Avec son hashtag #MeTooSanté, le secteur de la santé balance son soignant. Sept ans après le début du mouvement #MeToo dénonçant les violences sexistes et sexuelles (VSS), des médecins, pharmaciens, étudiants… multiplient les témoignages à l’hôpital, beaucoup, mais aussi en ville. L’officine n’est pas épargnée. « J'ai été embêtée une fois par un titulaire alors que j'étais diplômée depuis peu. Il se frottait à moi à chaque fois qu'il passait derrière moi, c'était très déplaisant. Jusqu'au jour où j'ai osé lui dire d'arrêter de me toucher. C'est rentré dans l'ordre mais il ne m'a plus jamais dit bonjour pendant les quelques mois de remplacement que j'effectuais dans son officine… », se souvient une jeune pharmacienne.
En 2022, l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) a mené une grande enquête pour dresser un état des lieux des VSS dans les différents métiers de la pharmacie. Le constat est édifiant. À l’officine, près d’un tiers des étudiants (32,6 % des 2 103 personnes interrogées), surtout les femmes (deux fois plus nombreuses), affirmait avoir déjà été confronté à des remarques sexistes. 30 % des répondants avaient déjà été victimes de harcèlement au sein même de l’officine (34,8 % des femmes et 22,3 % des hommes). « Job en officine. Le conseil en été était de porter des décolletés pour attirer les clients », témoigne ainsi anonymement une étudiante. Ces agissements proviennent pour la majorité des patients (80,3 % des répondants) mais également des membres de l’équipe officinale (37,1 %).
À l’hôpital, les chiffres d’agression sont similaires mais le profil des auteurs est différent : les violences sont autant commises par les patients (32,2 %), les médecins (37,7 %) que les internes (30,1 %).
Plus grave, 15 % des étudiants en pharmacie (19 % des femmes et 8 % des hommes) ont subi des agressions sexuelles dans leur milieu professionnel. À l’officine, ces actes ont été majoritairement commis par des pharmaciens (53,2 %), des préparateurs (38,9 %), des patients (10,6 %). L’une des étudiantes y décrit le viol qu’elle a subi de la part de son titulaire, au moment de la fermeture de l’officine, au cours de son stage de sixième année.
Selon l’ANEPF, seulement 6 % des étudiants ont signalé les agissements, outrages sexistes et harcèlements sexuels. Pour plus de 8 étudiants sur 10, la démarche n’a pas eu d’utilité. Pour les agressions sexuelles et les viols, les déclarations n’ont lieu que dans 25 % des cas. Pour les étudiants qui n’ont pas dénoncé ces violences, les raisons invoquées sont la méconnaissance des dispositifs, la peur des représailles (« Ce sont en général des profs ou des autorités donc ce sont eux qui gèrent notre réussite dans nos études », témoigne une étudiante), ou même la lassitude de la situation. « Qui croirait l’étudiante ? », résume une victime.
L’impulsion des étudiants et des universités
Dans l’ensemble, la profession a pris conscience de la situation et s’est saisie du sujet. Les premières à dégainer ont été les facultés. La conférence des doyens des facultés de pharmacie a ainsi rédigé un guide de signalement des violences sexistes et sexuelles, diffusé dans ses 24 facultés. Des défenseurs des droits (étudiants, personnels et/ou enseignants) qui luttent contre toutes les formes de violence et de discrimination, présents au sein des universités, servent de relais. Certaines facultés organisent des groupes de travail et des journées de sensibilisation.
Plus récemment, le 29 avril, les étudiants de l’ANEPF ont été reçus par le cabinet du ministre délégué à la Santé, en présence du ministre Frédéric Valletoux lui-même, avec les autres étudiants en santé pour construire les prochaines mesures à mettre en place dans l’ensemble du secteur de la santé. Des groupes de travail sont constitués.
