Il arrive que des visiteurs médicaux commencent l’entretien avec le médecin après les salutations d’usage, en lui demandant :
- Docteur, comment traitez-vous l’acné ?
À cette question, je suis bien incapable de répondre, bien que j’aie derrière moi plus de 30 années d’exercice professionnel en tant que dermatologue. Car il n’y a pas une façon standardisée de traiter l’acné. Je dois même dire qu’aucune de mes ordonnances ne se ressemble pour traiter l’acné car il n’y a pas seulement des acnés, mais surtout des personnes, des malades, des personnalités, des typologies qui sont variés.
L’acné est une maladie considérée comme hormonale chez la femme, mais elle découle aussi de nombreux facteurs que nous n’avons pas encore tous explorés.
Acné et alimentation : un fantasme ?
Il a fallu attendre ces cinq dernières années pour qu’enfin soit reconnu le rôle de l’alimentation dans l’acné, celle-ci ayant été écartée systématiquement du commentaire de la plupart des dermatologues sur la base de l’unique explication : il n’y a pas de preuves du rôle de l’alimentation ! Et pourtant les malades s’expriment : « Lorsque je prends du chocolat, que je mange de la charcuterie, je fais une poussée d’acné. » Et le médecin de répondre : « Non, ce n’est pas possible, ça n’a jamais été démontré. »
Le port du parachute n’a jamais été démontré comme étant utile, voire indispensable lors de la chute d’un avion, et pourtant… Aujourd’hui on sait que, en effet, certains aliments peuvent déclencher, entretenir, pérenniser une acné. Il en est ainsi du lait : lorsqu’on considère ce que cet aliment est capable de faire en termes d’activation de différentes voies de signalisation, on observe que la prise de lait active les voies conduisant aux médiateurs impliqués dans la maladie acnéique. Aucun médecin ne pourra aujourd’hui se passer de ce questionnement : « Buvez-vous beaucoup de lait ? »
Acné et dépression ou souffrance morale
Depuis une dizaine d’années, les spécialistes d’organes se sont intéressés aux symptômes neuropsychiques des maladies et on sait, par exemple, que la moitié des malades psoriasiques souffrent d’un syndrome dépressif. On sait aussi que dans la maladie acnéique, le retentissement psychique des lésions cutanées défigurantes est important, non négligeable et ne doit donc pas être négligé. Ceci signifie que le médecin en charge de l’acné aura aussi à chercher, puis à prendre en compte les événements neuropsychiques comme la dépression qui peuvent être associés à l’éruption cutanée.
Que la dépression soit partie intégrante de la maladie acnéique ou qu’elle soit une conséquence, elle joue un rôle aggravant en altérant la qualité de vie du malade acnéique, mais aussi en facilitant les excoriations et manipulations auto-provoquées.
L’acné : une maladie hormonale… chez la femme
Toute femme acnéique doit être interrogée sur son cycle. Tout d’abord, vérifier qu’elle ne prend pas de pilule progestative pure qui, par le déséquilibre qu’elle impose en défaveur des œstrogènes, va amplifier les manifestations d’ordre androgénique. Certaines pilules œstroprogestatives d’ancienne génération pouvaient contenir un progestatif NOR facilement métabolisé en testostérone. Le stérilet, s’il est recouvert d’hormones progestatives, sera fortement suspecté.
Mais il importera surtout de questionner la patiente sur la régularité de son cycle, la fréquence, la durée et le caractère douloureux des règles. Ainsi, le médecin pourra révéler une spanioménorrhée, des ménorragies, un syndrome prémenstruel ou toute autre anomalie du cycle qui pourrait avoir les mêmes répercussions. Il s’agit alors, dans un grand nombre de cas, d’une dystrophie micropolykystique dont la définition n’impose absolument pas la présence visualisée de kystes dans les ovaires, mais bien les troubles fonctionnels précédemment cités.
Ainsi, ces éléments vont s’ajouter à l’observation et l’examen clinique qui ne se contentera pas de l’examen du visage, mais qui recherchera sur l’ensemble du corps des manifestations d’hyperandrogénie comme une hyperpilosité de la ligne blanche, de la racine à la face interne des cuisses, dans la région péri-aréolaire ou mammaire, et parfois même mentonnière. Alors oui, ces symptômes imposeront une prise en charge hormonale de l’acné de la femme.
Mais n’oublions pas le fer !
Mais il est une carence qu’il ne faudra pas négliger, qui s’intègre parfaitement dans ce contexte. Devant cette femme acnéique, vraisemblablement ménorragique, le médecin passera pour un devin, un voyant, lorsqu’il interrogera la malade sur ses cheveux :
- Vous perdez vos cheveux, n’est-ce pas ?
Lorsqu’il la questionnera sur sa fatigue :
- Êtes-vous fatiguée ? Probablement irritable ?
Alors oui, il confirmera ainsi que la malade a bien, de surcroît, une carence en fer. En effet, avoir chaque mois sept à huit jours de saignements pendant les règles induit inéluctablement une carence en fer. Imaginez qu’ainsi, sept jours de ménorragies correspondent à deux jours de plus par mois de saignements, c’est-à-dire 24 jours par an, quasiment un mois de plus qu’une patiente en bonne santé. L’alimentation n’est pas capable d’apporter du fer en supplément pour une personne qui saignerait plus de trois semaines par an en plus de la normale.
