Exceptionnelle par la sanction infligée, l'affaire débattue il y a deux semaines par la chambre de discipline du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, l'est aussi sur le fond. M. C., titulaire à Quissac, petite commune du Gard, comparaissait en appel devant ses pairs après avoir été condamné en première instance à une peine d'interdiction d'exercer de 3 ans. Sa faute ? Employer 8 pharmaciens adjoints au lieu des 17 qu'impose son chiffre d'affaires. Simple à juger en apparence - la faute est constituée -, à y regarder de plus près, l'affaire se révèle au contraire bien complexe. Deux chiffres expliquent à eux seuls le caractère exceptionnel du cas abordé. Le chiffre d'affaires de l'officine de l'officine de M. C. flirte avec les 24 millions d'euros, mais surtout, il est lié à près de 80 % aux seules ventes de parapharmacie.
Mais revenons d'abord sur la chronologie de l'affaire. L'histoire débute en 1981 à Quissac, commune d'à peine 1 500 âmes. M. C. devient alors titulaire de la seule officine du village. Pour l'officinal trentenaire, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… jusqu'à la création, en 1989, par voie dérogatoire, d'une seconde officine. Le village s'est certes un peu rempli, mais ne compte pas plus de 2 600 habitants. Dans ce contexte, afin de préserver l'équilibre économique de son officine, M. C. modifie le positionnement de son entreprise et l'oriente résolument vers la parapharmacie. En 2009, il obtient le transfert de sa pharmacie dans une zone commerciale dotée d'un parking. Pari gagné pour le titulaire gardois, qui fait bien mieux que conserver son chiffre d'affaires. En quelques années, celui-ci explose littéralement pour atteindre les 20 millions d'euros à la fin des années 2000.
Une organisation interne rigoureuse
Bien sûr, l'augmentation du CA de l'officine est très largement liée au profil atypique de l'entreprise. Ainsi, en 2016, 78 % des 24 millions d'euros de CA sont liés à la vente de produits de parapharmacie et de diététique. Un ratio hors norme qui justifie, aux yeux du titulaire, une organisation interne spécifique. Alors que la réglementation lui impose de se faire assister par 17 pharmaciens diplômés eut égard au volume de son CA, M. C. n'emploie « que » 8 adjoints. Pour assurer la dispensation des médicaments (environ 5 millions d'euros de CA), M. C. a donc choisi d'aménager 6 comptoirs exclusivement réservés à ses 8 adjoints et 3 préparateurs. Ceux-ci n'interviennent jamais dans les ventes de parapharmacie et n'effectuent aucun encaissement d'argent. En pratique, les patients munis d'ordonnance se présentent à l'un de ces comptoirs « pharmacien » où les médicaments leur sont délivrés dans un paquet scellé et muni d'un ticket portant un code-barres. Le règlement, s'il a lieu, est effectué au niveau des caisses avec les éventuels autres produits de parapharmacie. Un dispositif qui fonctionne de nombreuses années sans qu'aucune instance, ni l'ARS, ni l'Ordre régional, ne s'en offusquent. Pourtant, en juillet 2014, et en dépit de cette organisation rigoureuse, c'est bien l'insuffisance de pharmacien adjoint qui justifie la première plainte de l'ARS du Languedoc-Roussillon. Plainte portée devant le Conseil régional de l'Ordre qui condamne en première instance, le 29 mai 2015, M. C. à 3 ans d'interdiction d'exercer. Fin du premier acte.
L'Ordre transmet la QPC
Le titulaire, conseillé par Me Gérard Bembaron, fait alors appel de cette décision en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de l'article du Code de la santé publique qui pose comme unique critère de fixation du nombre de pharmaciens adjoints, le CA global de l'officine (article L5125-20).
Jugeant que la QPC du pharmacien « présente un caractère sérieux », le Conseil national de l'Ordre la transmet au Conseil d'État, le 15 décembre 2015. Mais le 6 avril 2016, celui-ci la rejette et décide de ne pas la présenter devant le Conseil constitutionnel. Fin du deuxième acte.
Le troisième et dernier acte de cette affaire aux dimensions théâtrales s'est déroulé le 20 mars dernier dans les murs du Conseil national de l'Ordre. Un nouvel appel formé par M. C. le portait une fois encore devant ses pairs. Prenant acte du rejet de la QPC par le Conseil constitutionnel, Me Bembaron commence par regretter que « cette décision nous prive d'un débat intéressant ». Puis il détaille une nouvelle fois le caractère extrêmement atypique de l'officine de son client et les modalités de fonctionnement mises en place qui en découlent. Mais très vite, l'indignation pointe sous les mots choisis. « Le CROP du Languedoc Roussillon a prononcé à l'encontre de mon client une sanction quelque peu hallucinante d'interdiction d'exercer de 3 ans. Autant dire, une sanction d'élimination. » Dommage, semble dire la défense qui interpelle alors les conseillers ordinaux : « Car la décision que vous aviez rendu sur la QPC, nous avait laissé espérer que la règle du jeu pouvait changer. »
L'option de la scission
Au terme de sa courte plaidoirie, l'avocat conclut. « Face au rejet de la QPC, mon client avait le choix : il pouvait reconstituer un effectif de pharmaciens adjoints en conformité avec la réglementation. Mais comment recruter autant d'adjoints pour un CA en médicaments de 5 millions d'euros ? Il pouvait aussi, est c'est l'option finalement choisie par M. C., scinder son entreprise en deux entités distinctes : d'un côté la pharmacie, de l'autre la parapharmacie. » La scission juridique et physique des sociétés sera effective en juin prochain, s'engagent d'une même voix M. C. et son avocat.
Un engagement qui n'aura visiblement pas suffi. Au terme d'un long délibéré, les conseillers ordinaux ont ramené la sanction, de 3 ans d'interdiction d'exercer, à 2 ans.
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