Cinq académies* ont choisi, ensemble, de « contourner l’antibiorésistance » et de montrer qu’il y a « des raisons d’espérer ». Il faut dire que l’état des lieux n’est pas fameux : l’antibiorésistance serait responsable, en France, de 158 000 infections et de 15 000 décès par an. En 2050, si rien n’est entrepris, elle pourrait causer plus de 10 millions de décès dans le monde. Pour que les antibiotiques continuent d’être efficaces, diverses mesures doivent être mises en place, que ce soit en termes de prévention des maladies infectieuses, ou de prescription raisonnée, aussi bien en médecine humaine que vétérinaire. Chercheurs et industriels proposent des solutions alternatives, des stratégies innovantes et… de nouvelles générations d’antibiotiques !
C’est la bonne nouvelle. Même si « le pipeline et les perspectives de nouvelles molécules thérapeutiques dans le traitement des infections à entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC) sont assez limités », le portefeuille des laboratoires n’est plus totalement vide. Thierry Naas, enseignant et praticien hospitalier spécialiste de l’antibiorésistance, insiste sur l’arrivée de « nouveaux antibiotiques à spectre large ». Il précise néanmoins que « les molécules qui sortent aujourd’hui sont celles pour lesquelles la recherche a commencé il y a une quinzaine d’années, elles répondent donc à la problématique de l’époque, à savoir la résistance du staphylocoque doré à la méticilline (SARM). Aujourd’hui, le problème se pose pour les bactéries à gram négatif pour lesquelles nous sommes face à une pénurie d’antibiotiques ».
Une pénurie qui devrait néanmoins s’atténuer d’ici à quelques années, car des molécules en développement, l’eravacycline et l’omadacycline, sont parvenues en phase III d’essais cliniques. Une fois commercialisées, elles compléteront avantageusement le court arsenal à disposition pour lutter contre les bactéries à gram négatif, comme le fait Zerbaxa. Ce médicament associe une nouvelle céphalosporine, ceftolozane, à un ancien inhibiteur de bêtalactamases, tazobactam. Autorisé en Europe depuis septembre dernier, il n’est pas encore commercialisé en France car son prix est en cours de négociation.
Manipuler les bactéries
Parmi les nouveaux antibiotiques disponibles, Thierry Naas cite la telavancine (approuvée en Europe en septembre 2011), la ceftaroline (août 2012), la dalbamancine (février 2015) et l’oritavancine (mars 2015). Pour le spécialiste, l’association d’avibactam et de ceftazidime (Avycaz aux États-Unis, Zavicefta en Europe) est l’un des médicaments les plus intéressants, car il permettrait de traiter 85 % des infections aux bactéries résistantes aux antibiotiques de dernier recours. Il a reçu l’avis favorable de l’Agence européenne du médicament (EMA) mais n’a pas encore son autorisation de mise sur le marché (AMM).
Outre un certain désintérêt de l’industrie pharmaceutique pour la recherche en antibiothérapies jusqu'à récemment, le frein vient aussi de la difficulté à manipuler les bactéries. Laurent Dortet, directeur du Centre national de référence de la résistance aux antibiotiques, le rappelle : les antibiotiques actuels dérivent de molécules produites naturellement par des germes environnementaux. Mais « 99 % des espèces bactériennes sont dites non cultivables, tout du moins dans des conditions classiques de culture en laboratoire ». Les chercheurs ont dû faire preuve d’imagination pour y parvenir, mais ils ont pu créer de nouvelles méthodes de culture in situ, les plus performantes étant les « environnements stimulés ». Il s’agit d’isoler une bactérie tout en la laissant dans son milieu naturel pour la cultiver, elle n’est prélevée que lorsqu'elle est suffisamment robuste pour être « repiquée » en laboratoire. Grâce à cette méthode, une nouvelle molécule antibiotique a vu le jour en 2015, la teixobactine, dont l’activité antibactérienne vise toutes les bactéries à gram positif, y compris les souches multirésistantes. Mais les recherches en sont à leur début et, si elle passe toutes les étapes de son développement, la teixobactine ne pourra pas arriver sur le marché avant une dizaine d’années.
Impasse thérapeutique
D’autres méthodes ont récemment vu le jour pour s’attaquer spécifiquement aux résistances. C’est ce que tente de faire la start-up Eligo Biosciences qui utilise une « nucléase guidée par des petits ARN pour couper la séquence cible de la bactérie visée », comme l’explique l’un de ses cofondateurs, David Bikard. Au lieu d’une attaque générale de toutes les bactéries, bonnes et mauvaises, cet antibiotique « intelligent » fait le tri. Il est capable de lire l’ADN des bactéries et peut donc, par exemple, cibler ses attaques sur les gènes présentant une résistance.
« Tous ces nouveaux antibiotiques semblent avoir des propriétés très intéressantes, en tout cas sur le papier, notamment certains inhibiteurs à large spectre capables de traiter toutes les classes d’enzyme, remarque Thierry Naas. Cependant, le développement d’antibiotiques est principalement tourné vers les bactéries à gram positif. Les tétracyclines à très large spectre devront être utilisées avec précaution à cause de possibles effets collatéraux. » Surtout, l’arrivée de nouveaux antibiotiques ne doit pas faire relâcher la pression sur le principe d’une utilisation raisonnée, à moins de vouloir se retrouver dans la même impasse thérapeutique très rapidement avec ces nouvelles molécules auxquelles les bactéries seront devenues résistantes. Des études ont déjà démontré des résistances à l’avibactam, alors même que Zavicefta n’est pas encore commercialisé en France. « La règle est simple, rappelle Thierry Naas, plus on utilise un antibiotique, plus on risque de voir apparaître des résistances. En Grèce par exemple, la résistance aux carbapénèmes était de 13 % dans la population en 2005, elle est de 60 % aujourd’hui. » La course entre les écosystèmes bactéries et la recherche en antibiothérapie n'est pas près de s'arrêter.
* Agriculture, Chirurgie Dentaire, Médecine, Pharmacie, Vétérinaire.
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