Vite, une notification ! Depuis une semaine, les groupements de pharmaciens sont en ébullition. La cour d'appel de Paris a en effet rendu, le 17 septembre, un arrêt selon lequel l'État n'ayant pas notifié aux États membres de l'Union européenne que les règles françaises en matière de communication et de publicité des pharmacies s'appliquent sur le sol français, celles-ci ne sont pas opposables.
En clair, pourvu que leurs propres règles nationales les y autorisent, les pharmacies en ligne européennes ont désormais tout le loisir d'inonder le marché français en flyers publicitaires. À l’instar du Néerlandais Shop Apotheke qui, en 2015, avait recouru à la méthode dite de « l'asilage » pour mener auprès des consommateurs français une campagne en déposant dans plusieurs millions de colis Zalando, Showroomprivé et La Redoute, des offres de rabais de 5 % ou 10 % pour ses médicaments vendus en ligne.
Demain, les mêmes acteurs ou d'autres pharmacies en ligne européennes pourront diffuser des spots publicitaires sur les chaînes de télévision françaises. On l'aura compris, l'émotion est grande au sein des groupements français qui s'estiment muselés dans leur communication et se trouvent désormais soumis à une distorsion de concurrence. La colère est d'autant plus grande que l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO) avait, aux termes d'une bataille judiciaire contre Shop Apotheke, obtenu le 1er octobre 2020 un arrêt en faveur des groupements auprès de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Celle-ci reconnaissait à la France le droit d'appliquer sa réglementation en ce qu’elle interdit « à des pharmacies de solliciter leur clientèle par certains procédés et moyens, notamment ceux consistant à distribuer massivement des courriers postaux et des tracts à des fins publicitaires en dehors de leur officine ».
De même, la CJUE a estimé que le droit français peut s’appliquer dans l’interdiction faite « à des pharmacies de faire des offres promotionnelles visant à octroyer un rabais sur le prix global de la commande de médicaments lorsqu’il dépasse un certain montant, à condition toutefois qu’une telle interdiction soit suffisamment encadrée, et notamment ciblée sur les seuls médicaments et non sur de simples produits parapharmaceutiques ». Enfin, la CJUE n'a pas jugé incompatible avec la directive européenne sur le commerce électronique (n° 2000/31/CE du 8 juin 2000) le fait d’imposer « à des pharmacies vendant de tels médicaments, l’obligation d’insérer un questionnaire de santé dans le processus de commande de médicaments en ligne ».
Un oubli intentionnel ?
En même temps, obligation était faite à la France de notifier à l'État membre - les Pays Bas en ce qui concerne ShopApotheke - que son droit s'applique sur son marché officinal. Cet « oubli » de l'État français laisse aujourd'hui libre cours aux interprétations. Ne s'agit-il que d'une omission qui s'expliquerait par la survenue de la crise sanitaire ? Ou s'agit-il d'un refus qui, alors, trahirait une position ultralibérale et signerait de facto la fin du modèle français ? Le président de la cour d'appel juge en effet abstraites les dispositions du code de la santé et renvoie plus volontiers « aux avis que l’Autorité de la concurrence a successivement émis sur ce segment de marché et ses modalités électroniques de vente (...) au terme desquelles il est déploré l’inadaptation, à la limite du protectionnisme, de certaines dispositions du code de la santé publique (...) ».
Dans ce contexte, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), estime que la notification n'aurait pas suffi à emporter la décision du magistrat de la cour d'appel. De plus, il ne croit pas que les produits de médication officinale puissent être achetés massivement en ligne et reste convaincu que le phénomène de la vente en ligne restera marginal, cantonné essentiellement à des produits hors monopole, dermocosmétiques, compléments alimentaires.
Difficile de chiffrer l'impact que pourrait avoir cette concurrence européenne sur le marché français. Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), se refuse à cet exercice, car, affirme-t-il, « son syndicat ne lâchera pas l'affaire. Il veut une réponse du gouvernement. La non-notification relève-t-elle d'une négligence ou d'une volonté politique ? » Et de déplorer : « La bataille contre ShopApotheke avait été gagnée. Or notre victoire est désormais réduite à néant. »
La fin du modèle français ?
Les groupements veulent eux aussi connaître le fin mot de l'histoire. En effet, dénonce Cyril Tétart, président de l'Association française des pharmacies en ligne (AFPEL), « cet arrêt de la cour d'appel de Paris est l'un des jugements les plus importants pour la profession car il risque d'ouvrir la boîte de Pandore ». Laurent Filoche, président de l'UDGPO, a annoncé vouloir interpeller sans tarder Olivier Véran, ministre de la Santé. « Les pharmaciens néerlandais vont-ils vacciner et tester les Français contre le Covid ? », ironise-t-il, pointant du doigt la prochaine échéance électorale.
« Nous sommes dans l'obligation de réagir ! », affirme de son côté Jean-Baptiste de Coutures, président du groupement Giphar, qui dénonce l'iniquité de la situation. « Les acteurs des autres États membres peuvent faire de la publicité pendant que les pharmaciens français restent assujettis à des règles qui leur défendent même de communiquer sur leur travail de santé publique comme les TROD ou la vaccination ! », déplore-t-il. Selon lui, les pharmaciens français n'ont plus le choix. Ils doivent désormais s'affranchir de ces contraintes, soit en obtenant une évolution rapide des textes sur la communication et la publicité, soit en se saisissant eux aussi de nouvelles opportunités.
La colère gronde d'autant plus au sein des groupements qu'ils ont fait de la communication l'un de leurs chevaux de bataille. Le scandale provoqué au sein de la profession par la non-notification est ainsi pour eux l'occasion de rappeler l'absence d'un autre texte : la profession est toujours dans l'attente du code de déontologie dont la refonte avait été promise pour cette rentrée. La dernière version proposée par le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens devait être soumise au ministère de la Santé début juillet. « Rien n'est tranché. Cela fait dix ans que les groupements demandent ce qu'ils peuvent faire ou non », s'exaspère Hervé Jouves, directeur général de LafSanté. « Il y a, exhorte-t-il, urgence à agir pour défendre l'intérêt des pharmaciens français car l'arrêt de la cour d'appel de Paris ouvre une nouvelle brèche dans la concurrence déloyale entre les pharmaciens de certains États membres et nos officinaux, seuls et sans moyens. » Sollicité par « Le Quotidien du pharmacien », l'Ordre n'a pas répondu.
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