Les pharmaciens ne grossiront pas le défilé de commerçants, de routiers et d’agriculteurs qui ont prévu de bloquer aujourd’hui la rocade qui mène au port de Calais. Ils ne peuvent, disent-ils, se permettre de baisser leur rideau.
Et surtout, ces « commerçants pas comme les autres », comme ils aiment à se définir, ne se sentent pas fragilisés de la même manière que les autres secteurs d’activité pris à partie par les migrants, comme les agriculteurs ou les transporteurs. Même si, comme le rapporte un pharmacien, un chauffeur de l’OCP qui ralliait Lille à Boulogne a été intercepté sur l’autoroute par des réfugiés.
La majorité des pharmaciens de la ville, à l’instar de Thomas Marchandise, ne veut pas se comparer aux restaurateurs et aux hôteliers, victimes de la fuite des touristes : « l’origine des difficultés de l’officine est ailleurs ». Aussi, alors que la jungle est située à sept kilomètres du centre-ville, les officinaux ne subissent pas les conséquences de ce camp où sont réfugiés 10 000 migrants. Si ce n’est par ricochet, sur l’image de leur ville. Elle se détériore, en effet, à la mesure des drames humains qui se trament dans la « jungle » et sur l’autoroute où les camions sont pris d’assaut. « Autrefois, il y a encore cinq ans de cela, j’avais beaucoup d’Anglais, une clientèle belge… Ils ont tous disparu », constate Éric Loiez, titulaire de la pharmacie de la plage. Perplexe, il ajoute : « et pourtant, paradoxalement, il n’y a pas un seul migrant à la plage ».
Attroupements
Marie-José Brullé, titulaire dans une petite rue du Centre-ville, est sans doute la seule pharmacienne confrontée chaque jour aux réalités de la jungle. Son officine est mitoyenne de France Terre d’asile, l’organisme chargé d’aider les réfugiés à établir leur dossier de demande d’asile. « La file d’attente de 30, 40, voire 50 demandeurs d’asile occupe tout le trottoir. Certains s’assoient devant ma porte et je dois continuellement leur demander de bien vouloir se décaler », décrit la titulaire qui, chaque matin, doit nettoyer à grande eau l’accès à sa pharmacie. Certes, reconnaît-elle, « il n’y a jamais eu aucun incident, les rares migrants qui entrent à l’officine sont polis, mais cet attroupement en permanence devant la pharmacie effraie ma clientèle ».
Marie-José Brullé, qui déplore une baisse de fréquentation, s’en est ouverte à la mairie et à la sous-préfecture. Mais, comme la ville tout entière dont elle partage l’exaspération, elle a le sentiment d’être oubliée, sinon sacrifiée à l’immobilisme des pouvoirs publics. Et ce n'est pas la - huitième - visite de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, qui leur donnera l'espoir d'un changement.
Sur la frontière qui tue
L’inaction et les insuffisances de l’État sont elles aussi au cœur des accusations de Frédérique Scassia. Depuis trois ans, cette pharmacienne adjointe (voir son portrait dans « Le Quotidien du pharmacien » n° 3244 du 29 février 2016) porte secours inlassablement aux réfugiés « sur la frontière qui tue ». Alors qu’autrefois son action consistait à intervenir en tant que pharmacien référent pour Médecins du Monde avec le soutien de son pharmacien titulaire, son rôle est essentiellement axé aujourd'hui sur la prise en charge des problèmes psychologiques. « Ces Syriens ou ces Soudanais ont tout perdu, tout quitté, et ils ne peuvent se projeter dans l’avenir. »
Si elle comprend l’exaspération des riverains, des routiers, des agriculteurs et de certains commerçants, Frédérique Scassia invite à éviter les amalgames : « Beaucoup de difficultés économiques à Calais résultent d’une baisse générale du pouvoir d’achat et d’erreurs commises autrefois dans la politique de la ville. » Certes Calais souffre d’une mauvaise image mais, selon elle, certaines décisions comme la sécurisation du port et du tunnel sous la Manche, ont encore aggravé la rétention des migrants. Et, avec elle, l’insalubrité, la promiscuité et les risques de voir émerger de nouvelles pathologies à l’approche de l’hiver.
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