CYSTINE B6 BAILLEUL est née d’une histoire d’amitié. Tout commence pendant la Seconde guerre mondiale, suite à la rencontre entre un médecin et un pharmacien. Nous sommes en 1939, sur le front des Vosges. Une ambulance chirurgicale légère s’occupe des blessés. À l’intérieur, trois professionnels de santé : une jeune infirmière diplômée de la Croix-Rouge, un pharmacien et un médecin. La première s’appelle Jeanne Baufumé, le second Jean Bailleul et le troisième Alphonse Bigou*. Deux belles histoires naîtront de ces rencontres : une histoire d’amour, entre Jeanne et Alphonse, et une amitié, entre le médecin et le pharmacien. En 1940, après l’offensive des blindés allemands, Jeanne l’infirmière et Jean, le pharmacien, sont capturés et se retrouvent prisonniers ensemble en Allemagne. Ils sont cependant relâchés avant la Libération de la France, grâce à leur appartenance au corps sanitaire. Jean Bailleul retourne alors travailler à l’officine, tandis que Jeanne Baufumé épouse Alphonse Bigou. Démobilisé après l’armistice de 1940, le Dr Bigou commence à travailler comme médecin généraliste. Également intéressé par la recherche, il devient l’élève de Lucie Randouin, secrétaire générale de la société scientifique d’hygiène alimentaire. Cette dernière, qui a été directrice du laboratoire de physiologie de la nutrition à la Recherche agronomique de 1922 à 1953, est également la seconde femme à être devenue membre de l’Académie de médecine, après Marie Curie. Lucie Randouin a élaboré les lois de la diététique et, en 1945, a créé des « spécialistes en alimentation rationnelle », ancêtres des diététiciens. Elle travaille notamment sur les vitamines et les acides aminés. Le Dr Bigou devient ensuite son collaborateur et s’intéresse à la cystine, ainsi qu’à ses applications possibles en dermatologie.
Les premiers cachets en 1949.
En 1949, les deux amis travaillent chacun de leur côté, le Dr Bigou en tant que médecin généraliste et Jean Bailleul dans son officine. Mais ils souhaitent également se lancer dans l’industrie pharmaceutique. C’est ainsi que naît le Laboratoire Bailleul, grâce à des financements principalement familiaux. Jean Bailleul quitte son officine pour prendre la direction du tout nouvel établissement, dont il devient pharmacien responsable. Le Dr Bigou, quant à lui, souhaite continuer son activité de médecin généraliste. Les laboratoires sont implantés tout d’abord dans la propriété du Dr Bigou, en Poitou, puis dans l’officine d’un ami de Jean Bailleul, à Champigny. Le premier produit commercialisé par le laboratoire est la cystine, sous forme de cachets à croquer (voir photo). Baptisé « Cystine Bailleul », il est indiqué pour traiter l’alopécie, le psoriasis (une indication qui a disparu à l’heure actuelle), l’asthénie, et a également une action détoxifiante. Ce produit sera commercialisé jusqu’en 1988 et cohabitera pendant un temps avec son successeur, Cystine B6 Bailleul, commercialisé à partir de 1975. Ce nouveau médicament contient, en plus de la cystine, de la vitamine B6, dénommée « adermine » à l’époque. Il se présente à l’origine sous forme de comprimés dragéifiés jaunes, dans une boîte bleu foncé, qui va s’éclaircir au fil des années.
Indication en ophtalmologie.
Progressivement, différentes indications vont ainsi être ajoutées, ou retirées, au gré des associations d’autres molécules avec la cystine. Ainsi, en 1951, la Cystine Choline Bailleul associe de la cystine lévogyre et du bitartrate de choline, avec une indication hépatoprotectrice. À la même époque, des dermatologues marseillais associent cystine et liqueur de Fowler, ou encore cystine, arsenical soluté et antixérophtalmique, dans le traitement du psoriasis. À Saint-Louis, la cystine per os était par ailleurs préconisée dans le traitement de l’acné et déjà associée à la vitamine B6. Les travaux du Pr Hubert Jausion « père de la cystine » (voir encadré), qui dirige le service de dermatologie de l’hôpital franco-musulman de Bobigny - l’actuel hôpital Avicenne - vont aider à promouvoir le médicament. Il apporte d’ailleurs sa contribution au Dr Bigou pour concevoir certaines publicités et communications sur la cystine. Une autre indication découverte pour la Cystine B6 est ophtalmologique. En effet, le Dr Cochet, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital de Gonesse et le Dr Liotet de l’hôpital des Quinze-Vingts, découvrent un effet inhibiteur de la collagénase cornéenne. La cystine B6 permet ainsi de préserver l’intégrité du collagène et de cicatriser l’ulcération cornéenne. Cette indication existe toujours, même si Cystine B6 a surtout connu le succès dans son indication dermatologique.
Une entreprise familiale.
