INSTALLÉ depuis quelques mois dans la charmante petite ville de Schwäbisch Hall, dans le nord de la Forêt Noire, un pharmacien particulièrement procédurier estime que les imperfections des sites Internet de plusieurs milliers de ses confrères « constituent une atteinte à la concurrence » et nuisent donc à sa propre officine : secondé par un avocat, il réclame la modique somme de 500 000 euros à toutes les officines qui, selon lui, ne respectent pas parfaitement la réglementation sur les ventes par Internet.
Depuis le début de la semaine, entre 2 000 et 3 000 pharmacies ont reçu une mise en demeure d’un cabinet d’avocat de Leipzig les enjoignant, d’une part, de lui verser un « dédommagement » de 2 100 euros pour atteinte à la concurrence, et les menaçant, d’autre part, s’ils ne s’exécutent pas dans les cinq jours, de sanctions beaucoup plus lourdes. Les « délits » dont se sont rendus coupables les pharmaciens contactés par l’avocat à la demande du plaignant sont en effet extrêmement « graves » : imprécisions sur leur site Internet concernant des adresses ou des horaires, imprécisions sur la liste exacte de médicaments disponibles ou non, et autres « crimes » de la même importance.
Après un moment de stupeur, les pharmaciens concernés commencent à s’organiser pour répondre à ce « tsunami de lettres de menaces », comme l’écrit la presse pharmaceutique en ligne qui, on s’en doute, ne parle plus que de cela depuis deux jours. Le syndicat et l’Ordre régional de Bade-Wurtemberg sont eux aussi montés au créneau, et annoncent déjà avoir trouvé des parades, qui pourraient avoir un effet boomerang pour le pharmacien de Schwäbisch Hall : selon ces deux organismes en effet, l’officinal mécontent n’était pas habilité à saisir de lui-même un avocat pour de tels motifs, et différentes irrégularités dans la procédure de menace pourraient l’assimiler à du chantage, voire à de l’escroquerie. Ils appellent, bien entendu, les pharmaciens à ne pas obéir à ces mises en demeure. Mais depuis deux jours, le pharmacien à l’origine des plaintes ne répond plus au téléphone, et a transféré sa ligne directement chez son avocat, expliquant qu’il craint pour sa vie après avoir reçu « des menaces de mort ». En attendant le dénouement de l’affaire, l’image de la confraternité s’en sortira sans doute avec quelques bosses…
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