« Si la libération de la parole a concerné en premier lieu l’hôpital, c’est l’ensemble des étudiants et des professionnels de santé qui sont concernés, à l’hôpital comme en ville, d’autant qu’il existe des mobilités entre les deux univers », a prévenu Frédéric Valletoux qui, face à la déferlante de témoignages de soignants, a dévoilé le 31 mai les premières lignes de son plan d’action pour prévenir et lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde de la santé. Un plan qui ressemble beaucoup à celui du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche mis en place à la rentrée 2021.
Et après ?
Ce plan 2024 est orchestré en 4 grandes mesures « très concrètes, concertées avec l’ensemble des acteurs » et qui « répondent à l’urgence et ont vocation à transformer durablement les comportements, pour que les lieux de soins soient des lieux où chacun puisse étudier et exercer son métier, en toute sécurité, dans un environnement protégé », espère Frédéric Valletoux. Premier axe : renforcer l’efficacité des enquêtes. Pour améliorer les suites données aux signalements, une équipe nationale d’experts enquêteurs, en capacité de venir en appui d’un établissement de santé en cas de signalement de VSS, devrait être créée et, pour l’efficacité des procédures, un travail commun entre ministères de la Santé, de la Justice et de l’Enseignement supérieur sera conduit.
Deuxième axe : former l’ensemble des professionnels, y compris les conseillers ordinaux et les maîtres de stage. Le ministre veut une formation obligatoire à partir de 2024, avec un délai de 3 ans, pour tous les professionnels travaillant dans les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux de la fonction publique hospitalière. La mesure pourrait s’exporter à l’officine. « Pour l’officine, l’enjeu est surtout au niveau des maîtres de stages. Ce que l’on demande depuis deux ou trois ans, c’est que les maîtres de stage qui encadrent les étudiants soient formés obligatoirement aux violences sexistes et sexuelles. On va même plus loin car on demande que nos enseignants, au sein des UFR, soient aussi formés aux violences sexistes et sexuelles, affirme Lysa Da Silva, présidente de l’ANEPF. Pour nous, c’est primordial. Ce ne sont plus les mêmes mentalités, ni les mêmes sensibilités. Ce qui pouvait être cautionné avant ne l’est plus aujourd’hui. On s’aperçoit aussi que certains de nos interlocuteurs ne se rendent pas compte de ce qu’ils disent et que, derrière, cela peut heurter. Il faut donc au moins une sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles car une fois que la personne est sensibilisée, elle n’a plus d’excuse. »
Ce que l’on demande depuis deux ou trois ans, c’est que les maîtres de stage qui encadrent les étudiants soient formés obligatoirement aux violences sexistes et sexuelles
Lysa Da Silva, présidente de l’ANEPF
Le troisième axe consiste à déployer un dispositif pluridisciplinaire de prise en charge des victimes pour mieux les accompagner, avec une ligne d’écoute attribuée ainsi qu’un accompagnement psychologique, médical et professionnel des victimes. Il sera confié à une association spécialisée.
Enfin, le quatrième axe vise à promouvoir une plus grande transparence « pour mettre fin à la culture du secret », détaille le ministère de la Santé. Il prévoit une communication annuelle pour rendre compte du traitement des signalements et des sanctions, et un baromètre annuel des violences sexistes et sexuelles pour le suivi.
« C’est la première étape d’un travail qui se poursuit et qui aboutira à la présentation d’un plan national de prévention et de lutte contre les VSS d’ici la fin de l’été », avait annoncé Valletoux juste avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Reste à savoir ce qu’en fera le nouveau gouvernement nommé à l’issue des élections législatives anticipées. Rassemblement national, coalition de gauche et majorité présidentielle s’engageaient chacun dans leur programme législatif respectif à prendre de nouvelles mesures pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, et pas uniquement dans le monde de la santé.
Définition des violences sexistes et sexuelles
Outrage sexiste : le fait d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante (article 621-1 du Code pénal).
Agissement sexiste : tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant (article 6 bis de la loi de 1983).
Harcèlement sexuel : propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante (article 222-33 du Code pénal).
Agression sexuelle : constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise (article 222-22 du Code pénal).
Viol : tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol (article 222-23 du Code pénal).
(Source : ANEPF)
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