LES EFFETS délétères, voire dévastateurs du tabac ne sont plus à prouver, tant sur le plan psychologique que cardio-vasculaire : 73 000 décès par an sont directement liés au tabagisme, dont 19 000 suicides. Le tabagisme est la première cause de mortalité évitable en France. Mais pour limiter la mortalité liée au tabagisme encore faudrait-il combattre certaines idées trop souvent véhiculées. Le Pr Henri-Jean Aubin, psychiatre-addictologue, souligne ainsi que « depuis la fin des années 1980, de nombreux experts attribuaient au tabac un effet antidépresseur ». Chez les personnes atteintes de troubles psychiatriques, le nombre de fumeurs est particulièrement élevé et le tabac apparaîtrait comme des « béquilles » contre la dépression. D’autre part, le sevrage tabagique était réputé favoriser une réaction dépressive et augmenter l’anxiété et le stress. De nombreuses études cliniques viennent d’invalider ces notions.
Désormais, précise le Pr Aubin, « nous savons que la réaction est essentiellement inverse : c’est plus le tabac qui sensibilise le patient à la dépression que le contraire. Dans la pratique quotidienne, à l’arrêt du tabac les dépressions sont rares et, contrairement a tout ce qui a été dit, il n’y a pas d’explosion de symptômes dépressifs lors du sevrage ». Le tabac apparaît comme un facteur délétère pour le psychisme. Tout en n’ayant pas de données physiologiques précises, on estime actuellement que le tabac sur le long cours induit une humeur triste et de la dépression. Une récente méta-analyse (Li et al., 2012) suggère que les fumeurs ont un risque suicidaire très augmenté (81 %) par rapport aux non-fumeurs. Chez les anciens fumeurs, le risque suicidaire est estimé à 28 %. Ce risque est considéré comme corrélé à l’intensité du tabagisme, c’est-à-dire au nombre de cigarettes fumées.
Des résultats encourageants.
Dans ce contexte touchant au psychisme, « il apparaît regrettable de constater la remise en questions de certains médicaments permettant un sevrage tabagique ». Une étude (KH Thomas et al., 2013) comparant le risque de suicide et d’automutilations fatales chez des patients (119 528 hommes et femmes) ayant reçu une prescription de varénicline ou de bupropion, en comparaison à des patients traités par des substituts nicotiniques, montre qu’il n’y a pas de preuve d’un risque accru de comportement suicidaire chez les patients sous varénicline ou bupropion, en comparaison avec ceux traités par substituts nicotiniques. Des résultats estimés rassurants tant par les prescripteurs que par les utilisateurs. Une autre étude, datant de 2013 (Anthenelli et al.), a évalué l’abstinence tabagique et les changements d’humeur et le niveau d’anxiété chez 525 fumeurs adultes traités et stabilisés pour leur dépression, ou ayant eu un épisode majeur dépressif dans le passé, et traités par de la varénicline ou un placebo pour un sevrage tabagique. Après randomisation, ces patients ont reçu pendant 12 semaines, soit 1 mg de varénicline (Champix) 2 fois par jour, soit un placebo. Puis les patients, après l’arrêt du traitement, ont été suivis pendant 40 semaines. De cette étude il ressort qu’aucune différence cliniquement significative n’a été observée entre les 2 groupes pour les idées suicidaires, le comportement suicidaire, l’aggravation des symptômes de dépression ou d’anxiété. Les taux d’abstinence dans le groupe Champix ont été nettement supérieurs à celui du placebo (semaine 9 à 12 : 35,9 % vs 15,6 %). Les nausées ont été l’effet indésirable le plus fréquent.
Ces différents résultats sont encourageants pour proposer des traitements facilitant le sevrage tabagique. Si le tabagisme a un impact sur le psychisme, son retentissement sur le système cardio-vasculaire est indiscutable et souvent sous estimé, notamment chez les moins de 40 ans. Le Pr Daniel Thomas, cardiologue, regrette que le lien entre le tabac et les risques cardio-vasculaires soit trop souvent oublié. Le tabagisme est le responsable essentiel et souvent isolé de l’infarctus du myocarde (IDM). Plus de 80 % des personnes (hommes ou femmes) ayant un IMC avant 45 ans sont des fumeurs. Un quart des décès chez les hommes avant 70 ans sont directement liés au tabac. Ces dix dernières années, les hospitalisations pour IDM ont augmenté de façon significative chez les femmes jeunes. Et que ce soit chez les femmes ou hommes jeunes, l’IDM « ne prévient pas ». Les mécanismes essentiels de l’impact cardio-vasculaire du tabagisme sont la thrombose par hyperagrégabilité plaquettaire, et le spasme artériel par altération de la vasomotricité artérielle endothélium-dépendante.
Des bénéfices rapides.
Le Pr Thomas remarque qu’« il n’y a pas de petits tabagismes ». Le mythe du petit tabagisme inoffensif n’existe pas. La formation de caillot ou la survenue d’un spasme sont deux mécanismes extrêmement sensibles à l’exposition tabagique.
Le sevrage tabagique est donc capital, mais trop négligé. Pourtant les bénéfices sont sous-estimés et peuvent être rapides : le monoxyde de carbone est éliminé en 24 heures du sang, d’où une capacité de transport de l’oxygène redevenue normale, la dysfonction plaquettaire est rétablie en deux semaines (toutes les plaquettes sont renouvelées en 15 jours)… La précocité de l’arrêt est un élément important. S’arrêter de fumer a la quarantaine entraîne une espérance de vie identique aux personnes n’ayant jamais fumé. Et s’arrêter plus tardivement entraîne des bénéfices, certes moindres mais encore importants. Pour le Pr Thomas, « la prise en charge médicale du tabagisme doit être équivalente à celle des autres facteurs de risque, tels que l’hypertension artérielle, le diabète ou hypercholestérolémie ».
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