Pendant ce temps, l’entreprise évolue également. Elle quitte Champigny pour s’installer dans le Xe arrondissement de Paris. En 1969, Jean Bailleul se retire du laboratoire. Patrice Bigou, fils d’Alphonse et de Jeanne, rejoint l’entreprise pour gérer ses finances, puis en prend les rênes en 1975. En 1978, le laboratoire déménage à nouveau et s’installe dans le XIe arrondissement, rue de Nemours. Les locaux s’avérant trop petits, un second laboratoire est ouvert, avenue Claude-Vellefaux. Patrice est rejoint par ses frères, Olivier et Thierry, qui se chargent de la direction de départements du laboratoire. Leurs quatre sœurs, Marie-France, Danielle, Véronique et Florence, participent aussi ponctuellement à l’entreprise.
Le Laboratoire Bailleul n’emploie pas de visiteurs médicaux jusqu’en 1979. Pour communiquer sur son produit, des publicités très didactiques sont publiées dans les journaux médicaux. Elles sont rédigées par le Dr Bigou lui-même, qui se penche sur cette tâche la nuit, après sa journée de travail à son cabinet de médecin et ses visites au domicile de ses patients. La communication autour du médicament fait appel à l’image d’une Japonaise, perplexe à la vue de son bonsaï qui perd ses feuilles. Elle est associée à un slogan : « Plus courte sera la chute… Cystine B6 » et reprend les indications du médicament (alopécie, fragilité capillaire, croissance et dystrophie des ongles).
En 1979, trois visiteurs médicaux sont recrutés, les premiers d’une équipe qui s’étoffera au fil du temps. Le laboratoire se lance dans la diversification de ses produits, vers les domaines cosmétique et vétérinaire. La cystine et la vitamine B6 restent cependant au cœur de son activité. Dans les années 1980, plusieurs travaux scientifiques viennent confirmer les actions de la Cystine B6. Le pharmacologue allemand Schiegelow démontre que les composés soufrés (tels que la cystine) se concentrent dans le follicule pilo-sébacé, ainsi que dans la matrice et le lit de l’ongle. Il révèle également que la cystine administrée per os provoque la croissance cellulaire dans ces zones. Elle permet donc de faire pousser à la fois les cheveux et les ongles. D’autres travaux montrent que la vitamine B6 est nécessaire à l’action de la cystine. Et d’autres encore, confirment l’activité anticollagénasique de Cystine B6 en ophtalmologie.
Un produit OTC depuis 2005.
En 1987, les installations Bailleul sont regroupées à Neuilly-Plaisance. En 1989, Patrice Bigou initie le rachat des Laboratoires Thérica et élargit ainsi son portefeuille de produits. En 2006, Bailleul rachète le laboratoire Biorga, et prend le nom de Laboratoire Bailleul Biorga. Jusqu’en 2005, année où Cystine B6 est déremboursé, le produit connaît un succès croissant. « Nous en vendions 10 millions d’unités par an avant le déremboursement », explique Éric Lambert, directeur commercial chez Bailleul-Biorga. « 40 millions de patients ont ainsi pu profiter de ce traitement depuis son lancement, dont 90 % de femmes », poursuit-il. Après 2005, le conditionnement en 20 comprimés de Cystine B6 cède la place à deux nouveaux conditionnements, en 60 et 120 comprimés, mieux adapté à des traitements de 4 comprimés par jour pendant au moins trois mois. « Après 2005, le produit a entamé sa deuxième vie, explique Éric Lambert. Les pharmaciens ont alors eu la possibilité de le conseiller eux-mêmes. Il est maintenant devenu un vrai produit OTC, avec 80 % des ventes réalisées sur les conseils du pharmacien ou en automédication. » Les 20 % restants correspondent aux prescriptions par les médecins, dans le traitement de la chute des cheveux. Dans les années 1990-2000, de nouveaux travaux prédisent de futures applications pour la molécule. « Des études ont montré l’intérêt de l’association Cystine et vitamine B6 dans la prévention de l’alopécie due aux chimiothérapies, souligne Éric Lambert. Des mécanismes de protection par la cystine ont aussi été mis en évidence vis-à-vis de toxiques de l’environnement, tels que la fumée de cigarette. Mais également dans la trichotillomanie, un trouble compulsif qui conduit à s’arracher les cheveux. » Les indications de la cystine pourraient ainsi s’élargir à nouveau. « Le choix initial de la cystine par le Dr Bigou ne s’est jamais démenti et se confirme d’année en année, estime Éric Lambert. Nous n’avons pas encore fait le tour de toutes ses possibilités et nous continuons à investir dans la recherche et le développement de ce produit. »
Pharmaco pratique
Accompagner la patiente souffrant d’endométriose
3 questions à…
Françoise Amouroux
Cas de comptoir
Les allergies aux pollens
Pharmaco pratique
Les traitements de la sclérose en plaques