Les mots du client
- « Mon ulcère me réveille la nuit.
- J’ai du mal à marcher.
- Mon médecin m’a dit que la cicatrisation de mon ulcère prendra plusieurs mois »
Rappel physiopathologique
L’ulcère de jambe se définit comme une plaie cutanée chronique n’ayant pas de tendance spontanée à la cicatrisation depuis 1 mois, sauf en cas de récidive.
Dans 90 % des cas, il constitue une complication d’une maladie vasculaire sous-jacente, souvent ancienne, voire grave, qui règle le pronostic et la prise en charge de fond.
Il s’agit d’un ulcère veineux dans près de 70 à 80 % des cas, artériel dans 20 % ; il peut aussi être mixte.
L’ulcère veineux, encore dénommé ulcère variqueux, constitue la phase tardive de l’évolution d’une insuffisance veineuse chronique, pouvant être secondaire à des varices avec reflux ou d’origine postthrombotique. L’hypertension veineuse due au reflux ou, plus rarement, à l’obstruction, induirait des troubles de la microcirculation conduisant à une souffrance tissulaire avec anoxie.
Classiquement, l’ulcère veineux est unique, de grande taille de forme ovalaire ou irrégulière, peu profond et spontanément peu douloureux. Le fond de l’ulcère peut être propre et bourgeonnant - ce qui représente un pronostic favorable - ou à l’inverse atone, recouvert d’un enduit de fibrine, voire croûteux ou surinfecté ou même purulent.
La peau qui entoure immédiatement l’ulcère présente des indices d’insuffisance veineuse chronique, avec des troubles trophiques.
L’ulcère artériel est une conséquence de l’ischémie secondaire à un défaut de perfusion artérielle du membre, en rapport avec une athérosclérose ou des embolies vasculaires. Il peut être unique ou multiple, à bords nets dits à « l’emporte pièce », souvent profond, pouvant rapidement dénuder les tendons sous-jacents. La douleur est constante (sauf s’il existe simultanément un diabète compliqué de neuropathie rendant l’ulcère indolore), exacerbée en position allongée, ce qui conduit souvent le patient à dormir la jambe pendante en dehors du lit.
La peau autour de l’ulcère, reflet de l’insuffisance artérielle, est froide, décolorée, lisse et sans poils.
Les ulcères mixtes associent les deux variétés d’ulcères.
Enfin, l’angiodermite nécrotique est une entité particulière définie par une microangiopathie non inflammatoire associée à des thromboses artériolaires. Elle se manifeste, surtout chez la femme de plus de 60 ans hypertendue et/ou diabétique (diabète souvent mal équilibré), par l’apparition d’une plaque purpurique ou livédoïde (également dénommée « atrophie blanche ») s’étendant progressivement puis se nécrosant et enfin s’ulcérant ; les ulcères ayant typiquement des bords irréguliers en « carte de géographie ». Les lésions, souvent localisées au niveau de la face antéroexterne de la jambe, s’accompagnent de douleurs intenses perturbant le sommeil.
Attention aux complications : dermatites ou eczémas de contact allergiques (fréquents en raison des nombreux produits utilisés), surinfections bactériennes, hémorragies (fréquentes au cours des ulcères veineux, elles sont volontiers spectaculaires mais très souvent aisément contrôlées par une simple compression), lésions ostéoarticulaires (au niveau de la cheville) ; la cancérisation (carcinome épidermoïde) est un risque rare mais non exceptionnel sur un ulcère très ancien, mais il ne faut pas confondre un cancer cutané primitif ulcéré avec un ulcère secondairement cancérisé.
Les questions à l’officine
Voilà plus de 2 mois que je soigne mon ulcère et il ne cicatrise toujours pas, est-ce normal ?
Attention aux possibles causes non vasculaires auxquelles il faut aussi savoir penser, surtout en cas d’évolution particulièrement rapide ou au contraire en l’absence de cicatrisation après deux mois d’un traitement bien conduit : tumeurs malignes (carcinome cutané primitif ulcéré, certaines hémopathies comme les syndromes myéloprolifératifs ou les dysglobulinémies), mal perforant plantaire (d’origine neurologique, c’est une complication grave du diabète), tuberculose cutanée, infections cutanées mycosiques profondes, syndrome des antiphospholipides (affection systémique liée à l'existence d'anticorps auto-immun antiphospholipides marquée par la survenue de thromboses, artérielles ou veineuses), syndrome de Klinefelter (ou XXY).
