Quoi de mieux que le digital pour mener un bilan partagé de médication ? Cette nouvelle mission qui a été confiée aux pharmaciens depuis mars 2018 avec l’entrée en vigueur de l’avenant 12 de la convention pharmaceutique représente en effet un enjeu important puisqu’il s’agit de veiller au meilleur usage des traitements des personnes polymédiquées. C’est presque une évidence : le digital facilite l’exercice très encadré, quelque peu contraignant même, du bilan partagé de médication (BPM), plus encore que ne le sont les entretiens pharmaceutiques. Il permet au pharmacien de le mener de façon plus sereine, de gagner du temps grâce à des solutions bien faites, de mieux composer avec la relative complexité du processus établi par l’assurance-maladie. Seulement voilà, alors que d’emblée de nombreux prestataires se sont précipités pour digitaliser les entretiens pharmaceutiques (EP), un an après l’entrée en vigueur du bilan partagé de médication, il n’y a pas foule au portillon. Sans doute l’expérience héritée des entretiens pharmaceutiques incite-t-elle à la prudence, ils n’ont pas rencontré le succès escompté et il en est du reste de même avec le BPM.
« 3 000 pharmacies ont réalisé des bilans partagés de médication, soit 15 % de l’ensemble des officines, c’est en deçà des, objectifs de la CNAM », précise Anne Vaillant Keller, directrice marketing ville de Sandoz. Mais plus encore, le BPM fait intervenir un nombre considérable de pathologies là où les EP n’en traitent jamais qu’une à la fois, les AVK et l’asthme. Cela représente un enjeu technologique plus complexe, qui incite aussi les prestataires à prendre leur temps.
Eléments visuels
Mais il existe quand même des outils pour aider les pharmaciens. Ce sont le plus souvent des applications réalisées par des entreprises dans la continuité de leur activité, en cohérence avec leur positionnement sur le marché de l’officine. Une des rares entièrement dédiées au BPM est proposée par le tandem Sandoz-Observia, deux entreprises engagées dans un partenariat depuis cinq ans. Observia a développé une plate-forme de e santé qui, entre autres choses, gère les EP. Une expérience qui a servi à la start-up : « à l’issue des EP, une rubrique conseils et astuces se déclenche automatiquement en fonction des réponses du patient, si des éléments n’ont pas été complètement acquis dans la compréhension de son traitement, et notamment liés à l’iatrogénie, explique Anne Vaillant Keller, un dispositif qui a été repris pour le BPM. »
Afin de mener un bilan de façon efficace, cette solution digitale interactive permet au pharmacien de préparer, réaliser, gérer et déclarer les entretiens des patients polymédiqués, conformément à ce que demande la CNAM. Elle facilite aussi l’échange entre le pharmacien et son patient, notamment grâce à des éléments visuels toujours très appréciés des patients, affirme Anne Vaillant Keller. Des vidéos se déclenchent pour aider à comprendre une pathologie. D’autres fonctionnalités accompagnent le pharmacien comme par exemple un système de pop-up pour identifier les questions obligatoires dans le cadre d’un BPM, ou encore un chronomètre, afin de mieux se repérer dans le déroulement de l’entretien.
Un travail permanent de Sandoz et Observia vise à améliorer cette solution digitale affirme encore la directrice, témoignage d’un partenariat sans doute caractéristique de l’évolution de « l’écosystème » de l’e santé où l’on voit laboratoires et start-up se partager le travail en fonction de leurs compétences. L’accord qui lie les deux entreprises prévoit une distribution exclusive de cet outil de gestion des BPM par Sandoz auprès des pharmaciens, un outil néanmoins gratuit. À ce jour, 3 000 pharmaciens sont inscrits sur la plateforme Observia, 1 300 l’utilisent pour les EP, 245 pour les BPM. Et plus de 7 300 entretiens ont été réalisés grâce à cette solution digitale, souligne Sandoz.
Faciliter les prises de conscience
D’autres prestataires disposent d’outils susceptibles d’aider les pharmaciens dans leurs démarches auprès des patients, sans toutefois entrer parfaitement dans le cadre imposé par la CNAM. Il se trouve simplement qu’ils se sont déjà positionnés sur la façon d’interagir avec les patients, et donc de travailler sur les BPM.
