UN PHARMACIEN adjoint qui souhaite s’installer comme titulaire est confronté à deux problématiques majeures. En premier lieu, le contexte économique difficile de la profession, qui refroidit les ardeurs de nombreux jeunes diplômés, préférant la sécurité du salariat. Les dernières statistiques de l’Ordre des pharmaciens montrent d’ailleurs qu’un adjoint saute le pas de l’installation dans ses dix premières années d’exercice professionnel. Passé ce délai, le choix de la titularisation est plus rare. « Pourtant, il y a encore des avantages à s’installer. On a la satisfaction de devenir chef d’entreprise et de capitaliser un actif professionnel », soutient Michel Watrelos, expert-comptable au cabinet Conseils et Auditeurs Associés, à Lille.
Seconde difficulté : la valeur de marché des officines. Malgré une baisse constante des prix de cession depuis 2009 et même une accentuation de cette baisse en 2014, les prix restent élevés pour de jeunes pharmaciens souvent privés de l’apport personnel suffisant. Et ceci d’autant plus que de nombreuses petites officines « abordables » ne sont pas rentables, et donc moins intéressantes, alors que le développement des sociétés d’exercice libéral (SEL) augmente, a contrario, le nombre des « grandes » officines dont le prix est plus élevé.
La plupart du temps, le jeune adjoint n’a donc pas les moyens d’acquérir, seul, un fonds d’officine ou la totalité des parts de cette officine. En pratique, il aura donc besoin d’une aide financière et de s’associer avec un autre pharmacien. Il peut notamment s’agir du titulaire de l’officine dans laquelle il exerce, avec l’objectif de racheter cette officine ou une autre pharmacie, ou bien encore d’un pharmacien investisseur extérieur. Les solutions juridiques à mettre en œuvre sont différentes dans ces différentes situations.
Acheter avec le titulaire.
Dans tous les cas, pour s’installer en association avec un autre pharmacien, l’adjoint doit opter pour la société d’exercice libéral (SEL), qui est la seule structure juridique à pouvoir associer au capital des pharmaciens exploitants et non exploitants. Aujourd’hui, la SEL est même presque devenue la seule façon d’accéder à la titularisation : selon la dernière étude de la société Interfimo sur les prix de cession des pharmacies en 2014, 80 % des acquisitions d’officines sont effectuées par ce biais. La SEL est donc incontournable, même s’il est toujours possible de s’associer avec un autre cotitulaire dans une SARL, par exemple.
Le schéma, très classique dans les autres types de sociétés commerciales, est le suivant : l’adjoint prend d’abord une participation minoritaire au capital de la SEL, puis, progressivement, rachète les autres parts du titulaire afin, finalement, de lui succéder pleinement. Ce montage permet ainsi de s’installer progressivement, avec une mise de fonds initiale plus faible qu’en faisant l’acquisition d’un fonds individuel ou de l’ensemble des parts du titulaire. À noter d’ailleurs que l’ancien titulaire pourra détenir pendant dix ans une part minoritaire de la SEL dans laquelle l’adjoint sera devenu majoritaire.
Pour l’adjoint, l’avantage de cette « cession-transmission » est aussi de bénéficier de l’appui et de l’expérience professionnelle du titulaire. Pour ce dernier, c’est le moyen de redynamiser l’officine grâce à la motivation du jeune pharmacien. La valeur de l’officine et des parts s’en trouveront peut-être, à terme, valorisées. Attention toutefois : comme pour toute acquisition d’officine, l’adjoint doit prendre certaines précautions. Il faut notamment vérifier que l’officine n’a pas un passif caché ou des dettes non apparentes. Un audit complet des comptes, avec l’aide d’un expert-comptable, est indispensable.
Le soutien d’un investisseur.
La seconde solution pour s’installer comme titulaire lorsqu’on dispose de peu de moyens est de trouver une officine tierce et un pharmacien investisseur, lequel peut être le titulaire de l’officine dans laquelle l’adjoint exerce. Le jeune pharmacien s’associe ainsi ce « partenaire » investisseur dans une SEL, avec une répartition du capital qui varie en fonction des moyens de chacun. Mais l’intérêt est que l’adjoint peut investir avec un apport plus faible que s’il le faisait seul, entrer dans une officine de plus grande taille, et bénéficier de la caution professionnelle et financière de cet investisseur en principe plus expérimenté.
Si ce n’est pas le titulaire, la difficulté, pour l’adjoint, est bien entendu de trouver cet associé. « Le pharmacien investisseur est celui qui apporte des capitaux significatifs et qui s’implique dans la gestion de l’officine. Parfois même, il se porte caution. Un simple soutien financier, quant à lui, apporte en général moins d’argent, et c’est souvent un parent du jeune pharmacien », explique Olivier Desplats, expert-comptable au cabinet Frandre Comptabilité Conseil, membre du réseau national Conseil Gestion Pharmacie (CGP).
