L’ÉPIDÉMIOLOGIE bactérienne est chaque jour un peu plus préoccupante. S’agissant des bactéries à Gram négatif, le Pr Vincent Jarlier (Laboratoire de Bactériologie-Hygiène, faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, Paris) rappelle ainsi la chronologie des trois vagues successives de résistances acquises aux bêtalactamines en ce qui concerne les entérobactéries : celle des années 1960, pour l’ampicilline et l’amoxicilline (plus de 50 % de résistance en France), celle survenue durant les années 1980 pour les céphalosporines de 3e génération et enfin, les années 2000 pour les pénèmes (les antibiotiques parmi les plus puissants à notre disposition). Et cette situation est encore plus préoccupante, souligne le spécialiste, si l’on considère l’excrétion massive d’entérobactéries (dans les fèces ou les urines) dans le milieu extérieur par les patients et leur non-inactivation dans les stations d’épuration.
Réalité souvent méconnue, l’origine de la résistance aux antibiotiques, produits très souvent initialement d’origine naturelle ne l’oublions pas, élaborés par des bactéries ou des champignons pour se protéger contre d’autres micro-organismes, a une origine très ancienne, bien antérieure à la médecine moderne, souligne le Pr Gérard Lina (Laboratoire de microbiologie, centre hospitalier Lyon-Sud). C’est ainsi que l’on a découvert dans des grottes souterraines jamais visitées par l’homme des bactéries possédant des gènes de résistance à la plupart des familles d’antibiotiques utilisées en thérapeutique…
Les bactéries à Gram positif ne sont pas en reste pour développer des résistances, notamment à la méticilline. C’est par exemple le cas du redoutable Staphylococcus aureus, qui peut être à l’origine d’infections suppuratives (cutanées, endocardites, ostéoarticulaires, pulmonaires…) et de toxémies (intoxications alimentaires, chocs toxiques, maladies exfoliantes…). Les entérocoques (infection urinaire ou abdominale, endocardites), quant à eux, sont devenus massivement résistants aux bêtalactamines et deviennent de plus en plus résistants aux glycopeptides (gentamycine, vancomycine…).
Un meilleur usage des antibiotiques disponibles.
Il faut admettre que l’âge d’or des antibiotiques, né aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, touche à sa fin, souligne le Pr Pierre Tattevin (CHU Pontchaillou, Rennes), face à l’essoufflement du développement de nouveaux antibiotiques.
Diminuer la pression de sélection en réduisant la consommation des antibiotiques chez l’homme et l’animal, en réservant les antibiotiques les plus puissants aux situations les plus graves, relève certes du bon sens. Comme prévenir, autant que faire se peut, la dissémination des souches multirésistantes. Pour autant, il ne peut s’agir que de mesures à l’impact temporaire, visant à gagner du temps.
Des traitements anti-infectieux non-antibiotiques.
Parmi les pistes de recherche les plus porteuses d’espoirs, le Pr Tattevin choisit d’en évoquer trois en détail, à savoir l’emploi de virus bactériophages, le contrôle du comportement des bactéries et le renforcement des réponses de l’hôte.
La découverte des bactériophages remonte à près d’un siècle. La phagothérapie, qui s’est d’abord développée au cours des années 1930, puis rapidement supplantée par l’essor des antibiotiques, s’est maintenue dans les pays de l’ex-Bloc de l’Est, en dépit de la quasi-absence d’études cliniques.
Pourtant, les phages présentent l’avantage d’être extrêmement spécifiques (ce qui représente néanmoins aussi un inconvénient et oblige à envisager d’utiliser des cocktails de phages), de disposer d’une excellente tolérance, et de disparaître naturellement après la destruction totale de leurs cibles. Les essais cliniques demeurent hélas encore très insuffisants, avec néanmoins des résultats (ou des données expérimentales) intéressants dans des otites chroniques à Pseudomonas aeruginosa, la prévention des diarrhées bactériennes (plusieurs préparations de phages ont obtenu l’autorisation de la FDA américaine pour la décontamination des aliments à risque dans l’industrie alimentaire), le traitement curatif de certaines diarrhées bactériennes (à E. coli), ou encore dans des modèles d’infections osseuses sur matériel en synergie avec des antibiotiques.
La piste des immunomodulateurs.
Une autre approche très innovante concerne des oligonucléotides antisens capables d’éteindre certains gènes par appariement spécifique. Relativement aisées à préparer, de telles substances pourraient cibler les principaux facteurs de virulence de telles ou telles bactéries pathogènes. La bactérie n’étant pas détruite, le risque de sélectionner des souches résistantes serait ainsi minimisé. Reste la difficulté à assurer la pénétration de ces produits à l’intérieur des bactéries en raison de l’imperméabilité de la paroi bactérienne. Signalons qu’un premier produit de ce type (fomivirsen) a été approuvé par la FDA, en 1998, dans les rétinites à cytomégalovirus (en relation avec l’infection VIH), mais abandonné en 2004 en raison de la quasi-disparition de cette pathologie grâce au développement des thérapeutiques antirétrovirales. En 2013 paraissait un article relatant l’efficacité d’un autre oligonucléotide antisens (miravirsen) vis-à-vis du virus de l’hépatite C. Enfin, des études sont en cours dans le traitement des fièvres hémorragiques dues aux virus Ebola et Marburg.
La troisième piste, celle des immunomodulateurs, a certes beaucoup déçu dans le passé en ce qui concerne le versant curatif, surtout dans les chocs septiques (inefficacité des anti-TNF alpha et des facteurs de croissance hématopoïétiques), mais on sait l’intérêt présenté par les interférons et les succès des immunoglobulines polyvalentes dans les infections bactériennes où l’action toxinique est au premier plan.
Retour à un passé revisité.
D’autres pistes, qui peuvent apparaître a priori déroutantes, font également l’objet d’une attention soutenue, stimulée par des études positives. Il s’agit, notamment, de la transplantation fécale (administration de selles d’un donneur sain à un receveur malade), qui a donné des résultats spectaculaires dans des colites à Clostridum difficile multirécidivantes, sévères, ou réfractaires aux traitements habituels, l’asticothérapie utilisant des larves de mouches vertes dans le traitement adjuvant de plaies chroniques surinfectées (indication reconnue en 2004 par la Communauté européenne) et l’apithérapie, qui consiste à utiliser certains miels comme aide à la cicatrisation des plaies et dont des travaux récents ont montré les propriétés anti-inflammatoires, antibactériennes et stimulantes de la cicatrisation.
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