Dialogue

De la défense des dépréciations de fonds

Publié le 20/06/2016
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L’exploitation des pharmacies a été profondément modifiée ces dernières années au gré des évolutions législatives. C’est un constat marqué notamment par un recul important des cessions d’officines et une multiplication des liquidations judiciaires. De nombreux titulaires font face à une diminution récurrente du chiffre d’affaires de leur établissement. Ces phénomènes ont conduit certains exploitants à prendre en compte la diminution de la valeur de l’officine (apportée en société ou acquise auprès d’un prédécesseur), en constatant une dépréciation du fonds de commerce dans leur comptabilité. Psychologiquement cette étape est naturellement difficile à franchir pour le titulaire car c’est une reconnaissance de la dépréciation potentielle du fruit de son travail quotidien.

À titre liminaire rappelons succinctement les principes généraux de la provision pour dépréciation d’un fonds de commerce.

Sur le plan économique et comptable, il est nécessaire de constater un amoindrissement de la valeur d’un élément d’actif (en l’espèce, le fonds de commerce) résultant de causes dont les effets ne sont pas jugés irréversibles. Les dépréciations s’inscrivent au bilan en diminution de la valeur des postes de l’actif correspondant. Dans le cadre d’une officine, il convient de constater une dépréciation du fonds de commerce sous forme de provision quand la valeur de marché du fonds de commerce est manifestement inférieure à sa valeur d’inscription dans les comptes.

Sur le plan fiscal, un arrêt récent du Conseil d’État du 23 décembre 2013 a mis un terme au long débat sur la faculté d’une entreprise de ne pas déduire fiscalement une provision pourtant comptabilisée dans les comptes alors même qu’elle remplit toutes les conditions de déduction des textes fiscaux.

La conséquence fiscale d’une provision est une charge pour l’entreprise, diminue le résultat de l’exercice et le montant de l’impôt sur le plan fiscal. L’administration fiscale a lancé depuis peu de nombreux contrôles fiscaux visant à la remise en question des provisions pour dépréciation des fonds de commerce ayant pour conséquence le rehaussement de l’impôt.

Notre cabinet, en collaboration avec un cabinet d’expertise-comptable s’attache à la défense depuis plusieurs mois des dépréciations pour fonds de commerce. Selon l’administration et les propositions de rectifications transmises à nos clients, la dépréciation ne serait pas justifiée pour les motifs suivants : une diminution du chiffre d’affaires insuffisante ; un résultat d’exploitation ou un bénéfice maintenu ou en légère hausse ; un taux de marge commercial cohérent par rapport aux autres pharmacies à proximité ; une méthode de calcul de la valeur vénale non suffisamment documentée.

Les arguments des inspecteurs des impôts sont appuyés par une série de jurisprudence dont un arrêt ancien du Conseil d’État du 24 octobre 1938 selon lequel la constitution d’une provision pour dépréciation du fonds de commerce ne peut trouver de justifications suffisantes dans la baisse du chiffre d’affaires lorsque celle-ci n’a entraîné aucune diminution des bénéfices. Concernant la procédure, un avis de contrôle fiscal, puis une proposition de rectification ne conduisent pas toujours à la mise en recouvrement des sommes sollicitées, c’est une phase dite « précontentieuse ».

La dépréciation de fonds de commerce est comme évoquée supra, autorisée par les textes et nous avons mis en exergue différents arguments opposables. Il convient donc de répondre dans les délais impartis (30 jours renouvelable une fois) et avec précision afin de faire valoir utilement les moyens de défense.

Enfin, compte tenu du nouveau monde économique de la pharmacie et si l’administration fiscale maintient sa position devant les tribunaux (phase contentieuse), les juges devront prendre une position et déterminer des critères factuels et récents pour préciser les conditions de dépréciation des officines.

Nous recommandons d’ores et déjà de documenter avec précision les critères et les méthodes d’évaluation de votre officine qui ont conduit à constater sa dépréciation.

 

Léa Lacour, avocat au barreau de Nice

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3275