Comment savoir si mon ulcère s’est infecté ?
Les signes qui doivent attirer l’attention sont représentés par une inflammation des bords de l’ulcère (mais c’est un signe non spécifique), de la fièvre, une odeur nauséabonde, une augmentation de la douleur locale, un écoulement verdâtre.
Faut-il vraiment que je porte une bande de contention ?
Une contention est très souvent considérée comme l’élément principal du traitement d’un ulcère veineux et plus de la moitié des échecs serait due à l’absence de contention ou à une contention mal appliquée. Après la cicatrisation et pour éviter une récidive, le relais peut être efficacement pris par des bas de contention de classe2.
Chez le médecin
Tout ulcère de jambe justifie un examen clinique et vasculaire complet.
L’interrogatoire recherchera des signes d’insuffisance veineuse, essentielle ou postphlébitiques, en priorité des douleurs à type de crampes au repos et un œdème vespéral (observé en fin de journée), des antécédents personnels ou familiaux de varices, de thrombose veineuse, d’embolie pulmonaire, de traumatisme ou de chirurgie des membres inférieurs ou encore des signes d’artériopathie (AOMI : artérite oblitérante des membres inférieurs), comme une claudication intermittente et des douleurs de décubitus (position allongée).
L’examen clinique comprend en général la recherche de cicatrice d’anciens ulcères, la palpation des pouls périphériques, l’auscultation des artères des membres et du cou, la recherche de varices au niveau des membres inférieurs, de télangiectasies (dilatations vasculaires anormales et permanentes disparaissant à la vitropression), de veines réticulaires (ou microvarices), d’une couronne phlébectasique de la cheville ou du pied, la recherche systématique de facteurs de risque vasculaire (diabète, hypertension artérielle, trouble métabolique, tabagisme, antécédents d’accident vasculaire cérébral ou d’événements cardiaques ischémiques).
Il est important de déterminer si l’ulcère est « propre » ou infecté, s’il est bourgeonnant, en voie de cicatrisation, recouvert d’un enduit jaunâtre adhérent (constitué de fibrine), ou encore s’il existe une zone nécrotique noirâtre.
Le bilan diagnostique doit également comprendre une évaluation du degré de handicap moteur, secondaire par exemple, à une ankylose de la cheville, une coxarthrose, gonarthrose…
Parmi les examens complémentaires viennent en tête l’échographie veineuse et l’écho-doppler artériel.
Les traitements
Le traitement d’un ulcère a obligatoirement deux dimensions : locale et générale.
Sa chronicité et la nécessité de pansements fréquents entraînent souvent un retentissement psychologique et social important.
Quel que soit le type d’ulcère, les soins locaux sont essentiels, qui doivent respecter et accompagner les 4 temps fondamentaux de la cicatrisation : nettoyage/désinfection, détersion, bourgeonnement, épidermisation/réépithélialisation.
