Peut-être ne verra-t-on bientôt plus ces pharmacies tapissées de linéaires massifs à la manière de la grande distribution. L’évolution du métier de pharmacien, ses nouvelles missions identifiées par la loi HPST, le déremboursement progressif des médicaments, la digitalisation de l’officine sont autant de phénomènes qui poussent les titulaires à penser l’agencement de leurs pharmacies autrement. Celui-ci doit d’emblée montrer la capacité du pharmacien à assumer son rôle de conseil. Cela signifie une véritable théâtralisation de ses spécialisations, et d’une certaine manière l’éclatement de l’espace de vente en zones dédiées. « En Italie, on assiste à une reconfiguration complète de l’officine avec des espaces conseils consacrés à ces différentes spécialisations, avec à chaque fois une ambiance spécifique, couleurs et matériaux compris », explique Michel Julin directeur de TH Kohl. Un mouvement susceptible d’arriver en France et que l’on constate déjà avec la généralisation progressive des espaces de confidentialité. Prévus par la loi, demandés par les ARS, ces espaces sont de plus en plus souvent intégrés et constituent les points de départ d’une nouvelle façon de penser l’agencement.
Discrétion et délicatesse
Cette confidentialité, entrée dans les mœurs selon Alain Viaud, président de Cap Agencement, appelle un certain nombre de règles, la discrétion, un confort loin des ambiances médicales froides et technologiques, du cocooning presque, pour Alain Viaud. « Il faut savoir accueillir en délicatesse », affirme-t-il. Un exercice d’imagination pour les agenceurs qui préparent cette zone à des usages divers. « Il faut les concevoir en espaces multifonctions de façon à servir aussi bien aux entretiens pharmaceutiques qu’à l’orthopédie, à l’audio prothésie, pourquoi pas à la télémédecine et bien d’autres, et cela en attendant que la problématique liée à la rémunération de ces activités de conseil se dissipe », ajoute-t-il. La polyvalence de ces espaces multifonctions peut aller très loin et aider les pharmacies qui manquent d’espace à aller quand même vers un agencement plus orienté sur les nouvelles missions du pharmacien.
Ainsi Bernard Deniel, directeur de Média 6 Pharmacie, évoque-t-il les possibilités de transformer un bureau en espace de confidentialité – et vice versa -, grâce à des cloisons amovibles. « Avec de l’ergonomie, un design adapté, une relation étroite entre front office et back-office et des astuces d’agencement, il est possible d’aider les pharmacies qui manquent d’espace à libérer des mètres carrés pour aménager des zones dédiées », détaille-t-il. Mais la confidentialité s’invite aussi au-delà de ces espaces fermés, elle est désormais possible aux comptoirs, aménagés de telle sorte que grâce à des matières isolantes les patients puissent discuter de tout avec les équipes officinales. « Même des pathologies les plus lourdes », estime Bernard Deniel, qui revendique la paternité de ce concept de confidentialité au comptoir, largement repris depuis par d’autres agenceurs.
Dématérialisation des comptoirs
Les nouvelles missions s’imposent en effet à l’organisation des comptoirs, qui, comme le reste de l’espace de vente vont vers une forme d’éclatement. Tout ce qui concerne la para ou les spécialités mises en avant par le pharmacien, y compris médicales, sort de l’espace dédié aux ordonnances et bénéficient d’innovations pour en faire un vrai poste de conseil. « Nous travaillons sur la dématérialisation des comptoirs, dans l’esprit du concept des Apple Store, témoigne Michel Julin, tous les outils nécessaires à l’activité sont intégrés à la table. » Presque invisibles aux yeux des clients et des patients qui ne voient que ce qui les intéresse. De nouveaux comptoirs à la mode, des tables où l’on peut essayer des produits, ou se faire faire des diagnostics dans le domaine de la dermo cosmétique… Ces produits existent depuis une dizaine d’années, selon Michel Julin, mais c’est aujourd’hui que les pharmaciens s’y intéressent vraiment. Ces tables sont plus esthétiques, plus aérées. Les nouveaux comptoirs, c’est aussi tout ce qui concerne le click & collect, « le tiers de nos demandes aujourd’hui, sans doute bientôt la moitié », augure Bernard Deniel. Ou même encore la délivrance de piluliers, préparés à l’avance dans le cadre de la PDA pour la clientèle de comptoir.
