« LA GRIPPE, ennemie intime ». Le titre des mémoires du Pr Claude Hannoun dit à la fois sa familiarité avec, comme tout un chacun, « cette affection saisonnière bénigne », et le combat scientifique qu’il a mené, au sein de l’Institut Pasteur, contre « la maladie en définitive la plus dangereuse qui ait jamais frappé l’humanité ». Et qui, estime-t-il, ne sera jamais éradiquée : il faudrait éliminer toutes les espèces d’oiseaux et autres réservoirs animaux.
Soixante ans de lutte. Et quel changement d’ambiance, scientifique, politique, médiatique ! Qu’elle est loin, l’époque du chercheur qui entrait à l’Institut Pasteur comme on entre dans les ordres, pour vivre un sacerdoce scientifique. Ainsi, au cours de l’hiver 1948-1949, avec sa petite équipe du jeune laboratoire de lutte contre la grippe créé un an plus tôt, Claude Hannoun réussit à capturer le premier virus grippal en France (souche D48). Un événement scientifique majeur. « Mais à l’époque, se souvient-il, à part une communication à l’Académie des sciences, la nouvelle fut accueillie dans l’indifférence générale. Aujourd’hui, elle ferait les manchettes des journaux ! »
Autre temps, autre statut du chercheur : évidemment, dans la solitude face à la paillasse, l’émulation était moins grande que dans l’actuel village scientifique mondial. Les virologues, dont la spécialité connaissait ses balbutiements, n’intéressaient ni le public, ni les gouvernements. Avec le risque pandémique actuel, le décor a changé du tout au tout ; les experts sont consultés avec empressement par les politiques. Et les télés se les arrachent.
Bien qu’ayant passé la main au Centre national de référence de la grippe comme à la Société française de microbiologie, à 83 ans, Claude Hannoun reste actif, anime notamment l’ESWI (European Scientific Working Group on Influenza) et organise des colloques interdisciplinaires. Avec la sortie de son livre, il se retrouve ces jours-ci propulsé sous les sunlights, courant les studios de télé et radio. Toujours mesuré dans ses propos, le Pr Hannoun y voit « du bon et du mauvais » : « Parfois, d’excellents articles de la presse grand public me font découvrir des études remarquables. D’autres fois, des manchettes reprennent des annonces dépourvues de réel fondement scientifique, comme cette étude sur la mortalité directe due au A(H1N1), réalisée sans dénominateur sur le nombre de cas. J’ai toujours pensé que les résultats des recherches devaient appartenir au grand public. Mais à condition que des faux prophètes ne s’invitent pas dans le débat. C’est là que le bât blesse. La semaine dernière encore, j’ai participé à un plateau télévisé, où des invités qui s’autoproclament spécialistes de la grippe confisquaient la parole à ceux qui connaissent la question. » Pas de nom, bien sûr.
Trois hypothèses.
Évidemment, l’homme qui a voué sa vie à la veille et à la préparation de la grande pandémie grippale fait aujourd’hui figure d’oracle. Lors d’un dîner qui réunissait il y a quelques jours la ministre de la Santé, le délégué interministériel à la pandémie et quelques experts, pressé de donner son pronostic personnel sur les événements de l’automne à venir, il a lancé : « Soit l’épidémie fait pschitt et elle s’évanouit ; soit elle donne un bilan comparable à celui de la grippe saisonnière ; soit encore, avec 200 000 victimes en quelques semaines, elle atteint les pics de 1918. Et, bien sûr, aucune de ces trois hypothèses ne saurait être privilégiée devant les deux autres. »
Au moins une certitude est-elle souvent affichée : tout aura été tenté pour réduire l’ennemie intime. Claude Hannoun déplore cependant quelques ratages : « Les recherches, estime-t-il, n’ont pas été assez poussées pour mettre au point un vaccin administrable par pulvérisation ou instillation nasale, avec des adjuvants topiques. Vous imaginez comme la campagne vaccinale en aurait été facilitée ! » De même, regrette-t-il, « les industriels, en continuant d'utiliser la méthode de l’œuf, ont raté la révolution de la culture cellulaire. Elle nous aurait procuré un gain de temps précieux dans la fabrication des doses vaccinales ». Pour les antiviraux aussi, ratage : « C’est surtout la façon de les utiliser qui pèche ; depuis le début, le corps médical manque de conviction et hésite, à tort, à prescrire un médicament qui réduit de quelques heures l’évolution d’une maladie qu’ilsconsidère comme bénigne : si c’est le cas, c’est qu’il a été utilisé trop tard. En fait, c’est au moment de la consultation que le médecin devrait donner directement au patient la première dose et veiller ainsi à la prise immédiate. »
Concernant les médecins, le grippologue qualifie leur comportement de « bizarre » : « les syndicats se livrent à des querelles de boutiquiers sur les indemnités versées pour les vaccinations ; ils se plaignent d’être sous-informés, alors que quatre circulaires sur la grippe ont été adressées cet été aux praticiens. À croire qu’elles ont été classées verticalement. Quant aux outils qui leur sont proposés, bien que leur efficacité soit démontrée, ils renâclent à les employer, y compris pour eux-mêmes. Ce qui fait dire à certains qu’un médecin non vacciné est un serial killer. Il est vrai que la virologie est une discipline encore jeune et que la formation médicale initiale sur la grippe ne doit pas excéder une heure de cours », constate le Pr Hannoun.
Après soixante ans consacrés à annoncer la pandémie et à élaborer des stratégies de protection, le grippologue observe aujourd’hui son ennemie intime qui se rapproche alors qu’il n’est plus à la barre. Solidaire de la nouvelle génération de virologues qu’il a contribué à former, il refuse de céder à la frustration. Et, avec son livre, passé du silence de la paillasse au bruyant forum médiatique, il continue le combat.
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