LA SAGA DES MARQUES
LA NATURE, on le sait, est grande pourvoyeuse de santé pour le genre humain. L’univers végétal, sur lequel s’est bâtie une grande partie de la pharmacopée, n’est cependant pas le seul à présenter de sérieuses possibilités thérapeutiques. Le monde animal a, lui aussi, du répondant en la matière. Parmi les multiples espèces que compte la planète, une en particulier va retenir, en ce milieu du XXe siècle, l’attention des chercheurs. Nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale et les pathologies pulmonaires sont un sujet de préoccupation majeur. La coqueluche et la tuberculose, pour les plus connues, font régulièrement des ravages, mais ce ne sont pas les seules. Les silicoses, déclenchées par une exposition prolongée du système respiratoire aux environnements empoussiérés, prélèvent leur lot de mineurs et autres travailleurs. Face à ces fléaux, peu de traitements. L’ère des antibiotiques voit à peine le jour et la pénicilline demeure pratiquement le seul produit d’utilisation courante. Seuls recours, les traitements symptomatiques, en particulier les antitussifs, dérivés d’opiacés comme la codéine qui, certes, rendent le service attendu, mais ne font pas l’impasse d’un faisceau d’effets secondaires (somnolence, interactions médicamenteuses…). Le versant thérapeutique des problématiques respiratoires réclame, de façon urgente, d’autres solutions. Une prise en charge symptomatique, par exemple, serait salutaire si elle était dénuée d’effets secondaires. C’est justement l’orientation que suivent les travaux d’une poignée de biologistes universitaires.
Lettres de noblesse.
Trois équipes sont à l’œuvre. L’une est espagnole, portée par le Pr Figuera ; l’autre est belge, issue de l’Institut Ernest Malvoz ; la troisième est dirigée par le Pr André Quevauviller, membre de l’Académie de pharmacie et futur doyen de la faculté de pharmacie de Paris. L’objet de leur attention ? Un petit escargot nommé Helix pomatia - notre escargot de Bourgogne - dont le mucus est à la base de décoctions à l’indication antitussive. Jusqu’ici, rien de révolutionnaire, les propriétés du gastéropode étant connues de longue date, comme peuvent en témoigner certains pots datant du XVIe siècle et destinés à recueillir la dite décoction, actuellement détenus par l’ancestrale pharmacie des hôpitaux de Beaune.
En revanche, quand, en 1953, le Pr Quevauviller publie la synthèse de l’ensemble des recherches sur l’Helix, un tournant décisif s’opère dans les thérapeutiques antitussives. Car ces différents travaux permettent d’isoler les composants actifs du mucus et de décrire une méthode constante pour les obtenir. Cette avancée majeure va offrir au principe actif ses lettres de noblesse, qualité pharmaceutique et faisabilité industrielle.
La précieuse substance prend le nom scientifique d’helicidine et retient rapidement l’attention d’une jeune entreprise créée par André Lucien, les Laboratoires Lucien. Cette structure, fruit de l’industrialisation d’une importante officine parisienne, fonde son développement sur la recherche en produits répondant à des thérapeutiques courantes (antalgiques, antiasthéniques…). À une époque où les atteintes pulmonaires sont légions, l’helicidine s’inscrit parfaitement dans l’éventail des besoins des praticiens et des patients.
André Lucien fait donc l’acquisition de la formule antitussive qu’il érige rapidement au rang de médicament. En 1957, la demande d’AMM est accordée au traitement qui portera le nom d’Hélicidine, flagrante exception à la règle de dénomination des produits qui permet à l’antitussif d’afficher l’exact nom de son principe actif. Deux ans après l’obtention de son AMM, Hélicidine fait son entrée sur le marché sous la forme d’un sirop. La formulation d’un aérosol, capable d’atteindre les structures pulmonaires les plus fines, avait bien été tentée, mais rapidement abandonnée devant les difficultés de mise en œuvre. En outre, la forme du sirop présente le gros avantage d’être facile à administrer à l’enfant, répondant alors au premier positionnement du médicament. Quant à son indication, c’est celle du traitement de la toux, le principe actif ayant fait ses preuves en matière de coqueluche et de bronchite chronique au sens large lors des premiers essais cliniques. Là se borne la définition de son champ d’action car aucune différenciation n’est encore faite entre toux grasse et sèche – il faudra attendre l’arrivée des mucolytiques et le milieu des années 1990 où les travaux de la commission Alexandre précisent l’utilisation des traitements appropriés.
