De nombreux vétérans de la première guerre du Golfe (1990-1991) souffrent d’une variété de symptômes chroniques inexpliqués (troubles gastro-intestinaux, neurologiques, respiratoires, mais aussi fatigue, insomnie, maux de tête, etc.) regroupés sous l’expression « syndrome de la guerre du Golfe ».
La cause précise de ce syndrome reste inconnue, et il est possible que différents facteurs puissent être en cause. Néanmoins, un rapport d’experts américains a conclu en 2008 qu’il existait un lien incontestable entre la prise de pyridostigmine (ou bromide de pyridostigmine, PB) et le développement de ce syndrome.
La pyridostigmine est un médicament inhibant de façon réversible l’enzyme acétylcholinestérase (AChE), empêchant ainsi la dégradation de l’acétylcholine. Cette anticholinestérase a largement été prescrite aux militaires (américains, britanniques, mais aussi français) déployés dans le Golfe en prévention d’éventuelles attaques par un gaz neurotoxique organophosphoré, le soman. La prophylaxie consiste en une prise quotidienne de 90 mg pendant un maximum de 7 jours.
Altération de la motricité intestinale
Les études épidémiologiques ont montré l’existence d’un lien entre la quantité de pyridostigmine prise par les soldats et leurs problèmes de santé apparus après la guerre. De plus, une étude a identifié une interaction gène-médicament : les vétérans porteurs de variations génétiques diminuant l’élimination du PB sont 40 fois plus à risque de développer des symptômes chroniques. Les mécanismes exacts pouvant expliquer le lien entre le PB et les symptômes restaient toutefois incertains.
Une équipe dirigée par le Pr Brian Gulbransen, neuroscientifique à l’université du Michigan (États-Unis), a mené une étude expérimentale chez des souris (mâles et femelles) afin d’examiner l’hypothèse selon laquelle le PB pourrait altérer la fonction intestinale en perturbant les systèmes nerveux et immunitaires de l’intestin (1). Pendant 7 jours, certaines souris ont bu de l’eau normale, tandis que d’autres ont bu de l’eau contenant 2 doses précises de PB afin de simuler l’exposition des vétérans de la guerre du Golfe.
Leurs résultats montrent que l’exposition des souris à la pyridostigmine est suffisante pour provoquer des perturbations majeures concernant non seulement le contrôle nerveux des fonctions intestinales, mais aussi l’immunité intestinale et la communication immune entre intestin et cerveau. La pyridostigmine augmente la motricité du colon chez la souris mâle aussi bien de façon aiguë (immédiatement après l’exposition, J7) que chronique (J30) ; par contraste, chez la souris femelle, le PB a un effet biphasique sur la motricité intestinale, avec un ralentissement immédiat de la motricité, suivi plus tard (J30) d’une augmentation de la contractilité du colon. Ces troubles de la motricité intestinale sont liés à l’activation puis la désensibilisation des signaux cellulaires, ainsi qu’au développement chez le mâle d’une neuro-inflammation entérique, avec gliose réactive et neurodégénérescence.
Des différences selon le sexe
Bien que la pyridostigmine ne perturbe pas la barrière intestinale, elle diminue l’immunité innée de l’intestin, et cela de façon différente chez le mâle et la femelle. Chez le mâle, le PB induit une suppression aiguë de l’immunité innée, mais chez la femelle la suppression immune est plus tardive et concerne d’autres cytokines.
Enfin, le PB (qui ne traverse pas la barrière hématoencéphalique) altère le profil des cytokines dans le cerveau ; chez le mâle, le PB induit une inflammation cérébrale aiguë avec élévation de certaines cytokines inflammatoires produites par les lymphocytes T ; chez la femelle, le PB induit une inflammation cérébrale plus tardive (J30) avec un profil de cytokines différent qui suggère la participation des lymphocytes T et des mastocytes (ou monocytes).
« Même si nos souris mâles et femelles ont été traitées de la même manière, nous avons constaté des différences selon le sexe, ce qui est intéressant et peut nous donner une meilleure idée sur la façon d’aborder le traitement des patients. Une meilleure compréhension des mécanismes distincts selon le sexe pourrait fournir de précieux aperçus pour développer des thérapies spécifiques et innovantes », précise dans un communiqué le Pr Gulbransen.
« Ces résultats fournissent une base tout à fait plausible à cette maladie et constituent donc une sentinelle pour la surveillance et peut-être l’amélioration des traitements dans le futur, voire le déploiement d’agents neutralisants sur le champ de bataille », estime le Pr Thoru Pederson, rédacteur en chef du journal FASEB.
(1) S. Hernandez et al., FASEB journal , DOI:10.1096/fj201802572R,2019.
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