Équipement informatique et système d’information

Acheter ses lecteurs de cartes Vitale : un choix cornélien ?

Publié le 24/11/2011
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Acquérir les lecteurs de cartes Vitale par le biais de son éditeur ou les acheter sur Internet, telle est l’alternative qui se présente aux pharmaciens. L’enjeu est lié aux prix de ces produits, moins élevé quand on les achète de façon indépendante, mais les éditeurs insistent sur la maintenance et le service autour de ces matériels. Ce débat, qui agite les différents réseaux de distribution, pose en réalité la question de la dépendance ou non des pharmaciens vis-à-vis de leurs éditeurs. Car par ailleurs, peu d’enjeux technologiques marquent les lecteurs de carte Vitale.
Un indispensable de l’officine qu’il faut savoir choisir

Un indispensable de l’officine qu’il faut savoir choisir
Crédit photo : S. toubon

COMMENT faut-il acheter les lecteurs de cartes Vitale ? Ces outils indispensables à l’exercice de la profession de pharmacien, mais sans grande valeur ajoutée, ont longtemps été fournis, et le sont toujours, par des éditeurs de logiciels qui se sont donnés pour mission d’être interlocuteurs privilégiés de leurs clients en matière de systèmes d’information. C’est le cas des deux géants de l’édition dans le domaine pharmaceutique, Pharmagest et Alliadis. Lesquels proposent ces lecteurs sous la forme de contrat de location incluant le lecteur proprement dit, la maintenance et les services associés. Mais depuis quelques années, des distributeurs ont conquis des parts de marché conséquentes en vendant des lecteurs de cartes Vitale à des prix plus compétitifs, notamment par le biais d’Internet. Alors que les contrats de location peuvent tourner autour des 30 euros par mois (chiffre non confirmé par les deux éditeurs cités plus haut), on peut trouver sur la toile des lecteurs au prix de 125 euros. Ce qui peut représenter une économie substantielle, si l’on considère, comme le souligne Brigitte Lico, présidente d’AVT, le principal grossiste dans ce secteur, qu’« il y a en moyenne cinq lecteurs par pharmacie ». Alors, acheter ses lecteurs sur Internet est-il aussi intéressant qu’il y paraît ?

Pas du plug and play.

Pour les éditeurs, la réponse est de toute évidence négative. « Les distributeurs cassent les prix sur le marché, or ils n’ont pas les mêmes contraintes que les éditeurs » explique Jérôme Lapray, responsable marketing de Pharmagest. « Ces lecteurs ne sont pas du " plug & play* " et le risque pour les pharmaciens en passant par ce réseau, c’est de ne pas maîtriser la compatibilité du lecteur avec le logiciel. » Même son de cloche chez Alliadis : « le paramétrage de ces outils est important de façon à s’assurer qu’ils communiqueront parfaitement avec le logiciel » confirme Sophie Roussel, directrice marketing et communication. « Quand il y a un problème de maintenance, le pharmacien qui a acheté chez un distributeur en ligne se tourne vers nous, mais il est obligé de payer la prestation, ce qui lui coûte plus cher que l’économie réalisée en se fournissant sur Internet » reprend Jérôme Lapray.

Des produits standardisés.

Ce à quoi les distributeurs répondent en relativisant l’argument de la maintenance. « Le taux de panne est faible » soutient ainsi Gilles Vidal, gérant de la société Accord Distribution. « Et par ailleurs, nous ne prenons pas de contrat de maintenance pour des produits qui avoisinent les 100 ou 150 euros ». Les distributeurs avancent également l’argument de la standardisation de ces outils qui doivent tous être homologués par le GIE Sésame Vitale, l’organisme chargé de normaliser tout ce qui a trait à la Carte Vitale. Les distributeurs ne sont pas non plus des revendeurs purs et durs sans aucune valeur ajoutée puisqu’ils proposent aussi certains types de services, le remplacement sous garantie par exemple, ou même le paramétrage à distance. D’une manière générale, ils défendent l’idée de « séparer les pharmaciens de leurs liens exclusifs avec leurs éditeurs de logiciels », selon Ghislain Vanlaer, gérant de Medprice. « L’homologation du matériel et les agréments donnés pour les logiciels sont deux filières bien séparées » justifie-t-il. Allusion à certains fournisseurs qui contournent cette séparation, notamment pour ce qui concerne la mise à jour des cartes Vitale qui peuvent désormais être faites directement sur le lecteur et non plus sur des bornes séparées comme c’était le cas jusqu’à présent. Néanmoins, certains acteurs de la distribution, qui auraient intérêt à une telle séparation, se demandent si le jeu en vaut la chandelle pour les pharmaciens. Ces derniers « ne peuvent s’affranchir du logiciel d’exploitation » souligne Luc Saïdi, Président de NIS, grossiste en lecteurs de cartes à puce. « Ont-ils intérêt à regarder d’aussi près des produits dont les prix sont quand même peu élevés au regard des investissements qu’ils sont par ailleurs appelés à réaliser ? ». Peut-être n’est-ce au fond qu’une question de principe que seuls les principaux concernés peuvent trancher en fonction de leurs opinions et de leur intérêt.