Il suffira pour se convaincre de ce déficit d’observer les yeux de la malade : la sclère qui, habituellement, est blanche, apparaîtra bleutée du fait de son amincissement, celui-ci étant dû à l’amincissement du tissu conjonctif résultant notamment de la carence martiale.
Ainsi, devra s’ajouter au traitement conventionnel de l’acné, une supplémentation en fer et c’est là toute la difficulté d’une bonne prise en charge globale, utile, efficace. Si de surcroît on sait que le fer a une activité anti-5-alpha-réductase, c’est-à-dire qu’il inhibe cette enzyme qui transforme les hormones mâles en hormones actives au niveau de la peau, alors on en comprendra encore plus son intérêt.
Faut-il confirmer la carence martiale par une analyse biologique ?
Si tout vous convainc de l’existence d’une carence en fer, alors il n’est pas besoin de confirmer l’évidence. Si vous réalisez un dosage, alors seul marqueur : la ferritine. Il n’est pas besoin de doser le fer sérique qui peut faire le yo-yo et être tantôt élevé, tantôt bas, alors même que les stocks de fer sont déficitaires. Chez le petit enfant et chez la personne âgée ce sera le coefficient de saturation de la transferrine, cette bonne vieille sidérophiline qui sera dosé.
Pourquoi le dosage de la ferritine laisse-t-il échapper d’authentiques carences martiales ?
Méfiez-vous toujours d’un patient qui vous indique que sa prise de sang est normale. Car il ne suffit pas que le résultat d’un dosage se trouve dans les valeurs dites normales pour que tout soit parfait. Rappelons-nous que les normes correspondent aux taux qui sont observés dans une population particulière.
S’agissant de la ferritine, les valeurs dites normales s’échelonnent entre 10 et 200 ng/ml.
Or les valeurs normalement attendues sont supérieures à 60, taux qui garantit ainsi l’arrêt ou la disparition des signes cliniques liés à la carence en fer.
Le traitement doit s’harmoniser parfaitement avec le traitement anti-acnéique. Le traitement d’une carence en fer est un enjeu thérapeutique important qui repose avant tout sur la prise de fer et de vitamine C. En effet, l’absorption du fer est conditionnée par l’association à cette vitamine sans laquelle elle est compromise.
Mais le fer doit se prendre à jeun, c’est-à-dire à distance des repas. Que le comprimé soit pris une minute avant le bol de café ou une minute après ne change rien : cette prise a la valeur d’une prise au milieu d’un repas. À jeun signifie à distance des repas. Le fer est un métal qui se chélate à beaucoup d’aliments, comme le lait, le café, le thé, le blé, ou l’œuf… Dans la population du Maghreb, on connaît la fréquence des carences en fer chez les femmes : le fer est absorbé par la prise de viande rouge, mais lorsque celle-ci est ingérée avec le couscous, alors le fer qui y est contenu n’est pas absorbé correctement.
Le meilleur moment de la prise de fer et de vitamine C : le soir au coucher
Quel est donc le meilleur moment pour prendre le fer, si ce n’est à 10 heures le matin, deux heures après le petit-déjeuner et deux heures avant le repas de midi, et ceci avec de l’eau, sans bien sûr prendre de café, ni même de petit pain ou de croissant. Le second moment de la journée le plus opportun est le coucher. Le meilleur moment pour prendre ce comprimé de fer se trouvera sur la table de nuit avec une bouteille d’eau.
Mais qu’en est-il de la vitamine C qui a la fâcheuse réputation d’empêcher de dormir ? On a longtemps cru que la vitamine C est une vitamine qui réveille. Cette fâcheuse réputation doit tomber car la vitamine C n’a aucun impact sur le sommeil. Donc, prendre du fer et de la vitamine C au coucher n’a aucun impact délétère sur le sommeil, bien au contraire. D’ailleurs, la prise du fer à distance des repas est garante de sa bonne tolérance. Il est curieux de lire dans le Vidal l’affirmation fausse selon laquelle le fer doit être pris au moment des repas.
Qu’en est-il du fer et des cyclines dès lors que l’on traite la maladie acnéique par de la doxycycline ?
Il faut savoir que la doxycycline chélate le fer, et donc que l’association des deux médicaments pris en même temps est forcément fâcheuse. La doxycycline sera donc prise avec les repas, mais en tout cas au moins deux heures avant la prise de fer.
Prendre du magnésium avec le fer est la meilleure façon d’empêcher toute activité du fer du fait de son absorption qui sera altérée.
Les cliniciens pourront aisément observer l’évolution hautement favorable de l’acné dès lors que les co-facteurs seront pris en charge, qu’il s’agisse d’une consommation trop importante de lait, de l’existence de syndrome dépressif, de la démonstration d’une carence en fer… et bien sûr, d’un trouble hormonal sous-jacent.
Chaque situation doit être analysée et discutée au cas par cas, et nous devons nous méfier des idées reçues, mais bien retenir ce qui est dans la vraie vie.
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Françoise Amouroux
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