Il faut avoir présent à l’esprit qu’il s’agit d’une prise en charge prolongée exigeant une bonne complémentarité entre les différents professionnels de santé, médecin, infirmière, pharmacien, voire kinésithérapeute et qui doit aussi viser à éviter les récidives, encore fréquentes
Nettoyage/désinfection : par bain ou toilettage (nettoyage de l’ulcère au sérum physiologique), l’emploi d’antiseptique (permanganate, Septivon, Biseptine, Bétadine…) ou d’antibiotiques locaux n’est nécessaire qu’en présence d’une infection. Le charbon actif (Actisorb, Carbonet…) réunit des propriétés antiseptiques, absorbantes antiodeurs ; dans certains pansements il est associé à des ions argent
Détersion : consiste à enlever les débris cellulaires ou croûteux à la surface de l’ulcère, au moyen d’une curette, d’un bistouri, voire de ciseaux ; une anesthésie locale peut être nécessaire (Xylocaïne, Emla). Les ulcères fibrineux bénéficient d’une détersion enzymatique (Élase) d’hydrogels (Hydrosorb, Duoderm Hydrogel) sous hydrocolloïde, et les ulcères très exsudatifs de Débrisan ou de pansements hyperabsorbants à base d’alginates qui présentent l’avantage supplémentaire d’être hémostatiques (Sorbalgon, Sorbsan), d’hydrofibre composée de carboxyméthylcellulose (Aquacel) ou encore de produits combinés (Seasorb, Urgosorb), recouverts de compresses ou d’hydrocolloïde. Certains peuvent être laissés en place 2 ou 3 jours selon le degré de suintement de la plaie et en l’absence d’infection
Bourgeonnement : cette phase correspond au comblement progressif de l’ulcère par du tissu de granulation. À ce stade, les pansements doivent être renouvelés avec douceur afin de ménager ce tissu particulièrement fragile. Plusieurs types de pansements sont utilisables : les pansements gras en évitant ceux imprégnés de baume du Pérou qui exposent à un risque élevé de sensibilisation (Vaselitulle, Adaptic, Mepitel), hydrocolloïdes (Comfeel, Duoderm, Algoplaque), hydrocellulaires (Tielle, Allevyn), alginates de calcium…
Épidermisation : elle fait appel aux mêmes types de produits quand l’épidermisation est spontanée ; des greffes de peau doivent être envisagées si l’ulcère persiste plus de 6 mois ou s’il est de grande taille (plus de 10 cm²).
Traitements étiologiques
Ulcère veineux : la contention est la base du traitement. Elle doit être à haut niveau de pression (au moins 30 mm de mercure à la cheville, en réalisant un gradient de pression diminuant de la cheville au genou, mise en place le matin ou après une position allongée prolongée), élastique (la plus utilisée, elle assure une bonne contention au repos : bandages, bas, collants, chaussettes) ou non (maintien une bonne compression à l’effort), fixe (pour la phase de l’ulcère cicatrisé, à laisser en place plusieurs jours d’affilée y compris la nuit ; n’empêche pas l’utilisation d’une contention élastique amovible par-dessus) ou amovible (préférable). Elle s’oppose au reflux au cours de la marche et contribue à réduire l’œdème. On peut conseiller de surélever de 10 à 15 cm les pieds du lit, ce qui facilite le retour veineux pendant le sommeil et de faire des marches quotidiennes. La chirurgie et la sclérothérapie sont parfois nécessaires. Les veinotoniques n’ont qu’un intérêt limité au stade d’ulcères mais ils peuvent améliorer les signes fonctionnels de l’insuffisance veineuse chronique. Bien que l’ulcère veineux évolue en règle favorablement (70 % des ulcères guérissent en 3 à 4 mois) si le traitement est bien conduit, il est marqué par un risque élevé de récidive et de passage à la chronicité. L’ulcère postthrombotique est en revanche plus difficile à traiter
Ulcère artériel : le traitement comprend des vasodilatateurs (buflomédil, naftidrofuryl), des analogues de la prostacycline dans les cas graves (iloprost - Ilomédine), des antiagrégants plaquettaires, l’administration d’anticoagulants hépariniques et des interventions chirurgicales : pontage avec greffons veineux ou prothétiques, endartériectomie - ablation de la plaque athéromateuse, après ouverture de l'artère, angioplastie endoluminale. La contention élastique est contre-indiquée dans ce cas car elle majore l’ischémie distale. Il est nécessaire de corriger, autant que faire se peut, les facteurs de risques artériels. Si la restauration d’une circulation artérielle efficace s’avère impossible, l’ulcère risque de s’aggraver conduisant in fine à envisager une amputation.
Ne pas oublier l’importance, chez ces patients, d’une vaccination antitétanique à jour.
Il est essentiel d’assurer une bonne hygiène de vie et de traiter les facteurs de risque ainsi que les comorbidités : arrêt du tabac, bon équilibrage d’un diabète ou d’une hypertension artérielle, prise en charge d’une dyslipidémie, perte de poids, rééducation à la marche, kinésithérapie…
Un état de dénutrition (albuminémie inférieure à 30 g/l) peut être à l’origine d’un retard à la cicatrisation.
Pour en savoir plus : www.ulcere-de-jambe.com
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