« JE REDOUTE que les génériques d’antibiotiques injectables nous donnent une fausse impression de sécurité ! » Et cette crainte exprimée par le Dr?Rémy Gauzit, réanimateur à l’Hôtel-Dieu de Paris et membre du groupe de travail anti-infectieux (GTA) de la commission d’AMM, n’est pas sans fondements. « Il ne faut surtout pas voir une attaque contre le principe des génériques. » Mais si ces molécules ne fournissent pas l’efficacité escomptée, « nous risquons d’être confrontés à un problème de santé publique, alors que les génériques ont représenté en 2010 plus des deux tiers de la consommation mondiale d’antibiotiques et que des conséquences sur la résistance pourraient exister… »
Une étude colombienne en août 2010.
Les doutes de Rémy Gauzit ne sont pas subjectifs. Bien au contraire. Ils sont nés de la lecture d’une étude colombienne en août 2010, apparemment de qualité, qui soulignait une moindre efficacité des génériques de la vancomycine. Il aborde le sujet lors d’une réunion du groupe de travail des traitements antiinfectieux (GTA) de la commission d’AMM, sans trouver, auprès du personnel administratif de l’Afssaps, l’écoute favorable qu’il escomptait.
C’est la revue de la littérature qui confirme les doutes ou, tout au moins, soulève les questions qu’il convient de se poser dorénavant sur les génériques des antibiotiques injectables. « Dans la réglementation actuelle, aucune étude de bioéquivalence n’est nécessaire pour les génériques injectables, sauf si les contrôles de qualité montrent l’existence d’une interaction entre un excipient et la substance active. » Le réanimateur scinde les résultats de la vingtaine d’études à sa disposition.
Variable du simple au double.
Se penchant tout d’abord sur la pharmacocinétique, il constate, notamment pour la colistine méthanesulfonate et ses génériques, l’existence d’une variabilité importante. Alors que ses paramètres pharmacocinétiques sont similaires pour toutes les présentations, ceux de la colistine base (produit de dégradation de la colistine méthanesulfonate, qui représente la forme active de l’antibiotique) ne sont pas concordants. D’où un rendement en colistine base variable du simple au double entre le princeps et certains génériques.
Ensuite, il regarde ce qui se passe in vitro. Les études suggèrent pour deux génériques de la teicoplanine sur sept une CMI double des autres sur des souches de staphylocoque méthi-R. Pour la tazocilline, 46 lots de génériques testés sur diverses bactéries (E. coli, staphylocoque doré, pyocyanique) montrent des variations d’efficacité allant de + 10 à – 42 % (– 16 % en moyenne). « Un générique arrive à – 60 % d’efficacité in vitro sur le pyocyanique. »
Les études menées sur l’animal apportent des informations également inquiétantes. Chez la souris neutropénique, un modèle d’infection de la cuisse et un autre de méningoencéphalite montrent globalement une dispersion de l’activité des génériques par rapport aux antibiotiques princeps (oxacilline, gentamycine, vancomycine, imipénème).
Un service de chirurgie cardiaque.
Quant aux données chez l’homme, elles sont rares. Rémy Gauzit cite essentiellement un travail mené dans un service de chirurgie cardiaque en Grèce. « Les chirurgiens avaient l’impression d’une augmentation des syndromes de réponse inflammatoire systémique depuis l’utilisation d’un générique du céfuroxime. » Schématiquement, le retour à l’antibiotique princeps puis des alternances entre les deux molécules ont confirmé une différence significative des infections postopératoires dues au staphylocoque ciblé par l’antibiotique, quand le générique de céfuroxime était utilisé en antibioprophylaxie.
Reste à comprendre la cause de telles différences. « Nous avons de fortes incertitudes sur l’existence d’une vraie bioéquivalence entre un princeps et son générique. D’une part, les différents sels, esters, éthers, isomères, mélange d’isomères… complexes ou dérivés d’une substance active, sont considérés comme la même substance active, ce qui n’est pas certain en termes de sécurité et/ou d’efficacité. Ajoutons qu’un génériqueur achète sa matière première à différents fournisseurs. Le dossier d’AMM a été constitué avec la molécule provenant de l’un d’entre eux… Qu’en est-il quand il en change ? Il ne dépose pas une nouvelle demande d’AMM. Se posent donc les problèmes de l’origine des matières premières et des divers niveaux d’impuretés générés par les procédés de fabrication. Cet aspect du problème est bien documenté pour la vancomycine. La teneur en principe actif et en produit de dégradation de la vancomycine est variable d’un générique à l’autre et peut devenir significativement différente de celle du princeps ».
« J’en veux à l’Afssaps. Nous avons évoqué cette situation au GTA de la commission d’AMM en septembre 2010. Nous en avons reparlé, plus récemment. Notre souhait est de voir refaire des études chez l’animal, dont le coût est dérisoire. » La demande n’a pas été jugée comme prioritaire et est restée lettre morte, jusqu’à ce jour « alors que des contacts avaient été pris avec deux unités INSERM ».
Fausse impression de sécurité.
« Pour l’instant, il ne s’agit que d’un faisceau d’arguments, aucune preuve formelle n’existe. Mais un certain nombre de questions existe, il faut se donner les moyens d’y répondre. À l’hôpital, nous traitons nos patients avec une fausse impression de sécurité. Les génériques d’antibiotiques changent selon les accords commerciaux. Nous ne savons jamais lequel nous prescrivons. Il paraît nécessaire d’améliorer la qualité de leur dossier d’AMM avec une procédure analytique et galénique plus poussée. Il faudrait également disposer d’études pharmacocinétiques à plus large échelle et effectuer une évaluation de la relation pharmacocinétique-pharmacodynamie dans les règles de l’art. »
« Une réflexion doit absolument être menée en prenant le problème dans sa globalité. Les antibiotiques sont une classe de médicaments à part, qu’il faut préserver. Il est souhaitable que la législation de leur évaluation évolue. »
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