Ici encore, la SEL est un outil privilégié. Grâce à la technique de l’impôt sur les sociétés, elle permet, par rapport à l’acquisition d’un fonds individuel ou d’une société soumise à l’impôt sur le revenu, d’accroître la capacité d’emprunt et de remboursement. Mais l’adjoint et son investisseur n’ont pas intérêt à acheter des parts de société « en direct », c’est-à-dire en leur nom propre. En effet, la fiscalité est alors peu favorable. « Quand on achète soi-même des parts de société, la déduction des intérêts d’emprunt est très limitée. De plus, les frais d’acte et d’enregistrement ne sont pas déductibles. Il y a donc un surcoût fiscal pour l’acquéreur », indique Me Bastien Bernardeau, notaire à Poitiers et président du réseau de notaires Pharmétudes.
L’outil SPFPL.
La solution alors ? Acquérir les parts de l’officine à travers une SPFPL constituée avec son associé (ou avec un ou plusieurs autres pharmaciens). Cette société holding peut en effet détenir une participation majoritaire ou minoritaire dans la SEL de pharmacie. Elle facilite ainsi la reprise de l’officine : avec la SPFPL, ce n’est pas le pharmacien qui emprunte et rembourse son emprunt pour acquérir la pharmacie, mais la SPFPL elle-même. L’avantage est d’abord financier : les remboursements de l’emprunt sont effectués grâce aux bénéfices réalisés par l’officine (la SEL), et non pas par le pharmacien sur sa rémunération.
En outre, le régime des holdings bénéficie d’une fiscalité très attractive. En premier lieu grâce au régime « mère-fille », qui permet d’exonérer les dividendes en provenance de la SEL à hauteur de 95 %, à condition que la SPFPL détienne au moins 5 % de la SEL. Mais ce régime présente aussi un inconvénient : en l’absence d’imposition, ou presque, des dividendes, et compte tenu de la déduction (non plafonnée) des intérêts de l’emprunt souscrit pour financer l’acquisition, la SFPL dégagera un résultat déficitaire. Or ce déficit ne pourra être imputé sur aucun bénéfice imposable et risquera donc d’être perdu. Il existe bien des solutions pour remédier à cet inconvénient - la SPFPL peut notamment facturer des services à la SEL -, mais elles présentent certains risques fiscaux.
L’autre régime fiscal optionnel pour la SPFPL, plus intéressant encore, est celui de l’intégration fiscale. Il permet à la SPFPL de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû avec la SEL. Par conséquent, le déficit de la SPFPL lié à la charge de l’emprunt contracté pour acquérir les parts de la SEL et aux autres frais d’installation peut être intégralement déduit. De ce point de vue, le régime de l’intégration fiscale résout donc en partie le problème du déficit non imputable du régime « mère-fille ».
Attention cependant : pour avoir droit au régime de l’intégration fiscale, la SPFPL doit détenir au moins 95 % du capital de la SEL. Mais un pharmacien exploitant d’une SEL devant détenir de son côté au moins 5 % du capital de cette société, le régime de l’intégration fiscale ne peut donc être choisi, actuellement, qu’avec un seul titulaire dans la SEL. Cet inconvénient devrait néanmoins être levé dans les prochaines semaines, puisque le projet de loi santé, actuellement en discussion au Parlement, prévoit de supprimer cette règle de détention minimum de 5 % des parts d’une SEL par le pharmacien titulaire.
Faciliter la transmission.
De façon plus générale, la SPFPL est aussi, pour les adjoints et les titulaires, un nouvel outil de transmission de l’officine. Le décret de juin 2013 ayant ouvert le capital des holdings aux adjoints, ces derniers peuvent ainsi être intéressés indirectement aux résultats de la SEL, tout en conservant leur statut de salarié. Pour Jérôme Paresys-Barbier, président du conseil central D de l’Ordre des pharmaciens, cette disposition offre aux adjoints une perspective de carrière* : « ils peuvent jouer un rôle actif au sein de la holding tout en exerçant en qualité de pharmacien adjoint dans l’officine. La constitution de holdings va donc modifier les rapports titulaire/adjoint dans un intérêt commun. Les dividendes que l’adjoint perçoit pourront être réinvestis si celui-ci envisage, à terme, de succéder au titulaire. »
Mais, si le nombre total de SPFPL a considérablement augmenté depuis la parution du décret (479 holdings inscrites au tableau de l’Ordre au 1er janvier 2015), seulement 17 SPFPL ont dans leur capital un pharmacien adjoint.
Peut-être faudrait-il alors trouver d’autres solutions juridiques. « À l’heure des nouvelles missions au sein des officines, il conviendrait de donner à l’adjoint un nouveau statut et le faire entrer au capital non pas des SPFPL, mais de la société exploitant l’officine. Il conviendrait aussi de lui donner un statut fiscal et social de collaborateur libéral, comme cela existe déjà dans certaines professions médicales et juridiques, et de l’autoriser à créer des parts en industrie - par la transformation de son travail en capital -, ce qui est aujourd’hui impossible dans le cadre d’une SPFPL », plaide pour sa part Joël Lecoeur, président du cabinet d’expertise-comptable LLA et vice-président du réseau CGP.
Bref, les outils juridiques à disposition des adjoints pour favoriser leur installation sont peut-être appelés à évoluer encore. En toute hypothèse, sans la SEL et la SPFPL, l’accès à la titularisation serait aujourd’hui beaucoup plus difficile.
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