La chirurgie de l’obésité par dérivation de l’estomac, dite « bypass gastrique », interroge depuis ses débuts sur son efficacité, au-delà de la perte de poids, à faire diminuer la glycémie. Depuis sa recommandation par la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2009, cette intervention a été réalisée chez plus de 200 000 Français atteints d’obésité sévère. Chez les patients présentant un diabète de type 2, la dérivation entraîne une diminution immédiate du taux de sucre postprandiale juste après l’opération.
De nombreuses études ont montré comment, une fois opérés, les malades sont amenés à diminuer voire à interrompre leurs traitements antidiabétiques, avant même d’avoir perdu du poids. Restait à trouver une explication physiologique à cette observation clinique. Les chercheurs de l’Unité mixte de recherche 1190 « Recherche translationnelle sur le diabète » (Université de Lille – INSERM – CHRU de Lille) dirigée par le Pr François Pattou, en collaboration avec une équipe du LABEX European Genomic Institute for Diabetes (EGID), viennent de publier, dans « Cell Metabolism », des résultats qui réconcilient la théorie et la clinique.
Plusieurs mécanismes complexes ont déjà été suggérés pour expliquer les effets du bypass sur la glycémie, impliquant le rôle de signaux sanguins ou nerveux induits par la chirurgie et modulant la sécrétion d’insuline ou l’utilisation du sucre par les tissus cibles. Mais aucun de ces travaux, réalisés le plus souvent chez le rongeur, n’a offert jusqu’alors une réponse explicite.
Pour y parvenir, les chercheurs ont, dans un premier temps, conforté leur hypothèse sur un groupe de patients volontaires du CHU de Lille, à qui ils ont fait consommer un même repas test avant et après une chirurgie bariatrique. L’expérience a montré que l’intervention limitait l’absorption des sucres ingérés, et par conséquent l’élévation de la glycémie après le repas. Pour en étudier les conséquences, ils ont ensuite réalisé cette opération chez le miniporc, un mammifère omnivore, dont l’anatomie et la physiologie digestives sont très proches de celles de l’homme.
Ils ont ainsi mis en évidence un mécanisme simple : après un bypass gastrique, du fait de la dérivation, le sucre ingéré n’est plus absorbé que dans la partie basse de l’intestin, lorsqu’il entre en contact avec les sels biliaires. Ils ont également observé que l’action de la bile est annulée en présence de phlorizine, un inhibiteur de l’absorption du glucose. Par l’addition de sodium au repas, ils ont pu restaurer l’absorption du sucre dans la partie haute de l’intestin, et vu alors s’accroître le taux de sucre postprandial chez les animaux opérés.
Le contenu en sel des repas
Cette expérience souligne non seulement l’influence essentielle du sodium sur l’absorption intestinale du glucose, mais aussi que c’est le sodium endogène, excrété dans la bile et les secrétions digestives, qui assure la majorité de l’absorption physiologique du glucose par l’intestin. Ce qui peut expliquer, en l’occurrence, la meilleure efficacité des interventions réduisant le plus la longueur d’intestin fonctionnel.
Plus généralement, ces résultats confirment aussi l’influence du contenu en sel des repas sur l’élévation de la glycémie, récemment illustrée par une étude israélienne (Zeevi et al. Cell 2015) chez 800 individus sains. Celle-ci portait sur l’influence de 120 variables sur la glycémie postprandiale. Le contenu en sel est apparu en 4e position des facteurs d’influence après la quantité de sucre ingérée, la glycémie à jeun et l’heure d’absorption du repas (celui du soir générant une glycémie habituellement plus élevée).
« L’élucidation des liens unissant l’intestin, l’alimentation et l’équilibre glycémique pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour la prise en charge du diabète de type 2 », se réjouit le Pr Pattou. Une maladie qui touche 5 % des Français et plus de 300 millions de personnes dans le monde. Le spécialiste souligne notamment l’intérêt de prévenir ou traiter le diabète en modulant l’absorption intestinale du glucose par des mesures diététiques, « par la diminution de l’ingestion simultanée de sel et de sucre ». Cette découverte pourrait aussi, selon lui, élargir la recherche pharmacologique à des antidiabétiques inhibant sélectivement le transporteur sodium-glucose intestinal.
« La diminution sélective de l’absorption du glucose par l’intestin, n’est sans doute pas la seule explication des résultats spectaculaires du bypass gastrique, précise toutefois le chercheur. La perte de poids et la diminution de l’appétence pour les aliments sucrés jouent aussi un rôle important pour le maintien au long cours des résultats. » Enquête à suivre ...
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