GÉRER SON SYSTÈME D’INFORMATION A PARTIR D’UNE APPLICATION HÉBERGÉE

L’informatique officinale cédera-t-elle aux sirènes du cloud ?

Publié le 31/01/2013
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Pour l’instant limité à des applications périphériques, le cloud, qui permet de gérer le système d’information à partir d’un site extérieur, pourrait dans un avenir indéterminé concerner le cœur même de l’informatique officinale, et donner ainsi du temps et de la liberté aux pharmacies tout en renforçant leurs performances. Mais ce n’est pas si simple. Pour les éditeurs, c’est un enjeu à la fois technique et financier. Pour les pharmaciens, le principal obstacle est lié à la sécurisation des connexions Internet. Mais le cloud pourrait s’imposer de l’extérieur, grâce aux applications grand public et surtout sous l’impulsion des autorités publiques et du monde de la santé pour assurer un meilleur partage des données.
Le célèbre nuage informatique gagne, petit à petit, sa place à l’officine

Le célèbre nuage informatique gagne, petit à petit, sa place à l’officine
Crédit photo : Alliadis et Dr

TOUT LE MONDE en parle sans qu’on sache exactement ce que c’est, et tout le monde en fait sans vraiment le savoir. Les pharmaciens n’échappent pas à cet étrange phénomène qu’est le cloud computing, en français, l’informatique dans les nuages, un système de gestion informatique qui permet d’héberger et de faire tourner des applications à l’extérieur de l’entreprise sur un site sécurisé. Il ne s’agit pas seulement de stocker des données à l’extérieur, mais d’héberger une application à laquelle l’utilisateur va se connecter pour l’utiliser via un accès sécurisé. Une façon d’éloigner le cœur du système pour mieux le faire tourner.

De nombreux avantages.

Les pharmaciens en font sans vraiment le savoir puisque le Dossier Pharmaceutique est déjà du cloud computing, fait remarquer Sophie Roussel, directrice marketing et communication d’Alliadis. Tout comme le grand public ne s’interroge pas particulièrement sur certaines applications utilisées quotidiennement, comme l’hébergement de photos par exemple. Pour autant, les pharmaciens gagneraient à mieux le connaître, affirment globalement les éditeurs de LGO, pour qui cette technologie a indéniablement de l’avenir. Les avantages présentés sont en effet nombreux : « c’est un système qui permet de gagner en performance et en rapidité » souligne ainsi David Derisbourg, responsable marketing d’Isipharm, puisque l’application est hébergée sur un site beaucoup plus puissant qu’un serveur. Cela réduit automatiquement la puissance du matériel dont on a besoin en pharmacie. Le cloud présente également l’avantage d’effectuer des mises à jour de manière plus directe et plus simple sans que le pharmacien ne s’en préoccupe de quelque manière que ce soit et d’en assurer la maintenance de façon plus aisée. Il est possible en outre d’accéder à ses applications de n’importe quelle plate-forme, y compris mobile. Enfin, les données sont sécurisées, éloignées ainsi du lieu ou peuvent survenir des incidents en tout genre (incendie, inondation etc…).

Tous ces avantages ont déjà attiré de nombreuses entreprises, plutôt des grandes que des petites d’ailleurs. Chez les médecins, il existe un logiciel 100 % Cloud selon David Derisbourg, « Top Synchro ». Mais les pharmacies, elles, restent en retrait. D’abord parce que l’offre elle-même est pour l’instant relativement réduite. Les éditeurs de LGO se cantonnent à des applications « périphériques » qui pour la plupart ne concernent pas la donnée santé elle-même, telles la gestion de commandes pour les groupements de pharmaciens (groupements informels type SEL), la gestion de stock des sites marchands, certaines bases de données également sont en cloud, de même que parfois des applications liées à la gestion de dossiers clients. Il est symptomatique de constater que l’un des derniers venus sur la planète de l’informatique officinale, Asap Pro, avec son logiciel de gestion de la qualité, Pharmaprocess, fonctionne en mode cloud.

Pas une mince affaire pour les éditeurs.

Mais le cœur même de l’informatique officinale reste hors du champ de ce mode de gestion. Pour l’instant, on comprend bien pourquoi : il faut que les éditeurs s’adaptent, et cela n’est pas une mince affaire. Ils doivent d’abord obtenir un agrément du Ministère de la Santé lié à l’hébergement des données relatives à la santé (voir encadré ci contre). Ils doivent ensuite soit s’équiper de structures d’hébergement adéquates, cela demande de lourds investissements (à défaut, ils peuvent sous-traiter à un hébergeur qui dispose de structures suffisantes sur le sol national telles que le demande la réglementation française). « Nos clients se comptent par milliers, cela signifie des millions de requêtes générées quotidiennement, il faut donc être dimensionné pour pouvoir gérer ce volume, observe Jérôme Lapray, responsable marketing de Pharmagest. Cela nécessite également de penser le développement de ces logiciels de manière différente » ajoute-t-il. Mais tout cela n’est pas hors de leur portée, et techniquement, tout est faisable.