Les innovations technologiques dans le domaine des lecteurs de cartes Vitale ne sont pas à même de représenter des critères décisifs dans le choix que les pharmaciens peuvent faire. Le plus important a été cité, celui de l’intégration de la mise à jour dans les lecteurs, normalisée par le GIE Sésame Vitale. Il existe donc un référentiel auxquel les fabricants de lecteurs doivent se conformer. Les autres évolutions sont moins significatives. Certes, les lecteurs trifentes ont beaucoup de succès. Ces lecteurs peuvent lire à la fois la carte CPS des praticiens, la carte Vitale des patients et leur carte mutuelle. Mais de fait, il y a encore peu de mutuelles qui ont choisi d’utiliser des cartes à puce pour enregistrer les droits de leurs assurés.

La carte Duo existe, mais elle concerne encore peu de patients. « C’est un peu comme une option sur les voitures, tout le monde la veut pensant que c’est indispensable mais elle ne sert à rien » ironise Xavier Richard, gérant d’Arilog. « Oui, en effet, il n’y a pas encore beaucoup de mutuelles ayant un système de cartes à puce » admet Sophie Roussel, « mais compte tenu de l’augmentation du nombre de produits déremboursés, cela va se développer. »

Attention aux coûts annexes.

En attendant, les lecteurs trifentes ont trouvé leur usage : quand l’une des fentes tombe en panne, la troisième sert de remplacement, tout simplement. Ce qui peut être d’un certain confort. Autre évolution qui intéresse les pharmaciens, celle des lecteurs qui s’occupent aussi des cartes bancaires, « appréciés notamment des pharmacies qui peuvent avoir des encaissements importants liés aux médicaments et aux produits de parapharmacies » remarque Brigitte Lico. Bien qu’il faille faire attention aux coûts annexes, prévient Yohann Plonevez, technicien SAV chez Distrimed. « Il faut avoir soit une ligne analogique supplémentaire, soit une adresse IP qui nécessite une configuration à faire dans les routeurs et qui n’est pas simple. Dans les deux cas, il y a un surcoût annexe lié à la transaction bancaire. »

La standardisation des lecteurs de cartes Vitale ira-t-elle encore plus loin ? Si les évolutions technologiques récentes ne proposent guère de véritables innovations, il pourrait en être différemment dans un avenir plus ou moins proche. Une certitude, la disparition prochaine des ports série, selon Yohann Plonevez, ce qui facilitera l’installation des lecteurs qui n’auront plus que les ports USB pour être branchés, et mieux identifiés. « Cela risque de poser des problèmes aux officines qui utilisent beaucoup de platines, limitées en connectique » estime Yohann Plovenez. Au-delà de cette échéance, plusieurs scénarios sont évoqués par les acteurs de la distribution. Des évolutions liées à l’usage d’Internet dans le cadre de l’évolution du programme Sésame Vitale, selon Brigitte Lico, mais il faut attendre les référentiels du GIE Sésame Vitale, jusqu’à des perspectives un peu plus lointaines liées au changement pur et simple de supports d’identification.

« La nouvelle carte d’identité française avec carte à puce devrait être lancée à la fin de l’année prochaine » évoque Luc Saïdi, « pourquoi ne pas imaginer l’utiliser comme élément d’identification pour les patients Sésame Vitale ? » De même, il est possible de se projeter dans des technologies fort prisées dans le monde de la grande distribution, les portables NFC (Near Field Communication ou communication en champ proche), versions téléphoniques des tags RFID. Ces technologies de paiement sans contact peuvent remplacer plusieurs outils, de la carte de crédit à la carte Vitale. Leur avantage serait entre autres de ne plus avoir besoin de lecteurs de cartes. De la science-fiction ? La technologie existe, il reste à prendre des décisions politiques.

Risque de monopole.

En attendant, les pharmaciens désireux de renouveler leurs matériels, devront peut-être affronter une question qui peut se révéler délicate : le choix de la marque de leurs lecteurs. Il existe trois fabricants : Xiring, Ingenico et Gemalto. Pour les clients d’Alliadis et de Pharmagest, le problème ne se pose pas, puisque les deux éditeurs ont élu Xiring comme leur fournisseur principal, ce qui contribue d’ailleurs à en renforcer le poids sur le marché des lecteurs de cartes Vitale en officine. Pour les autres, le choix dépend aussi des revendeurs, de leurs relations avec les grossistes et les fabricants de ces produits, guère évidentes dans un climat de guerre des prix. Mais un événement tout frais risque de bouleverser quelque peu le paysage, l’annonce d’une OPA d’Ingenico sur Xiring, renforçant ainsi la concentration du secteur. Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur l’évolution de la concurrence et des prix, mais on s’approche ici d’un modèle monopolistique, ce qui n’est jamais bon.

* Plug and play : concept qui permet aux périphériques d’être reconnus instantanément par le système d’exploitation et donc d’être installés facilement.
› HAKIM REMILI

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2878