Quel point commun y a-t-il entre la vente en ligne de médicaments, le permis de conduire, les syndics et les pièces détachées automobiles ? Pour le gouvernement, ces secteurs d’activité doivent être libéralisés pour redonner du pouvoir d’achat aux Français.
C’est ainsi que le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé, le 5 mars, deux mesures en faveur des pharmacies en ligne : il faut leur permettre de se regrouper et d’utiliser des entrepôts déportés. Le Premier ministre estime que la France est « sans doute allée trop loin et les conditions de vente en ligne des médicaments dans notre pays apparaissent trop restrictives ». Il attend de ces assouplissements une baisse des prix du médicament non remboursable en même temps qu'une croissance du secteur, la pharmacie en ligne ne détenant « que 1 % de parts de marché, contre 15 % en Allemagne », rappelle-t-il.
Ce discours du Premier ministre, à l’occasion du dixième anniversaire de l’Autorité de la concurrence, trouve un écho tout particulier dans la profession. L’Autorité de la concurrence s’apprête en effet à rendre, dans les prochaines semaines, un rapport très attendu sur le fonctionnement concurrentiel dans le secteur du médicament.
Un recours aux plateformes de vente en ligne
Hasard du calendrier ? Sans doute pas, selon Philippe Besset. Le vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) veut y voir un message de Matignon. « Il résulte d’un long travail du gouvernement sur les fondamentaux de la pharmacie à la française. Un message structurant que nous recevons 5 sur 5 et qui va dans le sens des efforts en faveur de l'accessibilité des Français au médicament et de la transparence des prix, l’un des combats de la FSPF », apprécie-t-il.
Ces annonces du Premier ministre peuvent aussi être interprétées comme le tracé d'une ligne rouge que ne pourrait franchir l’Autorité de la concurrence. Car, dans le projet d’avis sectoriel sur la distribution du médicament en ville que « Le Quotidien du pharmacien » a pu consulter, l’Autorité de la concurrence prône, comme le Premier ministre, « une mutualisation des moyens des pharmacies en ligne ». Mais l'autorité administrative va plus loin en considérant que « le développement de plateformes telles que 1001 pharmacies, Doctipharma ou Pharmarket permettrait de faire face à plusieurs difficultés tenant au manque de rentabilité du site Internet, aux difficultés de se démarquer et à la présence d’acteurs bien implantés ».
De même, en s'abstenant d'évoquer les thèmes du monopole pharmaceutique et de l’ouverture du capital des officines, le Premier ministre a émis – en creux — un autre message qui n'est pas passé inaperçu dans la profession. Ce silence marqué peut être interprété comme une fin de non-recevoir, alors que le projet de texte du rapport de l’Autorité de la concurrence se prononce, lui, de manière très explicite, en faveur de ces deux libéralisations.
Paradoxes
S’il se dit soulagé d’avoir au moins échappé à une annonce de Matignon sur l’ouverture du capital, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), n’en souligne pas moins les dérives contenues dans les deux assouplissements prévus par le Premier ministre. Car, selon lui, la possibilité pour les pharmaciens en ligne de se regrouper et d’utiliser des entrepôts déportés comporte le risque d'ouvrir la porte à d'autres acteurs comme Amazon. « Un paradoxe à l’heure où le gouvernement se bat sur un autre front, celui des impôts, contre le géant du Web », relève avec un peu d'ironie le président de l’USPO. Il se dit intraitable : « Si c’est pour inventer un Amazon de la pharmacie, il ne faudra pas compter sur moi. Ma position est claire, il faudra toujours un pharmacien à la réception, à la sortie et à l’expédition du médicament, dans une pharmacie, et sur l'ensemble du territoire. »
Gilles Bonnefond soulève une autre contradiction dans le discours du Premier ministre : le combat du gouvernement contre le prix d'un médicament « dont on sait qu’il est l’un des plus bas d’Europe et qu’il a encore baissé l’année dernière ».
Distorsion de concurrence
Également réservés, mais pour d'autres raisons, les acteurs de la pharmacie en ligne ne sont pas plus enthousiastes. Pour Constance Coquerel, jeune adjointe, affectée à la pharmacie en ligne LaSanté.net de Villeneuve-d’Ascq (Nord), le Premier ministre se trompe de combat. Par pure coïncidence, à l’heure même du discours d’Édouard Philippe, elle avait mis en ligne la vidéo « Allez-vous laisser mourir les pharmacies en ligne françaises ? », interpellant Agnès Buzyn, ministre de la Santé, et Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique.
Comme le rappelle la pharmacienne lilloise, le principal frein de la vente de médicaments en ligne en France reste l’interdiction de communiquer. C'est cette contrainte qui empêche les pharmacies en ligne françaises d’apparaître en bonne position dans les référencements des moteurs de recherche. À la différence des autres pharmacies en ligne, belges, néerlandaises ou suisses, autorisées à faire de la publicité hors de leurs frontières, qui plus est avec des sites dotés de l’extension «.fr ».
Une distorsion de concurrence qui ne nuit pas seulement, insiste Constance Coquerel, au développement des pharmacies en ligne françaises, mais aussi à la santé publique.
*Listées à l’article D.4211-13 du Code de la santé publique.
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