L’autre antitussif.
À peine la petite bouteille fait-elle son entrée à l’officine qu’elle trouve rapidement sa place. Son accueil est très favorable car elle comble un besoin criant. Une fois lancé, Hélicidine trace son chemin comme tout produit d’utilité courante. Entre-temps, Bruno Lucien a remplacé son père à la tête du laboratoire et orienté son activité vers le développement de produits anticancéreux. Une spécialisation qu’il poursuivra jusqu’en 1992, année où la structure intègre un groupe pharmaceutique européen, familial et indépendant, du nom de Thérabel. Les différents produits qu’apportent les laboratoires Lucien sont alors examinés et, pour certains, il est décidé d’entreprendre un redéveloppement. Sans surprise, Hélicidine fait partie des heureux élus. Car le médicament n’a pas livré tous ses secrets…
Si l’on connaît son potentiel et son mode d’action, on ignore encore ce qui le différencie des autres antitussifs. Ceux-ci se partagent en deux catégories, les opiacés, dérivés de l’opium, et les antihistaminiques de 1re génération. Tous ont une action centrale sur l’organisme. Mais pas Hélicidine qui agit en périphérie. Si cette action est avérée, reste à en comprendre précisément les modalités. Et c’est bien ce que veut dévoiler le programme de recherche lancé par Thérabel Lucien Pharma. Cette démarche, il faut le dire, bénéficie grandement des connaissances récemment acquises sur la physiologie bronchopulmonaire. Les années 1970-1980 ont en effet joué un rôle décisif en donnant une description plus précise de l’appareil trachéobronchique.
Cette évolution des connaissances, combinée au programme de recherche propre à Hélicidine - auquel contribuent une unité de l’INSERM et une unité du CNRS - permet d’identifier précisément l’interaction de l’antitussif sur les mécanismes intimes de la fonction bronchique : c’est un broncho-relaxant. Ainsi, il aura fallu attendre quatre décennies pour que l’Helix pomatia dévoile ses secrets.
Une épopée qui se poursuit encore puisqu’une nouvelle étude sur le médicament a été lancée en 2000, en collaboration avec le CHU de Bruxelles. Cette fois, c’est l’effet antitussif du principe actif qui a été étudié et quantifié en utilisant une méthode singulière, la polysomnographie. Celle-ci impose de recueillir les données durant le sommeil des patients et analyse toutes les phases de repos en fonction des épisodes de toux. Les enseignements tirés de cette étude, réalisée chez des adultes, ont notamment permis d’élargir la cible d’Hélicidine à de nouveaux profils de patients et de confirmer l’absence de ses effets secondaires. Le sirop n’a cependant pas attendu ces résultats pour connaître une fulgurante progression des ventes qui, au cours des vingt dernières années, ont été multipliées par dix. Fort de ses deux conditionnements (125 ml et 250 ml), Hélicidine occupe actuellement 34 % du marché des antitussifs vignettés.
Mais c’est vers l’avenir que le fameux sirop porte son regard puisqu’il devrait à nouveau faire l’objet de toutes les attentions : celles des pharmaciens auprès desquels il sera soutenu par le biais d’une campagne de communication et de formation ; celles des équipes de recherche Thérabel Lucien Pharma à qui il pourrait bien faire de nouvelles révélations… Après tout, la vision d’un escalier en colimaçon a bien abouti à la découverte de la structure en doubles hélices de l’ADN !
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