« RING, STIM, DRILL » ! Entre le pouce et l'index du chef de projet, une pastille rouge. Sur le tableau, il dessine un gros point de la même couleur. La séance de brain storming peut commencer. Elle vient après plusieurs réunions de ce type, qui n'ont pas permis de baptiser le médicament. Des noms très courts, monosyllabiques, fusent. Dans le lot des propositions, un patronyme vient du fin fond de la gorge, avec un « r » d'irritation, comme un appel des larynx inflammés. La dizaine de participants tombent d'accord. La pastille rouge se nommera Drill. La marque est déposée en 1982 par la société Pierre Fabre. A ce moment là, le laboratoire du pharmacien castrais a déjà vingt ans d'existence. Dans les années 1960, il a créé un centre de recherche et reprit plusieurs gammes d'hygiène et de dermocosmétique (Inava, Klorane, Ducray). Au cours de la décennie suivante, le groupe déploie ses premières filiales européennes, lance Galénic et reprend René Furterer. Les années 1980 signent la consolidation de l'entreprise. La mise sur le marché de Navelbine (vinorelbine) est une étape clé de son développement sur le marché du médicament. Mais, décidé à occuper tous les segments de l'officine, le laboratoire ne veut pas négliger celui de la médication familiale, en pleine expansion. L'idée naît alors d'élaborer une pastille dédiée au conseil pharmaceutique, qui va traiter le mal de gorge, les aphtes et les petites plaies buccales. Pour sa composition, on choisit un antiseptique de référence en odontologie : la chlorhexidine. Pour plus d'efficacité, on lui allie un anesthésiant, la tétracaïne. Elle renferme également de l'acide ascorbique. Le duo d'actifs est déjà celui du collutoire Éludril, commercialisé et prescrit dès la fin des années 1960. Comme pour le bain de bouche du même nom, la couleur de la pastille est donnée par l'adjonction du rouge cochenille.
Alerte rouge.
Drill fait donc son apparition sur les rayons des officines en septembre 1984. Elle est tout de suite promue sur les écrans de télévision, ce qui assure son succès au cours des rudes hivers qui vont suivre son lancement. Le tout premier spot est diffusé en 1985 et 1986. Mi-filmé, mi-dessiné, il évoque un univers de science-fiction un peu angoissant. Dans la rue, les passants sont pris d'un mal de gorge figuré par un point rouge. Ils sont repérés sur les écrans d'une sorte de quartier général qui les épie. « Alerte rouge sur votre gorge ! », répète, de façon inquiétante, le haut-parleur. C'est l'alarme générale, telle qu'elle aurait pu être lancée dans la série américaine « La Quatrième dimension », diffusée vingt ans plus tôt sur les écrans français. Le décor noir et blanc accentue le rouge de la pastille. Celle-ci passe aussi au bleu, en 1991, avec le lancement de Drill sans sucre. Cette déclinaison édulcorée à l'aspartam et à l'isomalt arrive alors que les préoccupations diététiques sont déjà très fortes. En 1992, la pub donne plus en détail les bienfaits de la pastille originelle. « En cas de gorge rouge, ne vous trompez pas de pastille rouge », conclut-elle, avec la même voix masculine un peu inquiétante. La même année, la marque accouche d'une troisième référence : Drill Miel Rosat. Cette appellation poétique s'appuie sur une recette ancienne remise au goût du jour. Le miel rosat est inscrit dans le Codex depuis le 19e siècle. C'est un remède élaboré à partir de miel et d'extraits de pétales de roses frais, utilisés pour l'hygiène buccale et les maux de gorge. Chaque pastille renferme donc 200 mg de ce miel « amélioré ». En 1993, ce n'est pas cette référence de couleur orange qui sera mise en avant dans la campagne télé. Ses consœurs rouges et bleues tiennent toujours le haut de l'affiche. En fait, la communication insiste surtout sur la marque elle-même. Elle est répétée à chaque pression sur un bouton de sonnette, figuré par la pastille. Les sonorités de la réclame sont perçantes. Le spot invite à consulter un spécialiste qui n'est pas nommé, mais on pense bien sûr au pharmacien.
L'esprit écologique.
Cette démarche de mise en avant d'une marque ombrelle n'est certainement pas anodine. Pierre Fabre Santé veut jouer sur les différents tableaux du conseil pour les pathologies ORL. Au même moment, il lance une gamme de sirop pour toux sèche et pour toux grasse. Vient aussi un collutoire, qui reprend les actifs de la pastille, dix ans après sa commercialisation. Les aspirations écologiques du milieu des années 1990 et son expertise en phytothérapie inciteront le laboratoire à développer une réponse naturelle au mal de gorge. C'est le collutoire PrimaDrill, dont la formule repose sur une infusion de feuilles de guimauve. La méquitazine de QuitaDrill est la seule excursion de la marque hors de son domaine de prédilection.
En parallèle de ce déploiement français, la marque assure son développement à l'international. Imaginons par exemple sa promotion sur les écrans de Buenos Aires. Un dessin animé montre un homme hurlant de douleur depuis le fond de sa gorge en feu. En Argentine, la marque Drill est présentée comme leader sur le marché français du mal de gorge. Plus proche de nous, au milieu des années 1990, la pub façon « Questions pour un champion ». Scénario simple mais efficace : le présentateur du jeu télé est enroué. Il demande à la candidate de citer un antiseptique et un anesthésiant. Il s'agit évidemment des deux actifs de la pastille.
Conseils maternels.
Entre 1996 et 1999, la campagne met en scène un homme d'affaires dans un train. Le ton est cette fois pleinement humoristique. Arrivée des nouvelles technologies oblige, cet homme allume son ordinateur et, sur l'écran, c'est le visage de sa mère qui apparaît ! Embarras vis-à-vis de son entourage et surtout de la charmante jeune femme assise en face de lui. Bien sûr, Maman lui conseille les pastilles Drill, qu'elle a glissées dans le sac de son rejeton. Idem pour le sirop, alors qu'il prend une pause au bar du train. Dans cette autre pub, les conseils maternels vantent les effets de la carbocistéine. « Coucou, c'est Maman, tu te soignes ? Non, bien sûr ». La mère croit bon de préciser que le sirop est pour adultes…
En 1999, nouveau lancement et nouveau segment investi, avec l'arrivée de CantaDrill. L'année suivante, Drill Citron Menthe fait son entrée dans le monde des pastilles, misant sur son effet rafraîchissant. Pour éteindre l'incendie du mal de gorge, des pompiers sont mobilisés et entrent en piste dans la publicité diffusée entre 2000 et 2003. La couleur de leur vêtement et de leur camion évoque bien sûr celle de la pastille. Le rouge, mêlé à l'argenté et le ton alarmant (« Urgence mal de gorge ! ») rappellent l'univers du spot originel. En 2004 et 2005, c'est un retour à la fin des années 1960 qui est orchestré par la marque. « Drill, agent double contre le mal de gorge » met en scène le tandem John Steed et Emma Peel, sur la bande-son bien connue de la série britannique « Chapeau melon et bottes de cuir ». La pastille est représentée comme autant de ronds rouges virevoltant. Retour vers le futur de Drill, à la fin des années 2000, avec la référence Anis Menthe. Ces pastilles lancées en 2008 sont sans sucre, comme la nouveauté Drill enrouement. Cette référence à l'érysimum s'ajoute à sa jumelle sucrée, anciennement nommée CantaDrill. Du haut de son quart de siècle, la marque a désormais mis le cap vers le libre accès, avec ses pastilles historiques et plusieurs sirops passés de l'autre côté du comptoir.
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