Le Quotidien du pharmacien.- La récente publication de l’étude de la société Interfimo* fait ressortir un prix moyen des officines stable par rapport aux années précédentes. Faut-il selon vous se précipiter pour acquérir une pharmacie afin de profiter de ce contexte favorable ?
Philippe Becker.- Il convient non pas de se précipiter, mais bien de considérer la situation en face : le marché a trouvé en moyenne son équilibre autour de 76 % du chiffre d’affaires et 6,1 fois l’excédent brut d’exploitation (EBE). Cela signifie que l’on a probablement atteint un point bas qui mérite d’être analysé comme une opportunité. Sur le même registre le multiplicateur de l’EBE redevient cohérent avec les résultats que l'on pourra attendre, à l'avenir, de l’économie officinale. À cela s’ajoute un marché « vendeur » du fait des nombreux départs à la retraite programmés. Nul doute, il faut rester en alerte si on recherche une officine à acheter car les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas !
Ces trois facteurs vous ont, par conséquent, incités à conclure dans une courte étude et sur un mode un peu provocateur que l’officine reste encore un bon investissement sur le long terme !
Philippe Becker.- À partir de données simples et en partant d’hypothèses de revente très pessimistes, nous interpellons les potentiels acquéreurs sur l’intérêt de ne pas attendre pour attendre ! Mais attention, ce n’est pas un feu vert pour acheter les yeux fermés à n’importe quel prix. L’étude de reprise d’une officine reste une démarche rationnelle dictée par l’obligation d’avoir un vrai projet pour la pharmacie que l’on veut acquérir !
Votre étude révèle aussi que le soleil ne fait plus autant rêver les potentiels acquéreurs. Comment expliquez-vous que l’héliotropisme n’ait plus le vent en poupe ?
Philippe Becker.- Nous expliquons cette tendance par la logique économique qui prévaut désormais. Les dernières décennies ont été marquées par une concentration des dépôts de bilan dans les régions du sud de notre pays car les prix d’achat étaient trop élevés par rapport à la capacité financière des officines concernées. Le soleil fait toujours autant rêver mais le réalisme a repris le dessus !
Les moyennes de prix de vente dévoilées par Interfimo cachent des disparités entre les petites officines et les plus grosses qui voient leur valeur de négociation gonflée. Cette surprime est-elle justifiée économiquement ?
Christian Nouvel.- Même si cela peut paraître simpliste, cette surprime à l’achat s’explique mécaniquement par une offre faible à la vente et une demande forte à l’achat. Ce qui ne veut pas dire que les grosses officines sont systématiquement plus rentables que celles de plus petite taille, attention à la confusion ! Le phénomène est par ailleurs amplifié par la compétition à laquelle se livrent certains groupements pour créer un réseau de grosses officines. Ils sont peu nombreux mais extrêmement actifs.
Cela revient-il à dire que les jeunes primo-accédants ne peuvent accéder à ce type d’officine actuellement ?
Philippe Becker.- C’est souvent ce que nous constatons, sauf à faire partie d'un groupement et à accepter les conditions d’entrée. Les groupements sont devenus des acteurs incontournables du marché de la transaction des grosses officines et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils ont créé des outils de financement complémentaire pour les acquéreurs : obligations convertibles en action ou pas. Pour eux, c’est stratégique sur le long terme !
Dans ces conditions, les petites pharmacies rurales suscitent-elles encore de l'intérêt auprès des acheteurs ?
Christian Nouvel.- Dans ce domaine, les acquéreurs riches ou pauvres ont l’embarras du choix, et parfois le choix des embarras. Pour autant, la situation souvent critique de ces officines, peu attractives à l’achat, devra bien être un jour analysée par les pouvoirs publics dans le cadre plus large des déserts médicaux. Ce problème, désormais devenu réalité, est la cause d’une crise de société qui a un impact politique fort !
Est-ce à dire qu’il faudra subventionner ces officines pour les maintenir en vie et à terme assurer leur rachat ?
Christian Nouvel.- L’Italie l’a fait en considérant qu’il y avait une nécessité de santé publique. Le mot subvention a souvent une connotation négative mais, à y regarder de près, le service rendu par les officinaux ruraux est énorme, ils se battent seuls face à l’adversité. Aujourd’hui les communes sont prêtes à tout pour faire venir des médecins généralistes, pourquoi les petites pharmacies rurales seraient-elles les laissées pour compte ?
Côté vendeurs, les annonces sur la suppression des niches fiscales pour financer les récentes mesures gouvernementales peuvent-elles faire craindre une remise en cause des dispositifs fiscaux favorables ?
Philippe Becker.- Ces annonces créent souvent de la cacophonie et peuvent perturber certaines prises de décision. Une disposition qui s’appelle familièrement la « niche Copé » (et qui n’a rien à voir avec le lieu de résidence de cet ancien ministre), est dans le collimateur depuis plusieurs semaines. Il s’agit d’un régime qui réduit sensiblement le taux d’imposition des plus-values de cession de titres de participation. En matière d’officine, la suppression de ce dispositif pénaliserait les SPFPL qui détiennent des titres de SEL en cas de revente.
Et en ce qui concerne les régimes d’exonération des plus-values lors du départ à la retraite ?
Christian Nouvel.- Nous n’avons eu aucune information dans ce domaine, mais la vigilance s’impose ! Nul doute que ces différents points seront discutés dans le cadre de la loi de finances rectificatives qui a aussi la fâcheuse caractéristique d’être rétroactive…
Philippe Becker.- Il faut être toutefois conscient que beaucoup de pharmaciens qui cèdent leur affaire aujourd’hui ne font pas de plus-value lors de la revente, tout particulièrement ceux qui ont acquis entre 2000 et 2010, lorsque les prix étaient au plus haut !
* Voir notre édition du 15 avril.
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