Une analyse phylogénétique sans précédent sur les origines de la pandémie de VIH publiée dans « Nature » se double d’une lecture historique. Ce regard croisé met définitivement à mal le mythe du patient zéro pour le VIH mais aussi d’une manière plus large. La revue « Science » s’était déjà fait l’écho des premiers résultats en mars 2016 suite à leur présentation au dernier congrès de la Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections (CROI)
L’équipe dirigée par Michael Worobey, spécialiste de l’évolution des virus à l’université d’Arizona, a retracé les chemins empruntés par le VIH pour se répandre à travers les États-Unis. Si le virus a été découvert dans les années 1981 en Californie, l’arrivée du VIH sur le sol nord-américain est aujourd’hui estimée aux débuts des années 1970 dans la ville de New-York.
Les chercheurs localisent le virus ancestral à New-York, faisant de la ville la plaque tournante du VIH. Le virus se serait répandu ensuite à San Francisco et ailleurs en Californie, où les premiers patients atteints de SIDA ont été décrits. Selon l’équipe, il ne fait plus aucun doute qu’une épidémie préexistante aux Caraïbes a été le tremplin du virus vers les États-Unis.
La technique moléculaire du « marteau-piqueur »
Cette démonstration détaillée confirme les hypothèses scientifiques qui ont cours depuis une décennie sur les origines de la pandémie. L’épidémie ne serait pas née aux États-Unis, mais en Afrique centrale, puis aurait voyagé d’un continent à l’autre. Pour Michael Worobey comme pour Gilles Pialoux, le virus aurait été introduit en Haïti à partir de l’Afrique centrale dans les années 1960 puis de Haïti à l’Amérique du Nord.
Toute la démonstration de Worobey et al. repose sur l’utilisation d’une technique moléculaire inédite, qui leur a permis d’analyser le virus niché dans le génome humain. Les chercheurs ont analysé le sérum archivé entre 1978 et 1979 de plus de 2 000 sujets homosexuels vivant à New York et à San Francisco appartenant à une cohorte sur l’hépatite B.
Parmi ceux testés a posteriori positifs pour le VIH, malgré des prélèvements dégradés par le temps, les chercheurs ont pu avoir accès au virus VIH en cassant le génome humain à l’aide d’une technique délicate de « marteau-piqueur ». « Le virus ARN est une molécule extrêmement délicate de 10 000 nucléotides et se dégrade très rapidement », souligne Michael Worobey.
Les chercheurs mettent en évidence la forte diversité génétique dans les années 1970 avec l’identification de huit génomes viraux complets en 1978-1979. Le génome viral du « patient zéro » a été retrouvé et analysé. « Nous n’avons retrouvé aucune preuve biologique ni historique qu’il était le cas index aux États-Unis ni globalement pour le sous-type B », écrivent les auteurs. Le génome viral du patient zéro est intermédiaire dans l’évolution du VIH aux États-Unis.
En 1987, le journaliste Randy Shilts avait utilisé en premier, dans son livre « And the band played on », le terme de « patient zéro ». Dans une discussion supplémentaire, Richard McKay, du département d’histoire et de philosophie à l’université de Cambridge et co-auteur, explique comment le journaliste a accusé Gaëtan Dugas, un stewart québécois homosexuel, très actif sexuellement, d’être à l’origine de la dissémination du virus à travers le territoire.
L'accident de la lettre O aux CDC
Pour les auteurs, Gaëtan Dugas était simplement l’un des centaines de cas de sujets infectés par le VIH des années avant que le virus soit reconnu, et suivis par les Centers for Disease Control (CDC) américains. Richard McKay explique qu’identifié initialement par les CDC sous le code « case O57 », le O étant pour « Outside-of-California », ce cas a reçu le petit surnom de « O ». Et de là, le O a basculé en un zéro 0.
Dugas est décédé l’année de la publication de l’étude des CDC. Et Shilts, qui a fini par découvrir l’identité du cas O57 en 1986, a lancé le mythe du patient zéro. Toutes les avancées scientifiques n’ont fait que contredire cette accusation, du délai d’incubation du virus à l’analyse du génome viral. Richard Mac Kay met en garde contre l’identification d’un supposé « patient zéro » de manière plus large.
« Blâmer les autres - que ce soient des étrangers, des pauvres ou des méchants - a souvent servi à établir une distance de sécurité imaginaire entre la majorité et les groupes ou individus identifiés comme des menaces, estime l’universitaire britannique. Nous espérons que cette recherche amènera les chercheurs, les journalistes et le grand public à faire une pause avant d’utiliser le terme patient zéro ».
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