de la traumato… En revanche, en nuit profonde, il est plus rare que je sois dérangé, cela doit arriver environ une fois par semaine », explique-t-il. Quand cela arrive, il faut se lever en pleine nuit, aller jusqu'à la pharmacie, à 10 minutes de route dans son cas. À 56 ans, Philippe Besset reconnaît qu'assurer ces gardes est devenu plus difficile aujourd’hui qu'à ses débuts. Selon l'enquête de la FSPF, une écrasante majorité des sondés (plus de 80 %) estime que « la réalisation des gardes de nuit affecte leur capacité à accomplir leurs missions le lendemain ».
Comme tous les officinaux appelés à assurer des gardes de nuit, Philippe Besset reçoit de plus des patients qui auraient largement pu attendre. Néanmoins, et comme il le rappelle, le caractère d'urgence reste très difficile à déterminer. « C'est quelque chose de personnel. En 30 ans de garde, je n'ai jamais été confronté à une situation de risque vital pour le patient. Ce que nous rencontrons, c'est ce que l'on peut appeler de l'anxiété par procuration, des parents qui s'inquiètent pour leur enfant et des patients qui souffrent de douleurs. Or, quand on a mal on n'a pas envie d'attendre le lendemain », tient-il à rappeler. Il regrette surtout que les gardes assurées par les pharmaciens ne soient pas assez rémunérées (voir page 5). Une valorisation insuffisante qui explique pourquoi, dans 70 % des cas, le titulaire est bien souvent le seul à assurer les gardes, n'étant pas en capacité de rémunérer d'autres membres de son équipe pour effectuer cette mission à sa place. Toujours selon l'enquête de la FSPF, la rémunération des gardes est jugée trop basse par près de 75 % du panel.
Dérangé en pleine nuit pour de… la Biafine !
Frank Debant est pharmacien depuis 25 ans à Puycasquier, village gersois d'à peine plus de 400 habitants. Dans ce secteur rural, les gardes sont assurées à tour de rôle par neuf pharmacies. Il travaille seul dans son officine tout au long de l'année et se retrouve sur le pont quatre nuits par mois. « En début de soirée, je prends en charge des patients qui sont sortis un peu tard des cabinets médicaux. Ils m'appellent via Résogardes et l'appel est ensuite transféré à mon domicile mais il y a aussi des personnes qui consultent les plannings affichés sur la vitrine de mes confrères et qui viennent jusqu'au village. Ils décrochent le téléphone de garde qui est sur la façade et m'appellent directement. » Environ une fois par mois, il est réveillé à 2 ou 3 heures du matin, parfois pour des demandes loin d'être pertinentes. « Il m'est déjà arrivé d'être dérangé en pleine nuit par des personnes qui avaient attrapé un coup de soleil à la plage et voulaient de la Biafine ! Des patients qui ont besoin de Doliprane en suppositoire, de Toplexil ou encore de Lamictal non substituable parce qu'ils n'ont pas anticipé et n'en ont plus chez eux. Quand cela arrive, c'est peu dire que je ne suis pas ravi. Sur les appels que je reçois après minuit, j'estime qu'environ les deux tiers auraient pu attendre le lendemain », déplore Frank Debant.
Comme 60 % des pharmaciens interrogés dans le cadre de l'enquête de la FSPF, il estime qu'il faudrait « limiter l'obligation de délivrance aux produits du monopole » durant les gardes. « Quand je reçois une demande qui n'est pas urgente, je n'hésite pas à dire non. Évidemment, cela peut générer des tensions même si ce n'est jamais allé très loin. Une fois, un patient a tout de même menacé de porter plainte à la gendarmerie parce que je ne voulais pas le servir ». C'est justement pour éviter ce type de problèmes que Frank Debant pense qu'il faudrait clarifier les règles afin que les officinaux sachent précisément ce qu'ils doivent délivrer ou non durant les gardes. « Aujourd'hui, si je refuse de délivrer de la Biafine et que le patient se plaint, je ne suis pas à l'abri d'être ennuyé par le Conseil de l'Ordre. » Des gardes qui sont aussi épuisantes physiquement pour Frank Debant. Le pharmacien gersois n'est d'ailleurs pas au bout de ses peines. « J'ai accepté de dépanner un confrère et je vais assurer 5 nuits de garde entre le 21 et le 30 octobre. Cette période risque d'être fatigante. » Personne n'oserait en douter.
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