Face à l’explosion des ventes en ligne illicites de médicaments, l’Union des fabricants (Unifab) propose la création d’un dispositif associant à la fois un observatoire et un processus de poursuites judiciaires rapides. Il va sans dire qu’un tel arsenal contre le cybercommerce du médicament contrefait doit réunir tous les acteurs, y compris les Ordres professionnels des médecins et des pharmaciens. Et ce à l’échelle européenne.
Pour autant, l’Europe n’a-t-elle pas produit le mal contre lequel elle lutte aujourd’hui ? En partie en tout cas selon Bernard Leroy, directeur de l’Institut international de recherche anti contrefaçon de médicaments (IRACM). Car en Europe, l’origine de ces sites illicites ne remonte pas seulement aux patients souhaitant garder l'anonymat pour soigner les troubles de l’érection, se blanchir la peau ou encore pour doper leur musculation. Le problème est apparu, décrit Bernard Leroy, « en 2011 lorsqu'une directive européenne a obligé les laboratoires à vendre à l'international leurs produits non pas à un seul mais à plusieurs distributeurs. L’intention était d’éviter les ententes sur les prix. Mais cette multiplication des distributeurs a permis à la mafia italienne de s’introduire dans le système en travaillant en sous-main avec des distributeurs officiellement agréés au niveau européen ». Ainsi, s’est mis en place, poursuit le président de l’IRACM « un système en Roumanie qui reconditionne les vols de camion. À titre d’exemple, il y a 4 ou 5 ans, ils ont volé de l’Herceptin en masse en Italie qu'ils ont dilué au centième et sont parvenus à distribuer officiellement dans le réseau pharmaceutique en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, au Danemark et en Finlande… »
Alourdir les peines
Les États membres, suivant le projet d'Unifab en France (voir « Le Quotidien » du 13 mai 2019), seront-ils en mesure aujourd’hui de faire machine arrière ? Pas si sûr. Car la contrefaçon de médicament est un fléau mondial. « Les gouvernements fournissent un gros travail de sensibilisation mais cela ne suffit pas. Quant aux industriels, à l’exception notable de Sanofi, ils s’en préoccupent peu », déplore Bernard Leroy, qui en appelle à une prise de conscience mondiale.
Il est rejoint dans ce constat par Cyril Tétart. « Il faudrait des accords bilatéraux avec chacun des pays concernés, en premier lieu les pays asiatiques. Pourquoi ne pas impliquer les ministères de la santé que chaque pays concerné ? », s’interroge le président de l’Association française des pharmacies en ligne (AFPEL). C’est ce que tente déjà l’IRACM, ajoute Bernard Leroy, qui vient d’organiser une réunion avec les ministères de la Santé et de l’Intérieur des pays de l’Asie du Sud-Est. « Malheureusement les lois dans la plupart des pays ne ciblent pas le faux médicament mais la contrefaçon en général, et les sanctions sont par conséquent peu sévères, en général comprises entre 6 et 60 jours d’emprisonnement », regrette-t-il.
Bien que les pharmaciens membres de l’AFPEL n’aient pas eu de piratage à déplorer depuis cinq ans et soient protégés grâce au RGPD (1) et aux hébergeurs de données de santé, Cyril Tétart n’en souligne pas moins la nécessité de durcir les lois. Et d’agir contre une cybercriminalité très agile sur le net, y compris le Darknet (2). Il fait ainsi référence au piratage des cartes bleues, des cartes SIM, et du code 3D secure qu’il détecte régulièrement. De fait, au rang de ses missions, Bernard Leroy souhaite voir promulguer « des lois concernant les faux médicaments aussi contraignantes que ce qui existe pour le trafic de stupéfiants ».
Car les faux médicaments ne se contentent pas de tuer. Comme le révèle le président de l’IRACM, « les trafiquants utilisent le plus souvent le véritable principe actif, mais à un dosage bien plus faible. Résultat, on a le même problème que dans l’antibiorésistance, les bactéries et les virus deviennent résistants au médicament ». En matière de risque sanitaire, la contrefaçon de médicament est par conséquent une double peine pour la population.
(1) Règlement général sur la protection des données (voir édition du 22 janvier 2019)
(2) Réseau parallèle, inaccessible depuis les moteurs de recherche, qui utilise des protocoles spécifiques intégrant des fonctions d'anonymat et qui héberge un grand nombre d'activités illégales.
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