SI ELLE A PERMIS d’améliorer considérablement la prise en charge des toxicomanes, la buprénorphine haut dosage (Subutex et génériques) fait également l’objet de mésusage - selon les spécialistes, environ 15 % des utilisateurs se l’injecteraient au lieu de l’utiliser en sublingual -, ainsi que de trafic (prescription abusive puis revente au marché noir). Telle est l’alerte que vient de lancer l’Académie de médecine. Pour remédier à ces dérives, les sages demandent aux pouvoirs publics de mettre en place trois mesures : prescrire la méthadone en première intention, privilégier les génériques du Subutex qui sont plus difficilement injectables, ou encore la Suboxone (buprénorphine + naltrexone), qui préviendrait l’effet shoot de la buprénorphine.
Mais l’association Fédération Addiction, qui regroupe les spécialistes de l’addiction, a vivement réagi à ce discours qu’elle estime inadapté et « malveillant ». Cette « étrange communication semble remettre en cause les stratégies de réduction des risques relatives à l’accès aux traitements de substitution qui ont pourtant été définies par les différentes conférences de consensus », souligne Fédération addiction. Pour l’association, ces propositions soulignent la méconnaissance du sujet par les Académiciens : si elles étaient appliquées, ces mesures « aggraveraient le coût pour la société et les conséquences pour les usagers », précise-t-elle.
Prescrire d’abord la méthadone.
Pour revenir sur la première proposition de l’Académie, qui consiste à « prescrire la méthadone en première intention », elle paraît difficile à appliquer en France, à moins de revoir tout le système de soins qui a été instauré dans la prise en charge de la toxicomanie. À savoir : une prescription initiale hospitalière (ou émanant d’un centre de santé) pour la méthadone, et une prescription et délivrance de la buprénorphine en ville. Or ce modèle français a fortement contribué à la réduction de la morbi-mortalité des usagers de drogue. « Il vise à éloigner les patients du marché de la drogue, à réduire les overdoses, à contrôler les épidémies de VIH et d’hépatites C tout en contribuant à l’insertion sociofamiliale des usagers », commente Fédération addiction. Autrement dit, « ce système est efficace, alors on se demande pourquoi le remettre en cause », conclut Mustapha Benslimane, directeur de l’Association Nova Dona, qui gère un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogues (CAARUD).
Prescrire des génériques difficiles à injecter.
Une autre piste des Académiciens serait de privilégier les génériques qui sont plus difficiles à injecter, car ils provoquent des effets secondaires tels que des nécroses au point d’injection. Mauvaise technique, rétorquent les spécialistes de l’addiction, surtout que, aujourd’hui, les formulations des génériques du Subutex ont été modifiées afin de limiter ces risques en cas d’usage parentéral. « En effet, on s’est rendu compte qu’en privilégiant les formes difficiles à injecter, on augmentait le risque d’accident, explique Mustapha Benslimane. Car lorsque l’on prescrit un générique à un patient à la place du Subutex qu’il utilisait par voie parentérale, il s’injectera aussi le générique, avec les risques d’accidents qui en découlent. Ou alors il retournera vers les réseaux parallèles pour se procurer illégalement les produits. » On est donc loin d’une stratégie de prévention des risques.
De même, les médecins ont peu recours à la Suboxone (naltrexone + buprénorphine) chez les patients qui ont tendance à s’injecter leur traitement de substitution, car ils refusent en général de l’utiliser.
L’Académie de médecine a toutefois le mérite de relever la problématique et la complexité du mésusage de la buprénorphine, qui est notamment utilisée par voie parentérale au lieu de sublinguale. « Mais plutôt que de rendre son injection impossible, les autorités sanitaires réfléchissent, à l’inverse, à autoriser une forme de buprénorphine injectable. Ou d’élargir la prescription initiale de méthadone aux médecins de ville. Ou encore, d’augmenter l’offre de substitution en proposant le Skenan (sulfate de morphine) en ATU dans le traitement de substitution de la toxicomanie », évoque Mustapha Benslimane. Une stratégie d’élargissement de la substitution aux opiacés que n’apprécieraient sans doute pas les médecins de l’Académie.
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