Témoignage

Exercer la pharmacie au Québec : réalité et idées reçues

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Publié le 17/03/2020
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En France, on entend souvent parler de nos confrères québécois. Généralement en bien. On dit aussi que notre système de santé s’inspirerait du leur. Mais qu’en est-il vraiment ?
Familiprix

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Crédit photo : DR

J’ai eu la chance de partir travailler au Québec récemment. Malheureusement, pas en tant que pharmacienne d’officine. Malgré mes 6 ans d’études, ma thèse d’exercice soutenue et mon diplôme obtenu, je peux difficilement exercer, bien qu’un accord de reconnaissance mutuelle existe depuis 2010 entre la France et le Québec. Mais alors que les pharmaciens ayant obtenu leur diplôme au Québec et souhaitant exercer en France n’ont qu’un dossier à soumettre au ministère de la Santé français, l’inverse est bien plus compliqué.

Deux choix s’offrent aux pharmaciens ayant obtenu leur diplôme en France et souhaitant exercer au Québec. Soit s’inscrire à un programme de formation à l’université de Montréal réparti sur 16 mois, en plus d’un stage de 600 heures. Soit passer l’examen ECOS, l’examen d’aptitude du Bureau des examinateurs en pharmacie du Canada (examen oral de mise en situations entre pharmacien et patient ou pharmacien et autre professionnel de santé), examen proposé uniquement 2 fois par an, suivi d’une courte formation sur la législation québécoise, ainsi qu’un stage d’une durée de 600 heures. Le tout pour quelques milliers de dollars et parfois des problèmes d’immigration puisque tous les visas ne sont pas reconnus pour entrer dans ces différents programmes.

Le processus est long et coûteux. Mais en vaut-il la peine ? J’ai pu me faire un avis en travaillant en tant qu’assistante technique dans 2 pharmacies.

Pharmacies communautaires

Pour commencer, les pharmacies communautaires québécoises ne ressemblent en rien à nos petites officines françaises. Le plus souvent, vous trouverez au fond d’un grand bâtiment appelé « Uniprix », « Jean Coutu » ou « Familiprix », le laboratoire. C’est ici qu’exercent le pharmacien et les assistants techniques (équivalent à nos préparateurs français). Ceci après avoir parcouru les rayons parfumerie, cosmétique, hygiène personnelle et pour la maison, les longs rayons de médicaments en libre-service, les rayons alimentaires sucré et salé, et après être passé devant le service de poste et de photographie. Oui, au Québec, vous avez la possibilité d’aller à la pharmacie pour faire des photos pour votre passeport, envoyer votre courrier, acheter un détergeant pour la maison, prendre des comprimés à base de pseudo-éphédrine pour votre voisine enrhumée (qui est en réalité cardiaque), récupérer votre traitement pour votre cholestérol et acheter un paquet de chips en sortant…

Certaines pharmacies peuvent être plus petites, parfois plus centrées sur les produits naturels et écologiques, mais ce n’est pas la majorité. En revanche, ce n’est pas parce que la structure est importante et les services offerts divers et nombreux que le rôle du pharmacien en est réduit…

Après 4 ans d’études et l’obtention du doctorat de 1er cycle (Pharm D.), le pharmacien peut exercer en tant que titulaire ou salarié. Ici, les pharmaciens communautaires représentent 70 % des pharmaciens. Ses missions sont nombreuses et font de lui un réel expert du médicament. Il analyse le dossier de ses patients, vérifie que les traitements prescrits sont adaptés (bonne molécule, bonne dose, les interactions médicamenteuses, etc.), effectue le suivi des médications, conseille les autres professionnels de santé par rapport à certains traitements et leurs bons usages. Mais pas seulement : il peut aussi prolonger la prescription de certains médicaments (selon la durée prescrite par le médecin, pour maximum 1 an) évitant une interruption de traitement puisqu’il existe une réelle pénurie de médecins au Québec, avec parfois de longues listes d’attente pour obtenir un médecin de famille.

Prescrire

Il peut aussi prescrire au patient des analyses de laboratoire pour suivre l’efficacité ou la tolérance des médicaments et faire un réel suivi. Et ainsi, parfois, ajuster l’ordonnance du médecin : il peut modifier la forme, la dose, la posologie ou la quantité d’un médicament. Toujours dans un but d’efficience des traitements, de réductions des effets indésirables et des interactions, et pour le bien-être du patient. De même, en cas de rupture d’un médicament, il peut le substituer pour un autre de la même sous-classe thérapeutique. Le pharmacien peut également prescrire des médicaments dans certaines conditions : lors d’un départ en vacances (par exemple, prescription d’un traitement préventif contre le paludisme), lorsqu’une patiente est enceinte et nécessite une supplémentation en fer ou acide folique, en cas de contraception d’urgence ou d’arrêt du tabac. Il peut aussi prescrire en cas de problèmes de santé courants et facilement reconnaissables comme une infection urinaire chez la femme, eczéma, herpès labial, acné mineure, muguet suite à une corticothérapie inhalée, une vaginite à levures, etc.

Toutes ces missions peuvent se faire sans l’accord obligatoire en amont du médecin. Ce qui ne veut pas dire que le médecin est écarté. Les deux travaillent en étroite collaboration et le médecin est toujours avisé (par fax) des modifications de traitements. Et le rôle du pharmacien clinicien prévoit de s’étendre davantage en 2020. Parmi ses nouvelles missions, le pharmacien aura la possibilité de prescrire et administrer des vaccins et, en situation d’urgence, certains autres médicaments ; administrer un médicament par voie intranasale ; cesser une thérapie médicamenteuse selon une ordonnance ou à la suite d’une consultation effectuée à la demande d’un prescripteur ; substituer un médicament à un autre n’appartenant pas forcément à la même sous-classe thérapeutique ; prescrire et interpréter des analyses de laboratoire mais aussi tout autre test afin d’assurer le suivi de la médication ; et enfin ils pourront évaluer la condition physique et mentale d’un patient dans le but d’assurer l’usage approprié des médicaments.

Un rôle de clinicien

Cette loi permet ainsi au pharmacien québécois d’être encore plus impliqué dans le parcours de soins et lui procure un réel rôle de clinicien et de spécialiste du médicament. Il occupe une place prépondérante dans le système de santé, et exerce en collaboration étroite avec les médecins et autres professionnels de santé.

Le « laboratoire » est aussi composé d’une salle d’attente, comme chez tous les professionnels de santé, puisque le patient peut prendre rendez-vous pour certains types de conseils, comme venir et attendre que le pharmacien puisse l’aider.

Pour toutes ses missions, le pharmacien est aidé par les assistants techniques, qu’il supervise. Leur travail consiste à accueillir les patients dans un premier temps, puis à enregistrer informatiquement les prescriptions ou renouveler les traitements. Ils préparent les médicaments (comptent les comprimés délivrés à l’unité et les étiquettent au nom du patient) ou préparent les piluliers (semainiers) des patients. Le pharmacien a ensuite un rôle de vérification. Nous sommes, là encore, assez éloignés du travail de nos préparateurs français.

Vous l’aurez compris, alors que nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements en France, le rôle du pharmacien est ici bien défini avec une réelle place au sein du parcours de soins. Ses responsabilités sont plus importantes, de même que son salaire qui est 2 à 3 fois plus élevé qu’en France.

Peut-être arriverons nous aussi un jour à cette place-là pour le pharmacien français…

Floriane Thiébaut

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3587