Une soixantaine de victimes des attentats de novembre sont encore aujourd’hui hospitalisées. Nul ne peut en revanche chiffrer le nombre de personnes souffrant des conséquences psychiques des attentats. Et pour cause. Alors que les conséquences psychologiques d’une catastrophe naturelle tendent à s’estomper au bout de quatre à six semaines, les troubles post-traumatiques consécutifs à des faits perpétrés par l’homme perdureront pendant des mois, voire des années. Pire, non diagnostiqués, ils pourront s’aggraver au fil du temps, ou latents, resurgir à l’occasion d’un événement apparemment anodin. Les attentats ont en effet provoqué une véritable terreur qui n’a rien à voir avec la peur et ses représentations. « La terreur engendre un traumatisme grave, générant lui-même un stress extrême parce qu’imprévu, inexplicable, surtout s’il y a danger de mort et que la victime est impuissante et vulnérable », décrit Gaëlle Abgrall-Barbry, psychiatre responsable de l’unité de psychotraumatologie à l’hôpital Tenon, l’un des centres parisiens spécialisés dans ce type de consultations.
Déconnexion
Face à la terreur, les systèmes de défense habituels sont dépassés. Pour survivre, l’organisme va mettre en place des mécanismes neurobiologiques et neurophysiologiques exceptionnels qui s’apparentent à une déconnexion. « En état de sidération psychique, le patient a l’air à côté de ses pompes, il vit en décalé, comme dans un film. Cette stratégie de défense du cerveau est un signe prédicteur négatif », met en garde Gaëlle Abgrall-Barbry.
Ces signes ne doivent pas tromper les professionnels de santé de proximité que sont les pharmaciens. Ils peuvent aussi être confrontés à des patients se plaignant de symptômes dits « intrusifs ». La victime revit constamment l’événement avec la même intensité émotionnelle et l’apparition de « flash-back ». Les images de l’attentat réapparaissent devant son écran d’ordinateur au travail ou encore dans le noir, avant de s’endormir.
Ce sont également des patients qui, à l’officine, déclarent éviter désormais les transports en commun, les bars, les salles de spectacle… « Des stratégies d’évitement pour échapper aux stimuli qui éveillent la mémoire du traumatisme », explique la psychiatre de l’hôpital Tenon. Ces signes de stress post-traumatiques doivent être repérés d’urgence par le professionnel de santé car c’est une erreur de penser qu’ils disparaîtront au fil des mois. « En lien avec la mémoire traumatique, ils ne s’effaceront pas avec le temps, l’intensité des affects restera constante », préviennent les psychiatres. La mémoire traumatique présente en effet la particularité d’envahir le champ de la conscience et de se déclencher de manière automatique au contact de stimuli rappelant le traumatisme. Le patient a alors l’impression de revivre au présent et à l’identique le traumatisme « sans reconnaître le caractère passé de l’événement ». La mémoire émotionnelle est en effet piégée dans l’amygdale cérébrale, et elle ne peut être ni traitée, ni intégrée par le patient.
Hypersensibilité persistante
Ce mécanisme de dissociation péri traumatique résulte de la « réponse » à la menace vitale. En effet, au moment de l’attaque terroriste, la modulation de l’amygdale a été interrompue par le cortex associatif et par l’hippocampe afin d’éviter la production de taux toxiques d’adrénaline (risque d’infarctus du stress) et de cortisol (risque de neurotoxicité). Cette « déconnexion » salutaire de l’amygdale est initialement une mesure de sauvegarde : elle agit dans l’immédiat contre la souffrance physique et psychique de la victime avec pour inconvénient de produire une hypersensibilité persistante chez elle.
On comprend alors à quel point le patient impuissant doit être rassuré sur la « normalité » de ses émotions. Pour autant, ces symptômes ne doivent pas être pris à la légère, particulièrement si le patient affirme « faire face ». Car ces troubles post-traumatiques sont voués à devenir chroniques et à s’accompagner d’une comorbidité importante : idées suicidaires, somatisation, dépression et addiction dans 60 % des cas. « Pour déconnecter et ne plus ressentir d’émotions, les patients ont parfois recours à l’alcool dont on connaît les effets pernicieux puisqu’il est pourvoyeur de dépression à long terme », note Gaëlle Abgrall-Barbry, qui précise que 35 à 50 % des symptômes ne sont pas diagnostiqués.
En raison de leur bonne connaissance des antécédents du patient, les pharmaciens sont parmi les premiers à pouvoir repérer ces indices de troubles psycho traumatiques. Ils sont les mieux positionnés en tant qu’acteur de premier recours pour suggérer une prise en charge adaptée*, ainsi que l’établissement d’un certificat médical initial** aux urgences médicojudiciaires.
Mimétisme délétère
Dans un premier temps, afin d’éviter au patient de réveiller sa mémoire traumatique en ressassant le déroulé des événements, l’officinal doit essayer d’orienter la conversation sur les émotions ressenties au moment du traumatisme. Ce rôle d’écoute « bienveillant mais superficiel » doit amener le patient à verbaliser son « ressenti ».
Il se peut cependant qu’à force d’accueillir avec empathie et compassion le stress post-traumatique de leurs patients, les professionnels de santé en ressentent eux-mêmes les symptômes. Malik Ait Aoudia, psychologue à l’institut de victimologie, décrit ce processus de trauma dit « vicariant » : « Cela n’est en rien comparable au stress élevé lié à une surcharge de travail ou burn out. Il s’agit d’un processus qui conduit à un changement profond de la personnalité des professionnels de santé exposés aux récits des victimes, jusqu’à générer chez eux des troubles de stress post-traumatique. » Contre ce trauma de la terreur, les professionnels, même formés, ne sont pas immunisés.
* Les soins aux victimes des attentats sont gratuits dans leur globalité. Les psychothérapies sont recommandées en psychotraumatologie.
** Ce dernier particulièrement en l’absence de blessures physiques permettra de chiffrer l’ITT et de disposer d’une trace « en amont » des troubles post-traumatiques.
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