Cet éclatement et la dématérialisation des comptoirs se heurtent cependant à quelques contraintes, la première, c’est de faire en sorte que les comptoirs dédiés aux ordonnances restent un lieu « névralgique » selon le mot employé par Daniel Van Acker, directeur commercial de Mobil M. « Il faut éviter un éclatement trop prononcé des comptoirs. Mais la distinction entre ceux dédiés aux ordonnances et ceux dédiés à tout ce qui est hors ordonnance fonctionne bien, certaines pharmacies, réalisant parfois jusqu’à 60 % de leur CA hors des médicaments sous ordonnance. » Autre contrainte, l’exigence des fabricants de robots et d’automates qui demandent des barres de comptoirs collés les uns aux autres à proximité de leurs machines de façon à faciliter la délivrance des médicaments. « Il y a parfois confrontation entre délivrance et automate, conduisant les titulaires à procéder à un arbitrage », estime Alain Viaud (Cap Agencement). Dernier élément auquel il faut penser, ne pas se contenter d’agencer et d’innover sur ces différents postes, il est nécessaire d’accompagner les patients et donc déléguer une personne pour les conseiller. C’est aussi un raisonnement économique, sur le modèle du conseil gratuit suivi de vente de produits, des compléments alimentaires par exemple. « Je ne comprends pas par exemple que les pharmaciens ne se soient pas mieux emparés du sujet de la diététique, se demande David Van Acker, d’autres réseaux l’ont fait et ce modèle économique fonctionne, ils peuvent l’appliquer à d’autres sujets pour lesquels ils sont totalement légitimes, l’arrêt du tabac par exemple. »
Usage du digital
L’éclatement de l’officine et la création de différentes zones spécialisées pose inévitablement la question de l’usage du digital, rébarbative parfois, agaçante par sa récurrence, incontournable toutefois… Qui nécessite tout au moins de se positionner. Pour les titulaires comme pour les agenceurs. « Je crois moins au digital qu’à la relation humaine, déclare ainsi Alain Viaud, les nouvelles missions de l’officine recentrent le cœur de métier du pharmacien sur le conseil et l’écoute. » D’autres font le constat inverse : « nous souhaitons apporter aux clients qui fréquentent les pharmacies les mêmes repères qu’ils trouvent sur Internet », commente Sandrine Berrehouc Micheau, chef des ventes pharmacie parapharmacie de HMY, un agenceur spécialisé dans toutes les formes de distribution, GMS, retail etc… HMY décline ses différents concepts pour les adapter aux officines, et notamment des bornes tactiles, comme celle utilisant la RFID pour donner des informations supplémentaires aux produits exposés. « Cela concerne uniquement des produits en démonstration mais ces informations peuvent susciter des ventes croisées, c’est un outil tout à fait adapté à la vente de produits à valeur ajoutée », précise la responsable. HMY propose aussi des écrans qui s’adaptent à des porte-étiquettes capables de donner, de loin, des informations génériques et, de près, des informations plus détaillées. Un concept de communication dynamique sophistiqué, destiné pour l’instant aux pionniers du digital. « Ces outils ont un coût, il est peut-être dans un premier temps judicieux de combiner les premières expériences avec des opérations menées avec des laboratoires », propose Sandrine Berrehouc Micheau. Sans aller jusqu’à de tels produits, pour l’instant absents des officines, le digital impose une réflexion à laquelle les pharmaciens commencent à être habitués, ne serait-ce que par la présence de nombreux écrans, souvent mal exploitée. Ces écrans diffusent généralement les mêmes messages alors que dans une perspective d’agencement liée aux nouvelles missions, il serait utile d’adapter ces messages selon chaque espace spécialisé.
« La communication digitale est assez statique aujourd’hui, il faut s’efforcer de la rendre plus mobile », suggère David Van Acker. Le digital peut effrayer, il n’empêche qu’il est un élément de modernité et peut faciliter la relation avec le client et le patient. Une borne tactile pour ne serait-ce qu’informer dans ces espaces dédiés est un minimum bien utile, tandis que les plus audacieux iront vers des bornes interactives par lesquelles toutes sortes d’échanges avec les clients sont possibles. Une étape ultérieure est désormais rendue possible par la commercialisation des linéaires digitaux Offitouch et Offiscreen par Pharmagest, qui à l’inverse des produits commercialisés par les fabricants de robots et d’automates s’adressent directement aux patients. « Ils permettent de sortir l’OTC qui n’est pas trop à sa place derrière les comptoirs », observe Bernard Deniel. Les agenceurs s’impliquent jusqu’aux objets connectés de santé, en témoigne le meuble conçu par Mobil M en partenariat avec Objetconnecte.com dévoilé à Pharmagora, pour présenter certains de ces objets et en faciliter l’usage auprès des patients potentiels. Média 6 Pharmacie a sorti un tel meuble, une table, mais sous le conseil d’un pharmacien qui souhaitait quelque chose de plus léger, a conçu une gondole pour objets connectés de santé. Ces derniers restent cependant au second plan des préoccupations actuelles des pharmaciens.
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