Le digital est plus qu’indispensable, quasiment consanguin à l’interprofessionnalité. Seul le numérique peut en effet faciliter les échanges entre les professionnels de santé tout en respectant les contraintes de chacun des corps professionnels qui composent le monde de la santé. Il permettra de fluidifier les parcours de soins à un moment où les ressources viennent à manquer : moins de médecins, des hôpitaux surchargés. Faire mieux avec moins grâce au digital c’est à cette équation que s’essaie l’interprofessionnalité, avec au centre, le patient. Et avant tout, le patient qui sort de l’hôpital. Confrontés à un taux de rotation de plus en plus rapide, les établissements hospitaliers cherchent les moyens d’aller plus volontiers vers l’ambulatoire. Cela, l’interprofessionnalité le permet, et c’est pour cette raison qu’aujourd’hui les nombreuses solutions disponibles sur le marché mettent ce patient-là au cœur de leurs préoccupations. L’hôpital en est donc le pivot, et c’est lui qui établit les relations avec les autres professionnels de santé selon ses choix et ses priorités.
Des solutions centrées sur les hôpitaux
De fait, la plupart des solutions liées à l’interprofessionnalité existantes n’envisagent pas ou pas encore de rôle précis aux professionnels de santé de ville non directement concernés par la prise en charge de ces patients. Souvent leurs promoteurs considèrent leur champ d’application de façon restrictive et excluent de ce fait les pharmaciens, mais aussi les médecins. C’est le cas par exemple de la solution proposée par la société Maela, pensée par des chirurgiens pour faire face aux retours des patients après un acte chirurgical avec un arrière-plan vital pour ses créateurs, l’importance de la responsabilité dans le domaine de la chirurgie. Et donc responsabilité postopératoire, laquelle va concerner les infirmières. C’est à ce corps de métier que Maela s’adresse. L’entreprise fait savoir qu’elle ne s’interdit pas de s’adresser à l’avenir à d’autres professions de santé, mais ce sera à la demande des établissements de santé, explique un porte-parole. C’est aussi le cas de la société E med Service, dont le fondateur, Alexandre Benoît, apporte cependant une légère nuance. « Sur le papier, la plateforme peut intégrer les pharmaciens, mais dans les faits, les établissements hospitaliers ne le demandent pas » déclare-t-il. Une situation susceptible de changer toutefois, puisque le dirigeant estime naturel le lien entre l’hôpital et la pharmacie après la sortie des patients dans le cadre du MAD. Seulement, de nombreux freins existent, des freins plus culturels que techniques. « Certains hôpitaux travaillent en silos et ne veulent pas s’ouvrir », constate ainsi Sylvie Manzano, chef de projet chez E santé Technology. « Ils sont souvent déconnectés de la médecine de ville, estime pour sa part Arnaud Giansanti, titulaire de la pharmacie Giansanti (voir encadré ci-contre), et pensent que nous, professionnels de santé de ville, nous avons tout et tout de suite, si bien qu’ils laissent leurs patients sortir sans préparer leurs traitements, des injections spécifiques par exemple que nous devons quand même commander 24 heures à l’avance », explique-t-il. Et quand bien même ces établissements seraient conscients de l’importance de ces liens avec la médecine de ville, « il faut les convaincre de la pertinence économique du modèle et de la capacité du prestataire à s’interfacer aux différents systèmes », estime Alexandre Benoit. Il faut également les convaincre que l’on transmet la responsabilité médicale dans de bonnes conditions, et donc que les professionnels de santé de ville sont capables de prendre en charge un patient qui sort de l’hôpital. « Certains établissements parviennent à établir de tels liens, mais ils le font de manière artisanale, constate-t-il, mais globalement, ils ont du mal à s’organiser et à acquérir les bons réflexes. » D’autant que les besoins des hôpitaux ne sont pas uniformes, ceux d’un service lié à l’orthopédie n’ont par exemple rien à voir avec ceux d’un service de gynécologie, remarque Philippe Duperray, responsable développement Pharmacie de la plateforme Monali chez DV Santé.
