UNE GREFFE d’organe éphémère à partir d’un donneur vivant en bonne santé, un tel concept doit soutenir un enjeu recevable. Celui de la greffe d’utérus est de permettre à des femmes stériles de pouvoir porter leur enfant. La première naissance obtenue en Suède par l’équipe du Pr Mats Brännström de l’université de Gothenburg, rapportée début octobre dans « The Lancet » est un événement inédit, qui réjouit autant qu’il interroge.
L’exploit médico-chirurgical est sans précédent. « Ce n’est pas le fruit du hasard, commente le Pr Michel Polak, pédiatre endocrinologue à l’hôpital Necker à Paris et directeur du centre de référence Pathologies Gynécologiques rares (PGR). L’expérimentation du Pr Mats Brännström s’inscrit dans un vaste programme de recherche, avec plus de 15 ans de phase expérimentale chez l’animal. Un comité d’éthique a suivi ses travaux. C’est le seul essai clinique mondial sur le sujet ». Sur les 11 transplantations d’utérus réalisées à travers le monde, son équipe en compte 9 à son actif, dont 7 qui ont pris. « Cette première naissance, c’est la confirmation qu’il faut aller de l’avant. Sans elle, Mats Brännström serait retourné chez l’animal ». La grossesse s’est déroulée normalement jusqu’à la 31e semaine et 5 jours de grossesse, terme auquel est apparue une prééclampsie. Seize heures plus tard, naissait par césarienne un petit garçon de poids (1 775 g) et de taille (40 cm) normaux pour l’âge gestationnel, prénommé « Vincent ».
Le syndrome MRKH au cœur de l’enjeu.
La jeune femme de 35 ans transplantée à l’hôpital universitaire de Sahlgrenska présentait une absence congénitale d’utérus, liée au syndrome Rokitansky, aussi appelé Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH). Par ailleurs en bonne santé, elle était née aussi avec un rein unique et une agénésie vaginale, qu’elle avait surmontée avec la formation d’un néo-vagin fonctionnel par auto-dilatations. Bien que ces femmes sont dotées d’ovaires fonctionnels, leur stérilité est considérée comme absolue, leur désir de maternité pouvant se réaliser par l’adoption ou la gestation pour autrui, non autorisée en France. Ce ne sont pas les seules à être candidates à la greffe d’utérus, quelques autres situations rares existent, par exemple les hystérectomies (cancer, traumatique) ou les adhérences multiples.
Le projet d’un couple « normal ».
« Mats Brännstörm a eu une chance fantastique, poursuit le Pr Polak. Toutes ses recherches et ses travaux ont été entièrement financés par des fonds privés provenant d’une seule famille, des dizaines de millions d’euros au total. La Sécurité Sociale suédoise ne paie même pas les immunosuppresseurs postgreffe. » La Jane and Dan Olsson Foundation, qui soutient différents projets de recherche autour de la parentalité, le couple ayant été lui-même sensibilisé à la question, a apporté « un réel plus à ces femmes ». Ces femmes ayant juste une ébauche de vagin, peuvent déjà avoir accès à une vie de couple et une vie sexuelle presque normales, la formation d’un néovagin étant possible par dilatations à la bougie ou par voie chirurgicale. Le projet de conception, inaccessible encore, se rapproche de l’ordre du « possible un jour ». « Seules les patientes suédoises sont acceptées dans le protocole. La France est-elle prête à mettre à disposition de ces femmes cette nouvelle possibilité de maternité ? ».
La diffusion de la technique est un préalable, l’intervention est loin d’être simple, les anastomoses artério-veineuses en particulier. Deux équipes travaillant de façon synchronisée dans 2 salles d’opération mitoyennes sont nécessaires, mobilisant une dizaine de chirurgiens. L’intervention de prélèvement nécessite une dizaine d’heures, et celle de transplantation 4 à 5 heures. La durée totale d’ischémie du greffon était de 2 h 19 min. La donneuse et la receveuse sont sorties de l’hôpital au 6e jour postopératoire.
Le don d’une amie ménopausée.
La donneuse était une amie proche de la famille, ménopausée et mère de 2 enfants, âgée de 61 ans, puisque la propre mère de la patiente avait été récusée pour incompatibilité de groupe sanguin. Le caractère fonctionnel de l’utérus avait été vérifié au préalable à l’aide d’une pilule contraceptive œstro-progestative avec l’apparition d’hémorragies de privation. Après la greffe, les règles sont apparues la première fois chez la receveuse au 43e jour postopératoire puis régulièrement tous les 32 jours en moyenne. L’étape de fécondation in vitro (FIV) a été réalisée avant la transplantation, pour éviter d’éventuels effets tératogènes des immunosuppresseurs et les risques de perforation du greffon lors du recueil transabdominal des ovocytes après stimulation ovarienne. Le transfert d’embryon a été réalisé 12 mois après la greffe, et la première tentative a entraîné une grossesse.
Les risques inhérents à l’immunosuppression font que la greffe d’utérus est prévue pour être « éphémère », la patiente s’engageant à retirer le transplant après 1 ou 2 bébés. Le traitement immunosuppresseur est débuté en pré-opératoire puis maintenu et surveillé en permanence. Trois épisodes de rejets ont eu lieu, dont 1 en cours de grossesse, tous ayant cédé après traitement corticoïde. De l’avis des chercheurs, la raison exacte de la survenue de la prééclampsie n’est pas déterminée. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, le traitement immunosuppresseur, l’âge avancé de l’utérus greffé, le rein unique de la patiente greffée ou encore la procédure de FIV. Mais la technique vient de faire ses preuves, la mère et l’enfant se portent bien. « Comment la société française souhaite importer cette technique ? Le statut des donneuses, vivantes ou pas, de la famille ou non, la régulation des demandes, l’accréditation des centres de greffe, la prise en charge financière, le nombre de grossesses autorisé, de nombreuses questions justifient une réflexion sur la place publique ».
"The Lancet", octobre 2014.
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