Le problème du financement des retraites en France a été créé de toutes pièces par trois formes d'irrationalité : celle des actifs qui veulent une bonne retraite, mais le plus tôt possible ; celle des gouvernements, y compris celui de M. Macron, qui, explorant toutes les pistes de financement, remettent chaque fois en question ce qu'ils avaient décidé de ne pas changer ; et celle des syndicats qui se mettent à hurler dès que l'on parle de prolongation des carrières, sous le prétexte que le départ a déjà été repoussé de 60 à 62 ans.
La légitimité de Mme Buzyn à donner son avis sur la réforme des retraites est indéniable. C'est elle qui est censée la porter un jour devant les élus. Tout au plus peut-on lui reprocher d'avoir trahi, en quelque sorte, le serment de M. Delevoye, qui s'en est assez plaint pour que le gouvernement, derechef, démente la prolongation d'activité. Mais, au fond, la date de départ est-elle importante ? Ou, pour le dire d'une autre manière, s'il faut fixer une date de départ, on n'est pas obligé de la respecter. Il est déjà démontré que, si l'on excepte les régimes spéciaux, la date moyenne de départ à la retraite a été de 63,3 ans en 2018. Les pouvoirs publics, en effet, ne veulent pas obliger à partir les seniors qui sont contents de continuer à travailler encore deux ou trois ans de plus.
De la même manière, si la réforme est assez ambitieuse pour introduire un système à points et non plus à l'ancienneté, la date de départ n'a plus aucune raison d'être. On cotise pour soi et non plus pour la génération précédente. On travaille autant que l'on veut ou que l'on peut. Quant on a assez de points pour avoir une vie décente de retraité, on peut partir. Si le nombre de points est insuffisant, on reste au travail. Le permis à points existe déjà. La réforme dont il est question ne concerne que la retraite de base de la Sécurité sociale. Mais les systèmes complémentaires attribuent des points aux années de travail, chacun de ces points ayant une valeur en euros, ce qui permet de calculer en un clin d'œil le montant de sa pension annuelle.
Un financement insuffisant
La fermeté des syndicats, la diplomatie feutrée de Jean-Paul Delevoye, qui fait semblant de ne pas être intéressé par l'âge de départ (alors que, dans le système actuel, la prolongation de la vie active est le seul moyen d'instaurer l'équilibre financier de la Caisse nationale d'assurance-vieillesse) et la nervosité des actifs résultent d'une insuffisance de financement contenue dans le système à points. Ce qui explique que Mme Buzyn ait donné une piqûre de rappel aux négociateurs : si un salarié veut une pension décente, il doit travailler assez longtemps. M. Delevoye se plaint du timing de l'intervention de la ministre, mais, dans ce genre de dossier, le timing n'est jamais le bon.
On comprend donc que même le système à points ne suffit pas à boucler le budget des pensions. Les bénéficiaires des caisses complémentaires l'ont appris à leurs dépens : leurs pensions sont gelées depuis quatre ans. Dans ces conditions, il est très probable que les actifs ne pourront pas partir à 62 ans. Les syndicats peuvent organiser la manifestation du siècle, ils n'échapperont jamais à la réalité des chiffres. Comme l'a rappelé Agnès Buzyn, les Français vivent plus longtemps, avec une meilleure qualité de vie. Les métiers ont changé et sont de moins en moins physiques, de plus en plus intellectuels. Un sexagénaire est une personne qui a encore tous ses moyens, l'expérience en plus. Enfin, contrairement aux idées reçues, tous nos concitoyens ne rêvent pas de la retraite. Beaucoup veulent continuer à être utiles.
A la réforme des retraites, il faut ajouter la rédaction d'une loi sur la dépendance, qui, compte tenu de la longévité moyenne, laquelle n'a cessé d'augmenter au cours des 70 dernières années, doit être impérativement financée. Gouvernement et syndicats vont être très occupés. En tout cas, il est temps de renoncer au mythe de la solidarité entre les générations qui n'existe plus qu'au niveau de la cellule familiale.
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