CAR-T cells

Le défi économique des thérapies innovantes

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Publié le 11/10/2018
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L’arrivée des CAR-T cells, ces nouveaux traitements du cancer, remet en question l’efficience du système de santé français, notamment ses procédures d’évaluation médico-économiques et de fixation des prix. La France pourra-t-elle financer ces innovations de rupture ?
Car-T cell

Car-T cell
Crédit photo : phanie

Autorisés aux États-Unis en 2017, Kymriah (tisagenlecleucel) et Yescarta (axicabtagene ciloleucel) ont décroché leur autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne le 23 août dernier. Reste à négocier leurs prix pour qu’ils fassent officiellement leur entrée sur le marché français. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) leur a octroyé une autorisation temporaire d’utilisation le 17 juillet, pour ne pas en retarder l’accès aux patients éligibles. Ce qui inquiète, c’est justement le niveau de prix de ces deux thérapies géniques qui s’affichent respectivement à 475 000 et 373 000 dollars outre-Atlantique.

Des niveaux de prix à prendre avec des pincettes, comme le rappelle l’économiste de la santé Claude Le Pen : « Les États-Unis ne pratiquent pas les prix affichés et les prix européens sont habituellement bien moins élevés. De plus, ces prix représentent davantage que le tarif du médicament, il comprend, comme l’a proposé Novartis à l’agence du médicament américaine (FDA) la prise en charge du patient. » Ce que confirme Frédéric Collet, président de Novartis France : « Kymriah entre dans le paiement à la performance, le paiement est donc conditionné à la réponse du patient dans un délai donné, en l’occurrence un mois. Si tel est le cas, le système de santé prend en charge, sinon c’est le laboratoire. »

Valeur thérapeutique

Le système de fixation de prix est confronté à l’arrivée d’innovations de rupture que l’on met à disposition de manière très précoce, avant même qu’elles aient apporté toutes les preuves d’efficacité et de sécurité. Leurs promesses pour les patients, souvent démunis en termes de traitement, incitent à faire ce pari alors que le médicament n’a pas commencé ses essais cliniques de phase III. La valeur thérapeutique doit alors être déterminée avec une quantité d’informations bien plus limitées, ce qui pousse à la prudence. « Regardez le Nobel qui vient de célébrer les inhibiteurs de checkpoint, les trois médicaments concernés ont pourtant obtenu une amélioration du service médical rendu (ASMR) de 3, voire une ASMR 5 dans certaines indications, au motif qu’ils ne présentaient pas des éléments de preuve satisfaisants », se souvient Claude Le Pen. Ce qui ne donne pas d’avantages aux titulaires des AMM pour la négociation de prix. Les thérapies à base de CAR-T cells* ne devraient pas échapper à cet état de fait.

« Nous allons raisonner comme nous l’avons fait pour des générations de produits oncologiques innovants récents, c’est-à-dire qu’on considère le médicament indépendamment du reste du fonctionnement du système de santé et on le tarife en fonction des critères légaux français, donc selon son ASMR, les stratégies thérapeutiques préexistantes, les volumes prévisibles, etc. », détaille Maurice-Pierre Planel, président du Comité économique des produits de santé (CEPS). Il ajoute : « C’est vrai pour les deux CAR-T cells de Novartis et Gilead, à voir pour les prochaines générations de CAR-T cells si on continue à fonctionner sur ces principes anciens ou si on bascule dans un monde nouveau. » C’est là toute la question. D’après Claude Le Pen, l’arrivée de ces deux traitements « bouleverse le système de santé » et pose le problème d’une intégration « durable et viable » avec leur impact financier à court terme particulièrement lourd. Néanmoins, le système de fixation des prix actuel permet d’aménager des clauses aux contrats, comme cela a été fait avec les antiviraux d’action directe (AAD) dans le traitement de l’hépatite C.

Acheter de l’incertitude

Mais « aujourd’hui il y a beaucoup de soins médicaux dont on ne connaît pas la valeur », affirme Jean-Marc Aubert, directeur de la DREES (Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques), prenant l’exemple de l’incertitude des opérations à cœur ouvert. « Acheter de l’incertitude on le fait tous les jours, mais on n’a pas les bons contrats pour le faire. Les CAR-T cells reposent la question de savoir s’il ne vaudrait pas mieux acheter des parcours de soins plutôt que des événements », ajoute-t-il.

La valeur thérapeutique reste difficile à déterminer pour un médicament en cours de développement clinique. Pour Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques du LEEM, même si la valeur du médicament ne se résume pas à son évaluation médico-économique, celle-ci reste le critère principal de la détermination du prix. « Les CAR-T cells apportent la même valeur thérapeutique qu’un traitement chronique en allongeant la durée de vie au même niveau qu’une personne qui n’est pas malade. Le traitement chronique du sida a un coût de survie compris entre 300 000 et 600 000 euros, la greffe rénale qui prolonge la vie en moyenne de 31 ans, coûte 700 000 euros sur une vie entière. Donc les propositions de valeurs de CAR-T cells sont du même ordre de grandeur. » À la différence qu’il est plus difficile de « payer 600 000 euros tout de suite que sur 20 ans », précise Claude Le Pen. Ce qu’Eric Baseilhac reconnaît volontiers, c’est pourquoi « le sujet de la soutenabilité, peut-être le plus important car le plus anxiogène, soulève celui des modalités de paiement ». Mais il appelle à « ne pas se faire peur » sur les coûts, soulignant que la population cible de Yescarta et Kymriah, indiqués dans le lymphome B et la leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) à cellules B, compte 350 personnes en France. Pour l’instant.

D’après le colloque de la santé organisé par « Le Quotidien » et « Décision Santé » sur le thème « Immunothérapie adoptive et CAR-T cells : les enjeux d’une révolution ».

* Extraction de lymphocytes T du patient, génétiquement modifiés  in vitro pour devenir des Chimeric Antigen Reactor T ou des cellules CAR-T qui sont alors réinjectés au patient.

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3464