C’est le cas de Naocare, un service d’accompagnement numérique proposé à l’ensemble des professionnels de santé, par le spécialiste de la formation Ma Formation Officinale. « Les bilans partagés de médication nécessitent d’expliquer de façon simple les traitements, ce que nous faisons déjà avec Naocare grâce à des supports écrits et visuels », explique Charles Woitiez, directeur général de Ma formation Officinale. Un entretien exclusivement oral ne permet pas toujours aux patients de bien intégrer toutes les informations, et une vidéo sur une pathologie donnée, par exemple l’hypertension artérielle, facilite la prise de conscience de la non-observance et éclaire les avantages à suivre son traitement dans de bonnes conditions. De même, des fiches conseils avec notamment des informations sur les effets indésirables de certains traitements peuvent être envoyées par mail ou imprimées et données aux patients. Pour ce qui concerne la transmission des résultats avec d’autres professionnels de santé, Naocare se base sur les dispositifs existants.
De son côté, DV Santé, qui avec sa plate-forme Monali travaille d’abord sur le parcours de soins du patient entre l’hôpital et la ville et est donc centré principalement sur les problématiques d’interprofessionnalité, estime important de proposer aussi des « outils métiers » adaptés à l’activité des différents professionnels de santé. Pour les pharmaciens, la plateforme leur donne déjà la possibilité de mener des EP, par le biais d’un moteur de formulaires. « Grâce à ces formulaires, il est possible de créer et de faire évoluer questions et réponses, pour les transformer ensuite en PDF qui seront transmis au dossier patient », explique Thibaud Lefevre, directeur technique de DV Santé. Ces formulaires peuvent être également utilisés pour décrire les interactions médicamenteuses, un dispositif cependant décrit comme « basique » puisqu’il faut quand même des manipulations humaines pour extraire des données. Une nouvelle version va sortir en juin, avec la possibilité d’établir des paramétrages plus poussés afin notamment de mieux appréhender l’aspect interactions médicamenteuses. Mais DV Santé rappelle la nature même de son activité, celle de croiser des données émanant de différents praticiens, quelque chose par essence de très vaste.
Spécialisation médicale
Dernier exemple d’évolution vers le bilan partagé de médication, celui plus lié à une spécialisation vis-à-vis d’une pathologie, en l’occurrence la pneumologie. C’est ainsi que la société Lamirau Technologies, qui est avant tout un spécialiste en télémédecine respiratoire avec notamment 650 patients à domicile, a été amenée à développer une application disponible aux pharmaciens, Pneumopharma. Cette application visait au départ l’Entretien Pharmaceutique autour de l’asthme. Elle permet de mener un tel entretien, associée à un spiromètre connecté pour un test de souffle afin d’identifier d’éventuels problèmes respiratoires. La société l’a complétée avec deux nouvelles fonctionnalités, l’une pour mener un entretien autour des AVK et l’autre pour le BPM. « Le bilan partagé de médication est une procédure assez complexe, il a fallu la mettre en forme au plan informatique, avec les allers et retours nécessaires, et l’automatiser », commente Denis Camps, directeur des opérations de Lamirau. « Nous avons voulu lui donner un aspect ludique en utilisant uniquement les tablettes, plus conviviales pour la relation entre pharmaciens et patients, tout en assurant un hébergement des données en mode cloud. » L’application suit l’ensemble des questionnaires transmis par la CNAM et permet d’envoyer le bilan au médecin traitant du patient.
Peu de retours
Pour Denis Camps, peu de retours ont suivi le lancement de cette application de gestion du BPM. Mais fallait-il en attendre si vite, vu la lenteur avec laquelle ces nouveaux outils et surtout les nouveaux services qu’ils sont censés faciliter sont adoptés par les pharmaciens ? D’autant plus que selon le dirigeant, les conditions de rémunération ne sont pas très intéressantes. Certes, les autorités publiques ont fixé la rémunération à 60 € la première année, puis à 30 € les années suivantes en cas de nouveaux traitements, de 20 € pour le suivi de traitements. « Les médecins sont mieux rémunérés pour des tests qui leur prennent moins de temps », estime Denis Camps. Par ailleurs, il faut de l’expérience de façon à créer des usages, selon Philippe Duperray, Responsable développement pharmacie de Monali. « Ce sont des choses nouvelles pour le pharmacien, et leur réussite est liée à la façon de faire », explique-t-il. D’où la nécessité de travailler encore sur la facilité d’usage. Ce qui implique à un degré ou à un autre d’utiliser l’intelligence artificielle afin de bien maîtriser les multiples données liées à la polymédication. L’intelligence artificielle ou tout au moins une automatisation très poussée des processus de croisement de données. « C’est vrai que l’IA est un concept un peu fourre-tout, mais c’est dans cette direction que l’on travaille notre prochaine version », estime Thibaud Lefevre. Même constat pour Naocare qui envisage de lancer une version intégrant toutes les exigences de la CNAM d’ici à la fin de l’année.
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