« Réhausser les taux cérébraux d’irisine, par voie pharmacologique ou par l’exercice, pourrait constituer une nouvelle stratégie thérapeutique afin de protéger et/ou réparer la fonction synaptique et prévenir le déclin cognitif dans la maladie d’Alzheimer », conclut une équipe multidisciplinaire composée de neuroscientifiques brésiliens, américains et canadiens dans une étude publiée dans la revue « Nature Medicine ».
« La maladie d’Alzheimer (MA) est la principale forme de démence, affectant des dizaines de millions de personnes dans le monde et aucun traitement efficace existe encore à ce jour pour guérir ou prévenir la maladie. Nous avons découvert qu’une hormone appelée irisine, libérée par le muscle durant l’exercice physique, protège les neurones endommagés par les toxines (agrégats de β-amyloïde…) qui s’accumulent dans le cerveau des patients affectés de MA. De façon importante, l’irisine préserve et sauve la mémoire de souris génétiquement modifiées pour développer une maladie comparable à la MA », précise au « Quotidien » le Dr Fernanda De Felice de l’université Fédérale de Rio de Janeiro au Brésil et de l’université Queen’s à Kingston au Canada, qui a codirigé l’étude.
L'hormone des dieux
L’irisine suscite un vif intérêt depuis sa découverte en 2012. Nommée d’après Iris, la messagère des dieux qui apporte de bonnes nouvelles dans la mythologie grecque, l’irisine est un messager moléculaire envoyé par les muscles vers différents tissus de l’organisme durant l’exercice. L’irisine stimule le métabolisme des graisses dans le tissu adipeux et la fonction cardiovasculaire, ce qui en fait un candidat prometteur pour développer de nouvelles interventions dans l’obésité, le diabète et autres maladies métaboliques. Récemment, il a été montré que l’irisine régulait la neurogenèse, le neurocomportement et le métabolisme neuronal.
Altération de la plasticité
Les bienfaits de l’exercice physique sur la santé sont innombrables. Des études épidémiologiques ont montré en 2 017 qu’il contribue à prévenir ou ralentir le développement de la MA ainsi que d’autres démences liées à l’âge.
Dans leur nouvelle étude, Lourenco et al. ont constaté que les taux d’irisine sont réduits dans le cerveau (hippocampe) et le liquide céphalorachidien chez les patients atteints de MA et dans des modèles de souris de la MA. Ils ont aussi montré que les oligomères de β-amyloïde, des agrégats neurotoxiques, réduisent les taux d’irisine dans des modèles in vitro (cellules cérébrales de souris en culture), ex vivo (échantillons de cerveau humain), et in vivo chez la souris.
Leurs expériences indiquent que l’irisine est nécessaire et suffisante pour protéger la mémoire. Pour montrer qu’elle est nécessaire, les chercheurs ont réduit ses taux (par voie génétique ou pharmacologique) dans le cerveau des souris normales ; ils ont constaté que la baisse d’irisine altère la plasticité synaptique (dans l’hippocampe) et une forme de mémoire, celle de reconnaître un objet devenu récemment familier. Pour montrer qu’elle est suffisante, les chercheurs ont augmenté les taux d’irisine dans le cerveau des souris (infusion d’irisine recombinante) exposé ensuite à des agrégats de bêta-amyloïde ; ils ont constaté que l’irisine sauvegarde la plasticité synaptique et la mémoire.
Enfin, les chercheurs ont démontré que l’exercice protège la mémoire via l’irisine. Tandis qu’un programme d’exercice régulier (une heure de nage 5 jours par semaine, pendant 5 semaines) protège bien les souris d’une perte de mémoire provoquée par l’infusion cérébrale d’agrégats de bêta-amyloïde, l’inhibition de l’irisine par un anticorps injecté dans le cerveau, ou même dans le sang périphérique, abolit ces effets bénéfiques de l’exercice.
Plus intéressant encore, l’administration périphérique d’irisine suffit à conférer cette protection. Ce qui suggère que l’irisine périphérique peut atteindre le cerveau et conférer les effets protecteurs de l’exercice sur la plasticité synaptique et la mémoire dans la MA.
« Ces résultats offrent un nouvel éclairage sur la pathogénèse de la MA et de nouvelles orientations dans la stratégie thérapeutique », soulignent dans un commentaire associé les neuroscientifiques Xu Chen (Gladstone Institute, San Francisco) et Li Gan (Alzheimer’s Disease Research Institute, Weil Cornell Medicine, New York) qui n’ont pas participé à l’étude (2).
Nouvelle hormone thérapeutique
Etant donné l’association découverte entre une baisse d’irisine dans le cerveau et les déficits cognitifs liés à la MA, l’irisine pourrait faire office de biomarqueur pour diagnostiquer et surveiller la MA. De plus, si ces résultats sont confirmés chez les humains, l’irisine pourrait être administrée sous forme de médicament afin de prévenir la démence chez les patients à risque, ou retarder sa progression au stade avancé, notamment chez les patients handicapés par des maladies liées à l’âge et incapables de pratiquer une activité physique régulière.
De façon générale, ce nouvel axe muscle-cerveau atteste du rôle joué par les tissus périphériques sur la santé et la maladie du cerveau. On sait depuis peu que le microbiote intestinal est aussi lié à la cognition et aux maladies neurodégénératives. Ce sont de nouvelles voies à explorer pour prévenir et traiter la maladie d’Alzheimer.
(1) M. Lourenco et al., Nature Medicine, 10.1038/s41591-018-0275-4, 2019.
(2) Xu. Chen et Li Gan., Nature Medicine, 10.1038/s41591-018-0311-4, 2019.
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