TANDIS que le landerneau pharmaceutique s’inquiète des menaces planant sur l’intégrité du monopole de dispensation du médicament, une autre menace apparaît, qui pourrait bien bouleverser le concept même de la délivrance officinale, et modifier en profondeur les métiers de notre chère industrie pharmaceutique. L’impression 3D de médicaments est pour demain, ou presque.
L’impression 3D connaît en effet un essor extraordinaire qui révolutionne déjà depuis une dizaine d’années de grands domaines de la santé : elle a tout d’abord permis de créer des prothèses inertes, puis de concevoir la « bio-impression » tridimensionnelle de constituants biologiques permettant d’obtenir des tissus ou des organes (sans encore permettre de produire des greffons fonctionnels !). Dans un domaine plus directement pharmaceutique, il y a deux ans déjà que l’équipe du chimiste Leroy Lee Cronin, à Glasgow, envisage une révolution toute autre : celle que constituera l’apport de l’impression 3D à la synthèse « à la demande » de molécules d’intérêt thérapeutique. Cronin ambitionne ni plus ni moins que la création d’un « chemputer », un néologisme associant les mots « chemistry » et « computer » : un « ordinateur à chimie ». Son équipe s’attache à la conception de programmes et d’imprimantes 3D permettant de fabriquer des médicaments personnalisés : « Ce qu’Apple fait pour la musique, dit-il, je pense le faire pour les médicaments. » L’« infochimiste » estime que son projet pourrait aboutir d’ici à dix ou quinze ans et trouver sa place dans l’industrie pharmaceutique, puis directement auprès du grand public.
Un lego chimique.
Des « encres » chimiques, constituées de motifs organiques élémentaires positionnés par l’imprimante, serviraient de base à la construction, comme un lego, de molécules complexes correspondant à des besoins précis, tant dans leur nature que dans leur quantité. Pour Cronin, ce serait dès lors le logiciel d’assemblage de chaque molécule qui prendrait sa pleine valeur et mériterait d’être breveté, et non plus le produit fini. Ce système permettrait de fabriquer des traitements médicamenteux directement dans les pays ou les institutions qui en ont besoin, à des prix très inférieurs aux prix actuels : il constituerait ainsi une réponse éthique au développement de la contrefaçon des médicaments.
Quant à l’industrie pharmaceutique, elle gérerait la conception des molécules actives, puis celle des logiciels permettant de les fabriquer. D’ores et déjà, Cronin a travaillé sur un logiciel et une imprimante prototype capable de gérer l’« impression » de la molécule d’ibuprofène. Allant plus loin, beaucoup plus loin, il envisage à terme l’« impression » de molécules bien plus complexes : pourquoi pas des acides nucléiques ?
On peut l’imaginer, son projet ne suscite cependant pas que de l’enthousiasme. Pour Mike Power, journaliste scientifique auteur d’un best-seller paru en 2013 (« Drugs 2.0 : the Web revolution that’s changing how the world gets high »), cette technologie permettra également de multiplier à l’infini les possibilités de produire des substances psychoactives : qui voudra pourra ainsi disposer à domicile de son propre labo clandestin et obtenir en toute discrétion de l’ecstasy, de la cocaïne ou du LSD. Le dealer new-look trafiquera ainsi non plus des substances chimiques mais des… logiciels de synthèse de substances illicites ! De plus, on peut aisément imaginer que des logiciels pirates d’impression 3D de médicaments ne tarderont pas à circuler sur le Net, et constitueront un équivalent informatique aux contrefaçons chimiques actuelles.
Théophylline 3D.
Un autre projet a pris naissance au sein de la faculté de pharmacie de l’université du Central Lancashire (UCLan). Mohamed Albed Alhnan a imaginé quant à lui un matériel tout différent des « encres » chimiques 3D. Il a créé une sorte de « filament » médicamenteux, fabriqué à partir d’une matrice polymérique imprégnée de principe actif, qui peut être utilisé pour produire des comprimés avec une imprimante 3D. Première application, très concrète : la fabrication de comprimés de théophylline parfaitement conformés et dosés. D’autres brevets ont été récemment déposés, reposant sur la conception d’« encres » en poudre, également imprégnées de médicaments.
Quel qu’il soit, ce type de technologie aura à terme plusieurs avantages non négligeables : il permettra de palier aux pénuries de médicaments en les fabriquant sur place, de façon indépendante des laboratoires de chimie et, surtout, l’impression chimique 3D permettra d’obtenir facilement, en « open source », des doses unitaires totalement personnalisées et donc adaptées aux besoins du patient. La médecine individualisée pourrait ainsi devenir très abordable, y compris dans les pays en voie de développement, et ce à échéance de quelques années à peine. Une affaire à suivre.
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