Imaginer qu’un jour le cœur même des LGO puisse être géré en mode cloud reste cependant du domaine de l’hypothèse à laquelle les éditeurs préfèrent ne pas répondre de manière tranchée.

Cloud privé ou cloud public ?

« Pour l’instant, il est difficile d’affirmer que c’est inéluctable » estime Jérôme Lapray. Même si aujourd’hui, il en existe déjà un, La Source Informatique, qui déclare gérer son logiciel, Pharmaland, en mode cloud. Ses dirigeants n’ont pu répondre à nos questions. Il est notamment difficile de savoir comment l’éditeur a su gérer le volume de données exploité en mode cloud, et quel défi technique cela a pu représenter.

Les obstacles sont également du côté des pharmaciens qui peuvent s’interroger en premier lieu et à bon droit sur la sécurité de leurs données. De ce point de vue, il est important de distinguer le « cloud privé » du « cloud public ». Dans le premier cas, des espaces dédiés et cloisonnés sont proposés aux clients qui le demandent, ce qui assure la confidentialité des données, dans le second, lesdites données ne sont pas hébergées de manière aussi bien segmentées comme c’est le cas par exemple de nombreuses applications proposées au grand public. A priori, le problème ne se pose pas pour les pharmaciens car l’agrément du Ministère de la Santé veille justement à vérifier que les données santé bénéficient d’un hébergement totalement sécurisé, et donc d’un cloud privé qui en assure la confidentialité.

Une connexion sécurisée indispensable

Plus problématique en revanche est la question de la solidité de la connexion entre l’informatique du pharmacien et le site de l’hébergeur. Les LGO étant sollicités en permanence au sein des officines, tout incident de connexion peut avoir des conséquences. « Cela nécessite une connexion Internet très performante » rappelle Sophie Roussel, qui fait valoir la sécurité qu’apporte le réseau privé utilisé par Alliadis. D’où des investissements supplémentaires liés à la qualité de l’infrastructure Internet, voire des onduleurs performants pour être sûr d’être à l’abri de tout incident de connexion. Ce sera au pharmacien de résoudre ce point délicat pour réduire son sentiment de dépendance à l’égard d’un fournisseur extérieur, notamment en s’intéressant aux offres SDSL disponibles sur le marché, plus puissantes que l’ADSL le plus couramment utilisé en officine.

Il reste également la question importante du coût et à ce stade, il est difficile de savoir si le cloud peut représenter un avantage financier conséquent pour les clients. Sur le papier, oui, la réduction de certaines infrastructures matérielles peut être intéressante, bien que les pharmaciens auront toujours besoin de serveurs, observe David Derisbourg, simplement ils seront moins puissants. Et de toute façon, cela ne réduira pas la place des matériels utilisés aux comptoirs. Mais au moins dans un premier temps, l’équation économique ne sera pas si simple. Pour David Derisbourg, les coûts risquent d’être de 20 à 30 % plus élevés que l’usage d’un serveur classique. Tout cela va dépendre aussi du volume global des clients qui utiliseront le cloud : « c’est de l’espace disque qui est consommé sur un serveur, s’il n’y a pas beaucoup d’utilisateurs, le coût en sera plus élevé » explique Sophie Roussel. Comme de nombreux marchés, ce n’est qu’avec un effet de masse que les prix pourront devenir intéressants pour les pharmaciens.

Quel modèle financier ?

Les pharmaciens devront également s’habituer à une autre façon de « payer » leur application métier, encore que cela dépendra du mode de paiement choisi par les éditeurs. Le cloud computing invite à payer l’application hébergée en fonction de l’utilisation qui en est faite, c’est le « coût à l’usage ». Dans la mesure où les LGO sont utilisés en permanence dans les officines, on se demande si cela est vraiment utile et peut-être un simple loyer est-il plus adapté. Pourtant, le cloud permettrait de mieux identifier le coût de l’informatique, selon Sophie Roussel : « cela permet de mieux planifier sa charge » estime-t-elle. Mieux, le pharmacien pourrait être incité à regarder de plus près tous les postes de son budget informatique, et selon David Derisbourg, s’interroger sur les coûts de sa maintenance. Celle-ci étant de facto assurée de manière beaucoup plus simple par le prestataire, et donc forcément moins coûteuse.

Le modèle financier se cherche encore, mais il est à parier qu’à plus ou moins long terme, le cloud finira par s’imposer à l’informatique officinale d’une manière ou d’une autre. Peut-être d’ailleurs que cela viendra doucement de l’extérieur. Franck Laugère, directeur général de CEPI Pharmavitale, éditeur qui pour le moment ne s’engage pas sur cette voie estime que le cloud viendra du grand public, une impression partagée par Pharmagest et Isipharm qui tous les deux constatent au terme d’enquêtes internes le succès des applications d’informatique mobile et le goût des pharmaciens notamment pour l’Iphone. Or Apple développe l’I cloud et pourrait ainsi accoutumer de nombreuses couches de la population dont les pharmaciens à ce mode de gestion. À cela il faut ajouter que le monde de la santé développera de toute façon des applications sous forme de cloud impliquant le partage des données santé, comme le Dossier Médical Partagé. Tôt ou tard, on y viendra…

› HAKIM REMILI

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2978