Le Quotidien du pharmacien. - La crise sanitaire a et aura encore pendant de nombreux mois un impact sur les paramètres économiques de l’officine française. Comment s’y retrouver lorsque l’on envisage d’acquérir une pharmacie en 2022 ? Y a-t-il des précautions à prendre côté acquéreur ?
Philippe Becker. - Vous avez raison de le souligner beaucoup des paramètres économiques des officines ont bougé ! Après une période de grande stabilité entre 2010 et 2020, l’activité a subi des changements diamétralement opposés et souvent imprévisibles. Nous l’avons mis en exergue plusieurs fois dans les colonnes du « Quotidien du pharmacien ». Déjà nous constatons, côté vendeurs, que toutes les officines ne sont pas logées à la même enseigne.
Qu'entendez-vous par cela ?
Philippe Becker. - Nous voyons des pharmacies très impliquées dans la vaccination et les tests, d’autres qui ne le sont pas du tout. Nous observons également des évolutions de chiffres d’affaires mensuels sur les deux années Covid très erratiques en particulier pour les pharmacies qui ont été touchées par les confinements ou qui vivent d’une clientèle touristique. Plus encore, il est quasi impossible de prédire ce que sera l’activité en 2022 : reprise de l’épidémie ou pas, apparition de nouveaux traitements, troisième dose obligatoire pour valider le passe sanitaire… ?
Ces incertitudes peuvent-elles conduire de futurs acquéreurs à différer leur projet selon vous ?
Christian Nouvel. - Pas nécessairement, il n’y a pas aujourd’hui un effondrement du marché de la transaction car tout ce trouble a globalement produit un effet positif sur l’activité officinale. Il faut rappeler qu’en 2020, selon nos études corroborées par celles de nos confrères, la pharmacie d’officine a conclu sur la meilleure performance depuis 10 ans et l’année 2021 sera encore meilleure. Donc il n’y a pas de raison de voir tout en noir. Mieux, les officines ont engrangé, pour la moitié d’entre elles, un savoir-faire sur les nouvelles missions qu’elles ne possédaient pas avant. Le point clé pour les acquéreurs sera une analyse approfondie de la composition de l’activité de l’officine cible et bien évidemment d’évaluer avec les conseils habituels (expert-comptable – cabinets de transaction – avocats — notaires) ce qui restera lorsque la marée se retirera…
Quelle approche adopter, selon vous, lorsque l’on est un acquéreur décidé ?
Philippe Becker. - La première étape pour l’acquéreur est de déterminer le profil de l’officine ciblée par rapport aux conséquences de la crise sanitaire. Il est assez simple de comprendre que nous allons trouver plusieurs catégories de pharmacies : les pharmacies qui vivent du passage et du tourisme souvent situées dans les centres-villes, les centres commerciaux et les pharmacies de quartier et rurales qui ont bénéficié des effets du confinement. À l’intérieur de ces deux catégories, celles qui sont fortement impliquées dans la vaccination et les tests. En fonction du profil, il faudra ensuite investiguer de manière complète le chiffre d’affaires avec ses variations, en prenant les années 2018 et 2019 comme points de référence.
Comment procéder pour cette analyse assez complexe ?
Christian Nouvel. - En partant des données des logiciels de gestion officinale, il est déjà possible de faire un premier repérage car beaucoup d’informations sont tracées aujourd’hui. Ces données pourront être corroborées par une étude des factures fournisseurs en cas d’incertitude. C’est la deuxième étape qui sera menée de manière différenciée selon le profil de l’officine.
Dans ce cas, les pharmaciens vendeurs devront être particulièrement coopératifs dans la fourniture de tous ces renseignements. N’y aura-t-il pas des blocages ?
Christian Nouvel. - En règle générale, les vendeurs sont coopératifs aujourd’hui car le marché de la transaction l’exige ! Selon les demandes des acquéreurs ou de leurs conseils, ils livrent assez facilement les informations utiles à la compréhension de l’activité de leur officine. Il va de soi que l’on ne peut être naïf au point de méconnaître le fait que certains voudront profiter de l’aubaine de cette crise pour vendre un chiffre d’affaires « soufflé » par des missions ou des ventes qui pourraient disparaître un jour prochain. C’est bien pour cela que l’acquéreur devra redoubler de vigilance et se faire communiquer, dès le début des pourparlers, ces éléments d’analyse.
Que faire en cas de refus ?
Philippe Becker. - Soit on prend le risque, soit on cherche une autre officine !
Une fois que l’acquéreur a toutes les informations, comment fait-il pour déterminer ce qui est pérenne dans l’activité et ce qui ne l’est pas ?
Philippe Becker. - C’est la troisième étape qui consiste à évaluer par exemple combien de masques, de gels, moi, en tant qu'acquéreur je vendrai dans les deux prochaines années ou encore combien de tests ou de vaccinations je ferai dans le futur ? Les vendeurs mettront en avant des arguments sur la solidité de ces nouvelles activités. Ils auront aussi raison d’expliquer que l’activité médicaments non remboursables a été affectée par la crise sanitaire et qu’elle va repartir. Ces discussions, nous le savons, peuvent durer à l’infini ! En général elles ne trouvent d’issue que par un compromis en affectant à ces activités volatiles un abattement qui est un moyen de partager le risque. En tout cas l’acquéreur pourra prendre sa décision en connaissance de cause.
Y a-t-il d’autres zones de risque que vous relevez actuellement ?
Christian Nouvel. - Est-ce une résultante de la crise sanitaire ou pas ? Toujours est-il que les pharmaciens, comme beaucoup de chefs d’entreprise, sont confrontés depuis quelques mois à d’importantes difficultés de recrutement des profils diplômés. Dans le même temps, nous observons une plus grande mobilité de cette catégorie de salariés qui sont plus ouverts au changement surtout si à la clé il y a une amélioration de la rémunération ou des conditions de travail (moins de déplacements par exemple). Assez paradoxalement, il y a quelques années le problème numéro 1 lors d’une reprise était le sureffectif, aujourd’hui c’est parfois l’inverse ! Par conséquent, l’acquéreur peut se retrouver bien seul si une partie des salariés démissionnent avec un impact négatif sur la relation avec la patientèle et potentiellement une impossibilité d'effectuer les nouvelles missions. Donc c’est un point à ne pas négliger lors de l’étude d’une cible surtout en milieu urbain.
Philippe Becker. - On peut aussi ajouter que la surface de l’officine et la possibilité d’y faire des travaux d’aménagement pour effectuer les nouvelles missions dans de bonnes conditions deviennent aussi aujourd’hui un point d’analyse incontournable pour les futurs acquéreurs.
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