Les mots du client
- « J’ai peur de perdre mes cheveux.
- La chimio cela fait toujours vomir ?
- Ma femme est très fatiguée. »
Les questions à l’officine
Mon mari va bientôt recevoir à l’hôpital une chimiothérapie pour son cancer de la prostate. Y-aura-t-il des précautions à observer dans la vie courante à son retour à la maison ?
Cela dépendra beaucoup des médicaments qu’il va recevoir, mais d’une manière générale, on peut lui conseiller, dans les jours qui précèdent et les semaines qui suivent d’éviter d’être en contact avec des personnes enrhumées, grippées ou atteintes de maladies infectieuses (comme l’herpès, par exemple), les transports en commun, les travaux qui soulèvent de la poussière, les piscines, certains aliments comme les crustacés, le lait cru et les fromages au lait cru, les œufs, la charcuterie à la coupe, les pâtisseries à la crème du commerce et de toucher les animaux domestiques ainsi que leurs excréments. Une douche quotidienne est recommandée ainsi que le fait de se laver les mains plusieurs fois par jour, et systématiquement après un passage aux toilettes et avant les repas.
En plus des médicaments prescrits par le médecin, peut-on faire quelque chose de plus pour éviter les nausées et les vomissements lors des séances de chimiothérapie ?
Il faut d’abord savoir que les nausées commencent souvent le soir ou le lendemain de la perfusion et qu’elles durent rarement plus de 3 jours. Et aussi qu’elles ne sont pas toujours associées à des vomissements. Les nausées induites par les médicaments ne doivent pas être confondues avec les nausées dites anticipatoires qui peuvent survenir à l’entrée de l’hôpital, voire même quelques heures avant, et qui sont dues à l’anxiété. Il est conseillé de privilégier les aliments tièdes ou froids – souvent moins odorants que les aliments chauds – de prendre plusieurs petits repas plutôt que les deux repas traditionnels, de manger lentement et de manger léger avant et après le traitement, en évitant donc les aliments lourds – comme les aliments frits, gras ou épicés – en buvant avant ou après le repas plutôt que pendant. Les boissons gazeuses fraîches aident à minorer les nausées.
On peut aussi recommander de ne pas fumer et, en cas de vomissements (ne persistant en général pas au-delà de 48 heures), de se rincer la bouche avec de l’eau froide et d’attendre une ou deux heures avant de manger.
Ma fille traitée pour un cancer du sein a des aphtes dans la bouche qui la font beaucoup souffrir. Que peut-on faire ?
Les aphtes peuvent être un effet indésirable de la chimiothérapie. Son médecin lui a sans doute prescrit pour cela des bains de bouche, qu’il convient bien entendu de réaliser régulièrement, en général après chaque repas. Vous pouvez aussi lui recommander d’éviter de consommer les aliments favorisant la survenue d’aphtes – notamment les noix, le gruyère et l’ananas – ainsi que les aliments particulièrement épicés ou acides – comme le jus de citron, la moutarde et la vinaigrette – de préférer les aliments moelleux et/ou mixés, de se brosser trois fois par jour les dents avec une brosse souple, de réduire la consommation d’alcool et d’éviter tout tabagisme.
Les traitements anticancéreux
La nature des traitements conditionne en partie l’apparition de tel ou tel effet indésirable, en sachant que la plupart des anticancéreux peuvent induire des effets de natures similaires, avec néanmoins des exceptions notables et surtout des différences de fréquences et d’intensité pouvant être très marquées d’une catégorie de produits à l’autre.
Cytostatiques intraveineux.
- Alkylants : cyclophosphamide-Endoxan, melphalan-Alkéran, cisplatine-Cisplatyl, oxaliplatine-Eloxatine, mitomycine C-Amétycine…
- Antimétabolites : méthotrexate-Ledertrexate, mercaptopurine-Purinéthol, fludarabine-Fludara, 5 FluoroUracile-Fluorouracile, cytarabine-aracytine, gemcitabine-Gemzar…
- Intercalants-anthracyclines : doxorubicine-Adriblastine, épirubicine-Farmorubicine, mitoxantrone-Novantrone, elliptinium-Céliptium, étoposide-Vépéside…
- Inhibiteurs de la topoisomérase I : irinotécan-Campto, topotécan-Hycamtin.
- Poisons du fuseau : paclitaxel-Taxol, docétaxel-Taxotère, vinblastine-Velbé, vinorelbine-Navelbine…
Cytostatiques oraux.
- Capécitabine-Xéloda (antimétabolite, précurseur du 5 fluoroUracile).
- Chlorambucil-Chloraminophène (alkylant).
- Etoposide-Celltop (inhibiteur de la topoisomérase II).
- Lomustine-Bélustine (alkylant).
- Témozolomide-Témodal (antiangiogénique).
- Vinorelbine-Navelbine (poison du fuseau)…
Hormonothérapie.
- Antiestrogènes : tamoxifène-Nolvadex.
- Antiandrogènes : bicalutamide-Casodex, flutamide-Eulexine, cyprotérone-Androcur.
- Progestatifs : médroxyprogestérone-Farlutal.
