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La vérité sur les données de santé

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Publié le 28/05/2021
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La diffusion d'un numéro de l'émission « Cash Investigation » sur « France 2 » la semaine dernière sur la collecte des données personnelles, et en particulier celles concernant la santé, a fait couler beaucoup d'encre. Dans le viseur, l'entreprise américaine IQVIA qui travaille avec plus de la moitié des officines françaises. Des pharmacies pas toujours bien au courant qu'elles doivent impérativement informer les patients si leurs données sont communiquées à des entreprises privées.
Si un patient s’oppose au traitement de ses données personnelles, le pharmacien scanne un code-barres fourni par IQVIA au moment de l’introduction de la carte Vitale

Si un patient s’oppose au traitement de ses données personnelles, le pharmacien scanne un code-barres fourni par IQVIA au moment de l’introduction de la carte Vitale
Crédit photo : Phanie

En septembre 2018, l'entreprise américaine IQVIA, plus gros courtier en données de santé au monde, a obtenu l'autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de constituer sa base de données en France en collectant des informations auprès des pharmaciens d'officine. Des informations qu'IQVIA obtient auprès des 14 000 pharmaciens membres du réseau Pharmastat.

« Ces panélistes transmettent des données de ventes après un traitement de pseudonymisation qui permet de tracer les médicaments pris par une personne, sans avoir connaissance de son identité. Les données issues des ventes permettent également aux représentants de la profession de se doter de données opposables à l’assurance-maladie et à chaque panéliste de disposer d’un tableau de bord utile à la gestion de son officine », résume la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Tous les officinaux qui transmettent leurs données à IQVIA reçoivent en effet chaque mois une étude de marché sur leur pharmacie qui leur permet de connaître quelles sont les tendances en matière de consommation. Ils sont également rémunérés à hauteur de 6 euros par mois. Bien peu de patients étaient en revanche au courant que leur pharmacien pouvait communiquer leurs données à une entreprise privée… jusqu'à la diffusion d'un numéro de Cash Investigation sur « France 2 » la semaine dernière. Une émission pointant du doigt les pharmaciens, coupable à ses yeux de ne pas informer les patients en dépit de l'obligation légale qui leur est faite.

L'obligation d'informer les patients

En janvier dernier, IQVIA a pourtant envoyé une affichette à tous les pharmaciens avec qui elle travaille afin qu'ils puissent bien préciser à leurs patients pourquoi et comment leurs données sont collectées. Selon les journalistes de l'émission de « France 2 », qui prétendent avoir visité 200 officines du pays, aucune n'avait pourtant disposé cette affichette de manière visible. « Les pharmaciens d'officine sont chargés, contractuellement, d'informer individuellement leurs clients du traitement des données les concernant, ainsi que de permettre l'exercice des droits d'accès, de rectification et d'opposition qui leur sont reconnus », indique pourtant la CNIL, qui a déjà annoncé qu'elle « diligentera des contrôles » pour s'assurer que les pharmaciens respectent bien les règles en la matière. Sans le consentement explicite du patient, le traitement des données personnelles est en effet parfaitement illégal. Comme le rappelle de plus la CNIL, « les données ne peuvent en aucun cas être utilisées pour promouvoir commercialement des produits de santé. Chaque étude réalisée à partir des données de l'entrepôt doit présenter un intérêt public », souligne également l'instance.

Une double anonymisation des données

Mise en cause par Cash Investigation, IQVIA avait devancé la diffusion de l'émission en se défendant dans un communiqué. L'entreprise a notamment tenu à souligner que les données saisies par le pharmacien sont « anonymisées » à deux reprises avant d'être stockées dans « l'entrepôt de données de santé hébergé par IQVIA ». Une double anonymisation qu'IQVIA se vante d'être la seule à réaliser, au contraire des autres acteurs du secteur.

« Nous sommes les seuls, avec OpenHealth, à avoir un accord de la CNIL pour collecter des données, précise de plus Dimitri Guillot, directeur des partenariats stratégiques et professionnels de santé chez IQVIA. Et nous sommes en effet les seuls à avoir cette double solution pour anonymiser les données grâce à deux tiers de confiance que sont Résopharma et Euris. Elles sont donc cryptées dès leur sortie de la pharmacie. Nous ne recevons pas de données nominatives, cela ne nous intéresse pas. Nous avons simplement accès à l'année de naissance et au genre du patient, en aucun cas au numéro de la carte Vitale, comme on a pu l'entendre », précise-t-il. Dimitri Guillot souligne également que les pharmaciens « peuvent indiquer quelles données ils acceptent de transmettre ou non » et que « le contrat ne peut être validé avant que le pharmacien ne l'ait signé ». Contrats qui ont d'ailleurs été validés « avec les syndicats représentant la profession », ajoute-t-il.

La possibilité de bloquer la transmission des données

S'il est important d'informer le patient, c'est surtout pour que ce dernier puisse s'opposer à la transmission de ces données s'il le souhaite. Une procédure existe en effet pour que le pharmacien bloque la diffusion des données personnelles si un patient lui en fait la demande. Comme le souligne la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), « pour s’opposer au traitement de ses données personnelles, le patient doit s’adresser au pharmacien qui, au moment de l’introduction de sa carte Vitale, scannera un code-barres fourni par IQVIA ». Une procédure simplifiée qui n'est toutefois opérationnelle que depuis août 2020. Avant cette date, c'est en effet le patient lui-même qui devait prendre contact avec IQVIA pour obtenir, puis donner au pharmacien le code permettant de bloquer l'envoi des données. Et ne parlons même pas du véritable parcours du combattant imposé jusqu'en 2019 aux patients qui voulaient s'opposer à la transmission de leurs données. Une seule solution était alors possible : indiquer des informations personnelles à IQVIA (âge, date de naissance, médicaments consommés…) pour espérer trouver son profil pseudonymisé dans la base de données et ainsi le supprimer… Si la procédure a mis autant de temps à être simplifiée cela s'explique, selon Dimitri Guillot d'IQVIA, par le fait que l'entreprise n'est pas elle-même propriétaire d'un logiciel de gestion d'officine (LGO). « Nous n'étions pas prioritaires, on est donc passé en queue de peloton et il a fallu attendre plus d'un an pour que la procédure puisse évoluer. »

Des données qui ont une « vraie utilité »

Pour Pierre Béguerie, le président de la section A du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP), s'il est bien sûr important de rappeler aux pharmaciens leurs devoirs en matière d'information des patients, il appelle ces derniers à ne pas faire d'amalgame. « Il faut éviter la confusion des genres entre la collecte de données à des fins purement commerciales et la collecte d'informations qui sont ensuite transférées à la Sécurité sociale ou qui aide le pharmacien dans la gestion de son entreprise comme c'est le cas avec IQVIA. Collecter ces données, cela a une vraie utilité », souligne-t-il.

Lire également sur ce sujet notre enquête « A qui profitent les datas ? » publiée le 30 mars dernier.

Pascal Marie

Source : Le Quotidien du Pharmacien