PLUS QUE pour n’importe qui, chez les sujets âgés, il vaut mieux éviter les médicaments non nécessaires... et poursuivre ceux qui le sont vraiment. Sauf que les apparences sont parfois trompeuses. Selon une étude française publiée dans le « British Journal of Medicine », les hypolipémiants, dont la prescription a été très controversée ces dernières années en France et à l’étranger, auraient été victimes de jugements précipités.
Les recommandations actuelles ne conseillent pas de prescrire de statines en prévention primaire chez les sujets de plus de 75 ans, ce que pourrait remettre en cause l’équipe dirigée par le Pr Christophe Tzourio, de l’INSERM à l’université de Bordeaux. Dans une étude observationnelle au suivi de 9 ans en médiane chez près de 7 500 sujets vivant à Bordeaux, à Dijon et à Montpellier, les chercheurs ont constaté que fibrates et statines pourraient en réalité éviter près d’un tiers des accidents vasculaires cérébraux (AVC) chez les plus âgés d’entre nous.
Un contexte troublé mis à distance.
« La polémique sur les statines a semé la suspicion, explique le Pr Tzourio, qui est à la fois neurologue et épidémiologiste. Il y a eu en France la sortie du livre grand public de Philippe Even, mais la controverse existait aussi à l’international avec une métaanalyse parue dans le "Lancet". La publication titrée "Tous sous statines après 50 ans ?", et qui concluait au bénéfice à traiter les sujets à faible risque, avait été démontée en réponse dans un éditorial rageur du "JAMA", raillant le fait qu’il faudrait en ce cas traiter plus d’un milliard de sujets sur la planète ».
Un peu de recul était nécessaire pour s’extraire de ce contexte troublé, c’est pourquoi l’équipe a retardé de quelques années la publication de ces résultats, « qui ont gagné en puissance dans l’intervalle », note au passage le Pr Tzourio. Car l’étude ne s’intéresse pas qu’aux statines. « La moitié des sujets traités en prenaient, l’autre des fibrates, précise le scientifique. Et l’effet protecteur était le même dans les deux groupes ». Ce qui n’est pas pour éclaircir les mécanismes physiopathologiques, qui restent mystérieux et tiennent sans doute « à un effet pléiotrope, antilipémiant, stabilisateur de membrane ou encore antiinflammatoire », propose-t-il.
Un effet ciblé contre le risque d’AVC.
Cette étude française, menée chez des sujets âgés de 74 ans en moyenne, est ainsi la première à apporter des preuves de l’efficacité des hypolipémiants en prévention primaire dans cette tranche d’âge boudée des essais cliniques. « Il n’y aura jamais d’essai randomisé chez eux, commente le Pr Tzourio. Les preuves ne peuvent provenir que d’études observationnelles, comme la nôtre ».
À la critique qui pourrait être faite d’un potentiel biais d’indication, l’épidémiologiste répond avec conviction. « Mais c’était une vraie surprise pour nous. De façon analogue à ce qui a pu être observé auparavant avec les antihypertenseurs et les antiplaquettaires, nous nous attendions à constater un risque d’AVC plus élevé chez les sujets traités, puisqu’ils sont à risque vasculaire plus élevé. Donc en fait, on peut même penser que l’effet soit plus important encore ».
Chose étrange, les hypolipémiants n’ont protégé que du risque d’AVC et pas du risque d’accident coronarien. « Or l’inverse avait été constaté jusque-là dans les essais cliniques, où l’effet bénéfique était plus fort pour le risque coronarien que sur celui d’AVC », s’étonne le Pr Tzourio. Ce phénomène pourrait être dû à une population sensiblement différente des essais cliniques, plus âgée à l’inclusion, au risque vasculaire faible à moyen et ayant présenté un premier accident cardio-vasculaire plus tard. « Ce qui conforte l’opinion récente qu’une prévention primaire par les statines puisse bénéficier à différentes catégories de sujets, y compris à faible risque », estiment les auteurs.
Aussi marquant que soit le virage pris par l’étude, le Pr Tzourio ne déroge pas à la démarche scientifique. « Il est encore trop tôt pour changer les pratiques, insiste-t-il. Notre but était de porter nos observations à la connaissance de la communauté scientifique et médicale. En l’absence d’essai randomisé, ces résultats doivent être confirmés dans d’autres cohortes, et il en existe de nombreuses ». Si les données convergent, le poids de plusieurs études serait à même d’influer sur la position des sociétés savantes et des autorités de santé. « C’est au minimum un argument qui pourrait faire conserver un antilipémiant après l’âge de 70 ans en prévention primaire plutôt que le supprimer de l’ordonnance, comme c’est le cas aujourd’hui ».
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