Le Quotidien du pharmacien.- Selon vous, un pharmacien a-t-il plutôt intérêt à bouger et à acquérir plusieurs officines tout au long de sa carrière ou, à l’inverse, n’est-il pas plus rentable de rester sédentaire ?
Philippe Becker.- Vaste débat ! Compte tenu de ma longue expérience auprès des officinaux, je note que les mentalités ont évolué depuis 40 ans. Très clairement, le pharmacien d’après guerre était un vrai sédentaire et, plus encore, il transmettait bien souvent sa pharmacie de génération en génération. À la fin des années 1970, les officinaux ont commencé à avoir de premiers doutes sur la solidité du socle sur lequel ils étaient assis : première attaque sur le monopole, agressivité de la GMS pour capter le marché de la parapharmacie et, bien évidemment, premier plan de maîtrise des dépenses de santé. Bref, l’horizon s’assombrissait malgré une activité encore dynamique. Était venu le temps des remises en question et l’une des interrogations était : « dans un tel contexte, ne devrais-je pas changer d’air ? »
L’augmentation du prix des fonds a-t-elle été un facteur accélérant le nomadisme ?
Christian Nouvel.- Oui, assez paradoxalement, alors que les nuages commençaient à s’amonceler dans le ciel, les prix des fonds prenaient, eux, leur envol pour une hausse qui s’est poursuivie jusqu’il y a dix ans. Le marché s’est emballé avec l’apparition de nombreux intervenants qui développaient une idée simple : on capitalise plus en revendant plusieurs fois son fonds car on bénéficie des effets de leviers financiers et fiscaux. Le contexte s’y prêtait d’autant plus que les fonds retirés d’une cession étaient faiblement fiscalisés en matière de plus-values et pouvaient être placés sans risque et sans impôt à plus de 8 % par an dans les années 1980 et 90 ! Certes, les taux d’emprunt étaient élevés mais, là aussi, les frais financiers étant intégralement déductibles fiscalement, ils réduisaient l’imposition de celui qui réinvestissait dans une nouvelle officine !
On se trouvait un peu dans la logique d’un écosystème de marchands de biens…
Philippe Becker.- On peut dire cela, en résumé. Cela a contribué à rendre les prix incontrôlables, avec les conséquences que l’on connaît maintenant. Tout poussait le pharmacien à bouger tous les 10 ans, surtout lorsque sa fiscalité devenait insupportable, et à reprendre une nouvelle officine, en général plus grosse, dans une ville plus attractive. C’est la raison pour laquelle les prix de vente les plus élevés étaient observés dans le sud et l’ouest de la France ainsi que dans les villes universitaires. Il y avait un cheminement assez prédictible : le jeune pharmacien achetait sa première pharmacie dans une bourgade rurale et, bien souvent, cédait lorsque ses enfants arrivaient à un âge d’études secondaires ; il refaisait de même lorsqu’ils commençaient un cycle universitaire.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Christian Nouvel.- Beaucoup de choses ont changé. D’abord, la fiscalité consécutive à la cession des officines qui s’est aggravée avec l’apparition de la CSG et de la CRDS, puis la baisse dramatique du rendement après fiscalité des placements sans risque. L’effet de levier financier et fiscal a quasiment disparu. Ajoutons que « le sel » de ces opérations répétées était la certitude de développer le chiffre d’affaires de l’officine reprise qui générait « mécaniquement » une plus-value à la revente. Là aussi, avec la stagnation de l’activité, le jeu n’est plus gagnant pour beaucoup d’officines. Il n'est pas rare désormais de constater en tant qu’expert-comptable des moins-values car le marché s’est assagi…
Doit-on en conclure que la sagesse, c’est la sédentarité ?
Philippe Becker.- Non, pas forcément. Changer d’officine durant sa carrière a de nombreuses vertus : éviter une routine qui souvent démotive et a des conséquences sur l’activité de la pharmacie, permettre de faire des changements stratégiques lorsque l’on perçoit que son officine n’a pas ou peu d’avenir, préparer sa sortie et sa retraite dans une région agréable… Sur le plan fiscal, s'il n’y a plus d’intérêt majeur, il est toutefois possible d’optimiser la taxation des cessions en utilisant une SPFPL qui détiendra et revendra successivement les titres des SEL détentrices des officines.
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