- Antiaromatases : anastrozole-Arimidex, létrozole-Femara, exemestane-Aromasine.
- Agonistes de la LH-RH : goséréline-Zoladex, leuproréline-Enantone.
- Analogues de la somatostatine : lanréotide-Somatuline, octréotide-Sandostatine.
Thérapeutiques ciblées.
- Anticorps monoclonaux (voie parentérale) : rituximab-Mabthéra, trastuzumab-Herceptin, bevacizumab-Avastin, cetuximab-Erbitux…
- Inhibiteurs de tyrosine-kinase (voie orale) : dasatinib-Sprycel, erlotinib-Tarceva, gefitinib-Iressa, imatinib-Glivec, lapatinib-Tyverb, sorafenib-Nexavar, sunitinib-Sutent.
Principaux effets indésirables
Les principaux effets indésirables des chimiothérapies anticancéreuses sont représentés par les nausées/vomissements, diarrhées, lésions buccales, atteintes des lignées sanguines (hématies, leucocytes, plaquettes), alopécie, manifestations cutanées et syndrome main-pied, sensations de fourmillements (neuropathie), réactions allergiques…
Il faut aussi penser aux effets indésirables propres aux médicaments utilisés en compléments de la chimiothérapie : érythropoïétine, antivomitifs, bisphosphonates, anxiolytiques…
Alopécie.
Elle est fréquente (d’autant plus en cas d’association de produits), mais toujours réversible. Elle commence une dizaine de jours après la chimiothérapie, avec un pic de chute 1 à 2 mois après. L’effet du « casque réfrigérant » est limité. La chute peut concerner également les cils, sourcils et poils pubiens.
Que faire : prévenir le patient que la repousse sera lente (de l’ordre de 1 cm/mois, et débutant 6 à 8 semaines après la fin du traitement) et que la texture des cheveux peut être modifiée. Conseiller de recourir à des prothèses capillaires ou à une perruque.
Mucite et stomatite.
Il s’agit de complications très fréquentes (pouvant être aussi présentes tout au long du tube digestif) liées à l’action cytotoxique ou à l’immunodépression à l’origine d’une gêne fonctionnelle pouvant être marquée (dysphagie, amaigrissement) et représenter chez le neutropénique la porte d’entrée d’une septicémie.
Que faire : d’abord prévenir par une hygiène bucco-dentaire la plus parfaite possible, des bains de bouche (Hextril, Éludril…), une bonne salivation (salive artificielle : Artisial) et traiter immédiatement dès l’apparition des lésions (Mycostatine, Fungizone, Triflucan, Ulcar…).
Diarrhées.
C’est une complication majeure de certaines chimiothérapies, pouvant faire partie de la phase toxique de toute chimiothérapie très dosée.
Que faire : lopéramide, Smecta, élixir parégorique, réhydrater, réalimenter. Une hospitalisation peut être nécessaire.
Constipation/ralentissement du transit.
Beaucoup plus rares. Risque de syndrome subocclusif.
Que faire : Prostigmine, réhydratation, réalimentation (parfois parentérales). Une hospitalisation est parfois nécessaire. Il faut prévenir les patients que le Zophren et le Kytril (puissants antiémétiques) induisent souvent une constipation majeure transitoire, ainsi d’ailleurs que des céphalées. Et aussi que les morphiniques sont des ralentisseurs du transit (ils sont aussi source de nausées, voire de vomissements).
Nausées et vomissements.
Il s’agit d’effets indésirables majeurs pouvant conduire à l’arrêt du traitement, à un amaigrissement et à une altération importante de la qualité de vie. Les vomissements aigus sont une chose, mais il ne faut pas oublier la possibilité de vomissements retardés qui surviennent au-delà de 48 heures et qui peuvent durer deux semaines.
Que faire : une bonne préparation est indispensable, par sétron (Zophren), anti substance P (Emend), Primpéran, Plitican (attention au risque de troubles extrapyramidaux, comme un trismus), benzodiazépine anxiolytique, corticoïde.
Ulcérations digestives hautes.
Ce sont des complications fréquentes, aggravées par l’existence d’une hernie hiatale et d’un reflux gastro-œsophagien.
Que faire : IPP ou anti-H2.
Toxicité hématologique.
Il s’agit de la toxicité la plus constante et potentiellement la plus grave. Il peut s’agir d’une leucopénie, neutropénie (dans les 3 à 4 jours), voire d’une agranulocytose, d’une anémie (d’apparition toujours assez tardive), d’une thrombopénie (vers le 10e jour).
Que faire : une neutropénie non fébrile requiert seulement une surveillance quotidienne (NFS), avec ou sans administration de facteur de croissance ; accompagnée d’une fièvre supérieure à 38 °C, une antibiothérapie est nécessaire. L’anémie (hémoglobine limite : 8 g/dl) est combattue par les transfusions et l’érythropoïétine et la thrombopénie (seuil limite : 25 000/mm3) par l’administration de concentrés plaquettaires.
Fièvre.
Elle peut être liée à une neutropénie (moins de 500/mm3), à une infection cutanée de la chambre implantable, à une mucite…
Que faire : par principe, toute fièvre doit être considérée comme d’origine infectieuse et traitée comme telle (prélèvements, antibiothérapie).
