« Ce que tous les chercheurs en cancérologie veulent trouver, c’est le bon traitement pour le bon patient, quel que soit le site de la tumeur. L’avenir réside dans le profilage des tumeurs afin de détecter des vulnérabilités uniques pouvant être ciblées par une thérapie moléculaire efficace. Notre recherche représente un nouveau pas vers cet objectif », explique le Dr Stephen Liu, oncologue à l’hôpital universitaire de Georgetown à Washington (États-Unis), qui a dirigé l’étude publiée dans la revue « Clinical Cancer Research » (1).
Chez les patients atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules, il est désormais habituel de rechercher des mutations (EGFR, ALK, ROS1, BRAF…) et des fusions de gènes qui sont oncogéniques et peuvent orienter le traitement vers une thérapie ciblée. Il est devenu clair également que des altérations oncogéniques pourront servir de cibles thérapeutiques dans une large variété de cancers. En novembre dernier, la Food and drug administration (FDA) a ainsi autorisé la mise sur le marché du larotrectinib pour tout cancer métastatique porteur d’une fusion NTRK (neurotrophic receptor tyrosine kinase), – quel que soit le tissu affecté. La fusion génétique NTRK apparaît responsable en effet de 1 % des cancers solides. Il s’agit d’une première autorisation pour une thérapie ciblée « agnostique du tissu » autrement dit quel que soit le(s) tissu(s) touché(s).
Le gène NRG1 (neuregulin-1), un driver oncogénique
On observe dans plusieurs types de cancer une autre fusion génétique, affectant le gène NRG1 (neuregulin-1). Celle-ci représente un nouvel inducteur (ou « driver ») oncogénique potentiellement actionnable. « Les fusions NRG1 activent des voies de signalisation bien connues favorisant la croissance tumorale. La voie de signalisation est médiée par les récepteurs HER2/HER3 et nous avons déjà plusieurs agents disponibles en clinique qui pourraient cibler efficacement cette voie », explique au « Quotidien » le Dr Liu.
« Dans cette étude, nous avons examiné près de 22 000 échantillons tumoraux soumis à un séquençage d’ARN afin de caractériser la fréquence et la nature de ces fusions NRG1 », précise le Dr Liu.
Globalement, des fusions NRG1 ont été détectées dans 0,2 % des cancers (41 sur 21 858). Elles sont plus ou moins fréquentes selon le type de cancer : observées dans 0,5 % des cancers de la vésicule biliaire, cancers du pancréas et cancers du rein ; dans 0,4 % des cancers de l’ovaire, 0,3 % des cancers du poumon non à petites cellules, 0,2 % des cancers du sein et des sarcomes, et 0,1 % des cancers de la vessie et des cancers colorectaux ; enfin, une fusion NRG1 a été trouvée dans une tumeur neuroendocrine du nasopharynx. La majorité (70 %) de ces cancers sont des adénocarcinomes et de multiples partenaires de fusion ont été identifiés.
Une cancérologie de précision
« Ces fusions NRG1 ne représentent pas un évènement courant (<1 %) mais leur détection est importante. Ces patients porteurs de cancers liés à NRG1 pourraient tirer davantage de bénéfice d’une thérapie ciblée que d’une immunothérapie ou d’un traitement conventionnel », souligne le Dr Liu.
À ce jour, de nombreuses observations ont rapporté l’efficacité d’agents ciblant HER2 / HER3 pour traiter des cancers NRG1 +. Ces agents comprennent un anticorps anti-HER3 et l’afatinib (Giotrif), un inhibiteur des tyrosines kinases HER qui est administré par voie orale.
« L’oncologie de précision peut changer le traitement du cancer. Elle est élégante et rationnelle. Le traitement des cancers NRG1 représentera la prochaine grande avancée de la thérapie ciblée et les patients devraient être testés pour ces altérations », estime le Dr Liu.
L’équipe envisage d’élargir l’étude et de collaborer avec d’autres groupes afin de mieux caractériser encore ces fusions. Plusieurs essais cliniques centrés sur cette altération spécifique sont en développement.
(1) S. Jonna et al., Clinical Cancer Research, 10.1158/1078-0432.CCR-19-0160, 2019.
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