Travailler métier par métier
Sur le sujet précis de l’interfaçage et de la sécurité des données, les prestataires tiennent un discours rassurant. « L’interopérabilité est un enjeu crucial, chaque profession travaille avec ses systèmes, très différents les uns des autres, remarque Sylvie Manzano, et il est vrai que c’est parfois complexe, nous devons travailler métier par métier, cela demande beaucoup de développement, mais nous savons faire, cela fait vingt ans que nous travaillons sur l’interopérabilité des systèmes et aujourd’hui nous sommes en mesure de collaborer avec les hôpitaux. »
Pour Alexandre Benoît, c’est certes un travail complexe, mais il existe en France un référentiel d’interopérabilité et de sécurité qui permet aux différents prestataires de travailler sur un socle commun. Et ceux d’entre eux qui proposent des plateformes reliant l’hôpital aux différents professionnels de santé de ville, veillent à proposer des fonctionnalités correspondantes à leurs besoins spécifiques tout en étant capables de communiquer avec autrui, de telle façon à voir la situation d’un patient donné, d’échanger des informations ou des consignes à son propos, mais aussi de lui proposer des services spécifiques, de pharmacien pour les pharmaciens, de soins infirmiers pour les infirmières et ainsi de suite… Le blocage n’est pas technologique, il est dans les mentalités et les usages. Pour autant, rien d’impossible non plus, Pharmagest va lancer dès la fin de ce mois une expérimentation avec les hôpitaux à Marseille pour tester sa nouvelle passerelle qui permettra d’assurer l’interprofessionnalité dans le cadre du parcours de soins des patients. L’éditeur se montre optimiste : « les hôpitaux sont de plus en plus ouverts et si on explique de façon concrète à chacun ce que la solution apporte, cela se passe bien », estime ainsi Thierry Chapusot, président du conseil d’administration de Pharmagest Interactive.
En attendant qu’un jour, plus d’hôpitaux parviennent à jouer de façon pleine et entière leur rôle de pivot dans le parcours de soins des patients, les prestataires usent de leurs atouts pour impliquer le mieux possible les pharmaciens dans l’interprofessionnalité. Et c’est leur propre profil, leur propre histoire qui va les mener jusqu’à eux. Ainsi E Sante Technology, sœur de Robotik Technology, est, elle, présente auprès des pharmaciens et du circuit du médicament depuis ses origines : la société part de cette expérience pour fournir brique après brique les services qu’elle estime nécessaire pour aider les pharmaciens à accompagner les patients, l’interprofessionnalité arrivant après, ou au-delà de la gestion des entretiens pharmaceutiques, du bilan partagé de médication, de la téléconsultation, etc. Le fait de travailler depuis longtemps avec les EHPADs dans le cadre de la PDA a permis à l’entreprise de se frotter à l’interprofessionnalité. Aujourd’hui, sa plateforme MyEureka est accessible à n’importe quel professionnel de santé. « Dans le cadre de certaines activités, comme la location de matériel médical aux patients, par exemple dans le domaine de l’oxygène, le pharmacien peut contacter via notre plateforme directement le médecin concerné, ici le pneumologue », explique Sylvie Manzano. « Le pharmacien est à 85 % le coordonnateur de ces différents process d’interprofessionnalité. »
Partir de la ville
Pour DV Santé, créateur de la plateforme Monali, l’objectif est de prendre pied à l’hôpital, certes, mais aussi dans un deuxième cas de figure, de partir de la ville, et notamment du pharmacien. D’abord en faisant revenir le patient sorti de l’hôpital à la pharmacie pour les prestations auxquelles il est habitué, mais aussi pour tout le matériel médical nécessaire après un séjour hospitalier. Il est vrai qu’aujourd’hui des prestataires spécialisés ont pignon sur rue au sein même de l’hôpital qui de fait leur confie beaucoup la fourniture de tels matériels. « Les patients sont pris à un moment de faiblesse, et ils ne pensent pas à faire appel à leur pharmacien pour ces prestations, or il y gagnerait car le pharmacien sait optimiser ces livraisons au bénéfice du patient », souligne Philippe Duperray. Outre cette possibilité de reprendre la main sur cette activité, Monali donne les moyens d’établir des liens avec d’autres professions de santé et de proposer des services aux patients relatifs aux nouvelles missions, bilan partagé de médication, bilan vaccinal, etc. L’interprofessionnalité existe aussi hors hôpital (voir les témoignages ci contre). E Santé Technology et Monali sont compatibles avec le DMP, toutes les informations recueillies par ces deux plateformes peuvent être transférées dans le DMP. De même, elles utilisent la messagerie sécurisée Ms Santé.
Quant à Pharmagest, il s’appuie sur les forces du groupe auquel il appartient Wellcoop, présent dans de nombreux secteurs de la santé avec des logiciels dans les EHPADs, les hôpitaux… Et même une présence auprès des médecins grâce à un accord conclu avec le groupe Cegedim. La passerelle sur laquelle travaille l’éditeur et dont l’expérimentation va bientôt commencer va capitaliser sur ces différentes forces. « Pharmagest est désormais centré sur le patient, longtemps les logiciels d’officine comme les autres logiciels dédiés à la santé géraient les structures, mais de ce fait, le patient devenait un sous-produit en quelque sorte, aujourd’hui, ce n’est plus le cas », commente Thierry Chapusot.
L’éditeur espère lancer sa passerelle durant le second semestre de l’année prochaine. Gageons qu’avec l’arrivée prochaine de l’e ordonnance, qui facilitera aussi les liens entre l’hôpital et la pharmacie, l’interprofessionnalité se répandra mieux et plus.
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