EST-CE une petite mise au pas ou une vaste offensive ? L’administration des douanes a épinglé plusieurs pharmacies en Savoie et en Haute-Savoie pour la fabrication non autorisée d’alcool de bouche. La plupart d’entre elles ont écopé d’amendes allant de 15 000 à 30 000 €, l’une d’entre elles a même atteint la somme de 100 000 € si l’on en croit Jean-Philippe Labattut, chef divisionnaire des douanes de Savoie, lequel justifie l’initiative entreprise par son administration « dans l’intérêt d’informer le public sans pour autant accabler les pharmaciens ».
Les pharmacies savoyardes ne sont pourtant pas les seules à être dans le collimateur des douanes. « Elles sont venues voir certaines officines de Voiron », témoigne ainsi Philippe Canonne, titulaire de la pharmacie du Colombier dans cette ville de l’Isère. Jean-François Fouqué, avocat et ancien juriste des douanes, affirme pour sa part défendre les intérêts d’une quinzaine de pharmaciens dans le sud de la France, du côté des Hautes-Alpes et des Alpes Maritimes. Le phénomène semble déborder le sud-est du pays puisque Daniel Burlet, président du syndicat des pharmaciens de Savoie, affirme avoir été contacté « par un confrère du Maine-et-Loire pour cette question ». D’où le soupçon d’une vaste offensive qui aurait pour objet de multiplier des amendes face à des pharmaciens sans défense, dénonce Jean-François Fouqué. Beaucoup d’entre eux ont ainsi accepté les amendes sans broncher. Certains, notamment ceux qui venaient de s’installer, ont été forcés d’emprunter, ajoute-t-il. Daniel Burlet, tout en reconnaissant que certains confrères ont été un peu légers, à la limite de la loi, souhaite néanmoins que les pharmaciens soient mieux traités. Jean-François Fouqué évoque ainsi de sévères gardes à vue.
Tenir une comptabilité matière.
Les pharmaciens accusés sont-ils vraiment dans l’illégalité ? Cela ne fait aucun doute pour Jean-Philippe Labattut, qui invoque le code de la santé publique et son article L511.1, lequel encadre l’usage de l’alcool en milieu médical et le code général des impôts qui, lui, exonère les pharmaciens de la taxe sur l’alcool payée par les commerces alimentaires, soit 15 € le litre. Une modification relativement récente de la législation, qui date du début des années 2000, oblige les pharmaciens à tenir une « comptabilité matière », c’est-à-dire justifier des entrées et des sorties, dès lors que les quantités utilisées dépassent les 100 litres par an. Dans les contrôles effectués en Savoie par les douanes, ces quantités étaient très largement dépassées, puisqu’elles étaient de 1 500 litres par an en moyenne selon Jean-Philippe Labattut. Certains pharmaciens ont reconnu que celles-ci avaient aussi servi à la fabrication d’alcools locaux, en l’occurrence du génépi en Savoie, du Limoncello dans d’autres départements frontaliers de l’Italie ou d’autres liqueurs à base de fruit. Mais, dans d’autres cas, les quantités étaient plus faibles, de l’ordre de 400 à 700 litres par an, selon Daniel Burlet. Et on a reproché à ces pharmaciens de ne pas tenir de comptabilité matière. « Longtemps, l’usage d’un contingent basé sur le chiffre d’affaires a prévalu et de nombreux confrères ne connaissaient pas l’évolution réglementaire », observe Philippe Cannone, regrettant aussi que l’Ordre n’ait pas mieux communiqué sur le sujet.
Cette relative méconnaissance a empêché certains pharmaciens de réagir, convaincus d’être dans l’illégalité puisqu’ayant vendu de l’alcool de bouche. Mais la défense se prépare petit à petit. Daniel Burlet souligne ainsi que la loi n’est pas si claire que les douanes ne l’affirment. Au-delà des deux articles de loi précités, « aucun texte n’interdit l’usage de quantités supérieures d’alcool. C’est une interprétation des douanes », ajoute-t-il. Le conflit a été présenté un moment comme opposant la réglementation de la vente d’alcool et les usages traditionnels dans certaines régions, les douanes rappelant que le rôle des pharmaciens est aussi de lutter contre l’alcoolisme. « Mais de telles restrictions poseront un problème de santé publique car ces alcools, très ancrés dans l’imagerie populaire locale, seront fabriqués ailleurs dans de moins bonne condition », ajoute Daniel Burlet.
Cet argument ne tiendrait pas devant un tribunal, mais il en est un que Jean-François Fouqué oppose d’emblée et qui peut se révéler décisif en cas de procédure judiciaire, c’est celui de la charge de la preuve. « C’est à l’administration des douanes de prouver que les pharmaciens ont utilisé l’alcool à des fins de bouche, explique-t-il. Les usages qu’on peut faire de l’alcool en pharmacie sont très nombreux, désinfection, préparations, etc.… sans compter que dans nos départements proches de l’Italie, beaucoup d’Italiens viennent acheter de l’alcool dans les officines françaises, car moins taxé. » Quelques pharmaciens ont décidé de porter le litige devant les tribunaux.
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