Syndrome de lyse tumorale.
Celui-ci est consécutif à une destruction massive de cellules tumorales et s’observe surtout au cours du traitement des hémopathies malignes. On peut alors observer une hyperuricémie (risque d’insuffisance rénale aiguë), une hyperkaliémie, une hyperphosphatémie (avec hypocalcémie secondaire) et une acidose.
Que faire : les mesures de prévention/traitement comprennent une hyperhydratation, l’administration de diurétiques, d’allopurinol (ou de rasburicase-Fasturtec, une urate oxydase recombinante), l’alcalinisation des urines (bicarbonate de sodium), voire une dialyse.
Toxicité cardiovasculaire.
Il peut s’agir d’une insuffisance cardiaque ou coronarienne ou encore de troubles du rythme.
Quoi faire : certains troubles du rythme sont réversibles, d’autres pas. Le dexrazoxane-Cardoxane est utilisé pour prévenir la cardiotoxicité chronique cumulative de la doxorubicine ou de l’épirubicine. Certains modes d’administration exposent à moins de risque. Enfin, il est essentiel de prendre en compte l’existence antérieure de facteurs de risque (âge, HTA, malnutrition…).
Toxicité cutanéo-muqueuse.
En complément de l’alopécie et des mucites, on peut aussi citer les conjonctivites, anites, épistaxis, onycholyses et diverses manifestations cutanées (folliculite, acné, érythrodyesthésie palmo-plantaire…).
Que faire : un certain nombre de mesures peuvent efficacement prévenir ou atténuer ce type d’effets indésirable, comme l’emploi de produits d’hygiène spécifiques.
Troubles neurologiques.
Il peut s’agit d’altération de l’audition ou de la vision, de neuropathies sensitives ou motrices, voire de troubles des fonctions cognitives.
Que faire : leur prévention repose surtout sur une adaptation du protocole d’administration.
On peut ajouter les troubles biologiques hépatiques et rénaux, la toxicité respiratoire (toux, dyspnée, insuffisance respiratoire chronique…), les allergies, les troubles de hormonaux (aménorrhées, baisse de la libido, impuissance, stérilité), des douleurs articulaires, des myalgies.
Focus sur les thérapies ciblées
Les effets indésirables des anticorps monoclonaux sont essentiellement représentés par une asthénie, des manifestations allergiques, des effets indésirables respiratoires, des douleurs diffuses, des poussées hypertensives, des nausées et des diarrhées.
Ceux des inhibiteurs des tyrosines-kinases sont surtout représentés par une fatigue (pouvant survenir par accès), des troubles de la coagulation, des diarrhées et troubles gastro-intestinaux (nausées/vomissements, douleurs abdominales), une modification de la couleur de la peau et des cheveux, une hyperkératose, des éruptions et une desquamation sur peau sèche, un syndrome main-pied, des poussées hypertensives et des troubles visuels (attention à la conduite automobile).
Certains produits peuvent entraîner des retards à la cicatrisation des plaies : d’où l’importance de conseiller aux patients de se protéger systématiquement les mains de toutes blessures par le port de gants ad hoc.
Quelle attitude à l’officine ?
Un patient recevant un traitement chimiothérapique doit faire l’objet d’une vigilance toute particulière. Y compris en ce qui concerne l’automédication.
Il peut être utile de réunir préventivement toute la documentation nécessaire (et d’en prendre connaissance attentivement) sur tel ou tel produit dès que celui-ci se trouve être prescrit pour une certaine durée à un client de l’officine. Il faut d’ailleurs se préparer à répondre à des questions précises, concernant au premier chef les possibles effets indésirables (au moins les plus fréquents), notamment à l’occasion d’un entretien pharmaceutique.
Le strict respect des schémas posologiques est naturellement impératif, notamment le moment des prises par rapport aux repas (influence la biodisponibilité, donc l’efficacité, mais aussi la tolérance digestive) ; il doit en être de même des mesures préventives prescrites par le médecin.
La polychimiothérapie majore bien entendu le risque.
Attention aux nombreux conseils d’ordre général concernant la « vie courante », comme de se protéger systématiquement les mains lors des travaux ménagers et de jardinage en ce qui concerne les inhibiteurs des tyrosines-kinases.
Tout effet indésirable (ou supposé tel, jusqu’à preuve du contraire), prévisible ou non, doit faire l’objet d’une prise en charge immédiate, en suivant d’abord les recommandations souvent prescrites par anticipation par le médecin ; si la situation n’évolue pas rapidement sur un mode favorable, le recours au médecin ou à l’hôpital s’impose. Il faut savoir « faire remonter » sans délai des informations pertinentes sur l’état de santé du patient, selon le cas vers le médecin traitant ou l’infirmier.
La fièvre représente, notamment, un signal d’alarme impératif.
Il faut avoir présent à l’esprit qu’un « traitement moléculaire ciblé » disponible en ville a rarement une cible unique et que ses effets indésirables sont parfois majeurs, nécessitant une surveillance attentive et une bonne information du patient et de son entourage.
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